Document : 1860-03-03

Références / localisation du document

Damien Rouet, L'insertion des Acadiens dans le Haut Poitou et la formation d'une entité agraire nouvelle, de l'ancien régime au début de la monarchie de juillet (1773-1830) : étude d'histoire rurale, thèse de doctorat (Histoire), Université de Poitiers, 1994. annexe VI // CEA Moncton, Fonds Rameau de Saint-Père, Acadiens du Poitou, 2.12-4 (feuillets). // Damien Rouet, "Les Acadiens dans le Poitou : permanence d'une identité", Etudes canadiennes / Canadian Studies : Acadiens, mythes et réalité, 37, (1994) : pp. 145-57.

Date(s)

1860-03-03

Auteur ou organisme producteur

Rameau

Résumé et contenu

Compte-rendu de la visite de Rameau aux Acadiens du Poitou (du 3 au 7 mars 1860).

[Résumé du Résumé]
Rameau visite la Grand'ligne qu'il trouve pauvre, triste et mélancolique. Il rencontre plusieurs descendants d'Acadiens. Ils croient qu'il travaille pour le compte d'un héritier et que R. vient pour une histoire d'héritage. La plupart semble avoir des souvenirs mythiques de l'Acadie de leurs parents. Le récit le plus ancré semble être celui d'une Acadie mystique dans laquelle on vivait très bien (évocation d'habits de soie, de fortunes cachées dans des puits au moment de la déportation, de repas de viande, de grandes terres et d'animaux, de grandes chasses ; évocation d'argenterie). Les souvenirs semblent cependant parfois assez vagues, surtout quand R. cherche à rentrer dans les détails (il faut dire, bien sûr, qu'ils n'ont pas connu l'Acadie, et que beaucoup étaient très jeunes au moment de l'arrivée dans le Poitou). Plusieurs descendants ont également conservé des objets acadiens (2 personnes montrent à Rameau des marmites).
R. rencontre en particulier Benjamin Boudrot dont le père était parti volontairement de l'Acadie peu avant le GD, et qui avait ensuite été chassé de l'île Saint-Jean où il s'était réfugié après un embarquement très aventureux (il connaît bien les détails, sans doute romancés aussi). Le premier départ [de l'Acadie] était volontaire, les Anglais voulaient même les retenir. A l'île Saint-Jean, vie en contact avec les Sauvages. Bonne entente, mais quand ça dégénère, la mère les menaçait de leur lâcher les chiens. Chasse dans les bois. Lui-même ne sait pas précisément où il est né, peut-être à Saint-Malo.
Boudrot évoque les tensions au moment du départ d'une partie vers Nantes (pour aller ensuite au Mississippi). Son père et son frère voulaient partir, mais sa mère s'y opposait. Une partie de ceux qui sont partis au Miss. sont revenus. D'autres, ayant fait fortune, continuaient à envoyer des nouvelles (il y a une 20aine d'année), ils proposaient à des jeunes de passer au Miss. Les Acadiens qui voulaient partir disaient à ceux qui voulaient rester : "quoi, on va rester pour défricher ces terres bonnes à rien ?". Boudrot se rappelle que ceux qui partaient faisaient la route comme les soldats ; il ne se rappelle plus des secours du gouvernement. Il ne se rappelle pas non plus qu'ils sont restés 10 ans à Nantes (?).
Les Acadiens restés ont introduit une pomme de terre du Canada (qu'ils avaient apportée dans un chapeau) [mais peut-être pas d'Acadie, mais tout simplement de Bretagne, par ex.]. Ils doivent visiblement faire la conscription, mais Boudrot y échappe d'une manière qui est censée être expliquée ailleurs, mais qu'on ne connaît pas [il a dû l'expliquer à R., mais on ne sait pas où celui ci l'a noté ; peut-être il a utilisé le fait qu'il était Acadien ? Ca serait intéressant de savoir]. R. note l'importance de la religion pour les Acadiens et le fils de Boudrot est obsédé par l'idée de ne pas rater la messe [mais Boudrot lui-même semble moins pressé ; peut-être le signe du renouveau religieux au cours du 19e siècle ?]. Il dit à Rameau : "il parait que les Acadiens étaient très religieux et que c'est à cause de la religion qu'ils ont été chassés de leur pays par les Anglais".

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Description par Rameau de son arrivée à Saint-Savin. Rencontre avec M. Pinotière avec qui il parle de l'établissement, et de M. Papuchon. Rameau se rend ensuite sur le lieu de l'établissement ; il décrit avec minutie les maisons.
description des maisons et des terrains, pauvres selon lui ; chaque exploitation de 175 boisselées [= dans le Châtelleraudais, une b. vaut dix ares selon Martin p. 307 - note] = 17 hectares 50 (un peu trop facile comme calcul, donc un peu douteux).
Rencontre avec un pauvre vieillard, qui lui explique sa misère.
Pas de descendants directs d'Acadiens (il veut dire je crois descendants de père et mère ; parce que plus bas dans le texte il rencontre Boudrot et d'autres fils et filles d'Acadiens de la seconde génération).
L'ensemble de la ligne acadienne est très triste selon Rameau - tristesse mélancolique, on est en plein romantisme.
A son retour à La Puye, il est accueilli par diverses personnes qui pensent qu'il apporte d'Amérique la nouvelle d'une succession ; il les détrompe mais ils ne le croient pas. Retour à Saint-Savin, retourne voir M. Pinotière.

Dimanche 4 mars. Rencontre avec Chicard, parent des Acadiens, et Benjamin Boudrot et Suzanne Guérin, filles de Marie Daigle, Acadienne.
Benjamin Boudrot = vieillard encore vert ; "il se rappelle parfaitement de son père, Pierre Boudrot, et des récits que celui-ci lui faisait de leur pays ; il était parti de l'Acadie étant jeune homme avec 18 autres jeunes gens qui voulaient comme lui échapper aux Anglais qui voulaient les prendre pour la milice ; ils se sauvèrent dans les bois et de là sur le bord de la mer et là s'entendirent avec un bâtiment français qui vint les prendre la nuit ; ils se laissèrent descendre à ce bateau avec des cordes à travers des rochers escarpés - de là ils se rendirent à l'île Saint-Jean ou Pierre Boudrot se maria, s'établit et demeura 17 ou 18 ans ; ils défrichèrent des terres en bois ; il commençait à se retrouver dans une certaine aisance et leurs établissements prospéraient de jour en jour quand les Anglais les tracassèrent de nouveau et les forcèrent à s'embarquer pour la France où ils furent conduits.
Boudrot se rappelle bien que son père lui a dit que quand ils quittèrent l'Acadie la première fois c'était parce qu'ils le voulaient bien, car les Anglais ne demandaient pas mieux que de les garder, et leur faisaient même toutes sortes de belles promesses s'ils voulaient se soumettre à eux.
Dans l'île Saint-Jean, ils se mirent à cultiver la terre était très fertile et ils défrichaient des terres en bois quand ils avaient abattu le bois ils le brûlaient puis semaient et recouvraient le blé avec une espèce de petit râteau en fer, qu'ils promenaient sur le sol à travers les troncs d'arbres encore restants - le père Boudrot en avait même apporté un en France qu'il a montré bien souvent à ses enfants en leur racontant cela
[à noter que c'est un peu surprenant : les Acadiens disent d'un côté qu'ils n'ont rien pu emmener avec eux ; de l'autre ils évoquent des objets ramenés - à noter d'ailleurs qu'il n'y a rien d'Amérindien dans tout cela ; cf. aussi les 12 000 F évoqués par la lettre d'un Acadien de la ligne à Rameau.]

A l'île Saint-Jean, ils allaient fréquemment à la chasse dans les bois, mais il disait qu'il ne fallait pas y aller sans grande précaution à cause des ours et des serpents qui dit-il étaient assez forts pour étouffer un homme (ce que le [? transcription telle quelle] ne comprend pas très bien) - ils voyaient aussi fréquemment les sauvages avec qui ils étaient assez bien, mais quand ils venaient à la maison, et qu'ils étaient importuns, les femmes s'en débarrassaient en les menaçant de lâcher les chiens après eux, et ils s'enfuyaient car ils craignaient beaucoup les chiens. [à noter pour la critique de ce texte que le récit concernant les sauvages est peut-être davantage dicté par un intérêt du 19e siècle pour les sauvages que par un intérêt à l'époque du père de Benjamin Boudrot ; l'histoire des serpents est très douteuse et l'histoire de la peur des chiens également].

Alors arriva dans notre auberge Romain Daigle fils aussi d'un des Acadiens venus dans le pays [...]. C'est un homme de 55 ans environ, fort et vigoureux, mais dont la figure et l'esprit sont beaucoup moins intelligents que chez le père Boudrot. Son père, Marin Daigle, n'était même pas né précisément en Acadie, il est né en mer, ou tout au moins dans le Port de mer où on les a débarqué et qu'il croit être Saint-Malo, voilà comment il se fait que lui soit si jeune quoique fils direct d'un Acadien - il a un frère qui demeure à Archigny où il a longtemps été sacristain [... évocation de la situation de cet homme, marié deux fois, fille assez riche mariée à Papuchon, les enfants de sa deuxième femme sont moins aisés, lui même travaille maintenant comme journalier]. Cet homme se rappelle assez peu des récits de son père, il me dit que ses parents venaient de l'Acadie, sur quoi le père Boudrot le reprend et lui dit qu'ils étaient venus de l'île Saint-Jean avec son père - et il dit peut-être bien.

Voyant qu'il y a peu à tirer de cet homme, je repris la conversation avec le père Boudrot : - son père lui dit qu'avant de partir tout le monde avait caché son argent dans le puits du curé au-dessous du niveau de l'eau, après quoi on boucha le puit et on planta une croix dessus - (il ne m'a pas dit si c'était en partant de l'Acadie ou de l'île Saint-Jean. Je pense que c'est de l'île Saint-Jean car à l'Acadie il ne partit avec lui que des jeunes gens) il y avait de l'argenterie car il paraît qu'ils avaient pas mal d'argenterie.
Quelques uns parvinrent à sauver de l'or en faisant cuire au four des pains dans lesquels ils avaient caché leur or au milieu de la pâte.
Mme Berbudeau emporta le sien en se disant enceinte comme me l'a écrit Mr Demairé.
Départ de leurs parents pour le Mississippi : voir les brouillons de ses dires et la seconde entrevue avec lui.
Pacage des bestiaux en commun à l'île Saint-Jean et sans doute dans l'Acadie et marque des bêtes avec un fer - voir ses dires

Il est né autant qu'il se rappelle à Saint-Malo - car il lui semble bien que son père lui a souvent parlé de cette ville et que c'est là qu'ils ont attendu leur établissement.
son père lui a souvent dit qu'il n'était pas seul de sa famille et que quand il avait quitté l'Acadie il y avait laissé ses frères - (cela se réfère évidemment à son premier départ de l'Acadie) [...].

Après le père Boudrot, j'entrai alors en conversation avec la femme Foucher Suzanne Guerrin sa mère une Marie Daigle avait épousé en premières noces un nommé Farine et en seconde noces Gabriel Guerrin (je crains qu'elle ne se soit trompé car cette femme ne paraissait pas avoir plus de 45 à 50 ans, et ainsi née en 1810 au plus or une femme venue de l'Acadie aurait eu alors plus de 50 ans ce qui est bien âgé pour avoir des enfants).
Quoiqu'il en soit un nommé Daigle frère ou oncle de sa mère repartit de La Puye pour le Mississippi pour aller comme il disait chez les espagnols. Il paraît qu'il y gagna de la fortune car il put envoyer quelques années après de l'argent à sa mère (on m'a assuré dans le pays qu'il s'agissait d'une somme de plusieurs milliers de francs) et depuis lors il a écrit à diverses reprises.
Il était aussi parent aux Guillot, et il a écrit il n'y a plus de 20 ou 30 ans à ceux-ci une lettre où il leur offrait toute facilité pour passer en Louisiane près de lui leur indiquant même à Orléans la personne qui leur remettrait les fonds à cet effet. Un instant on eu l'idée d'y envoyer un jeune homme de la famille alors âgé de 19 ans, mais ce long voyage l'effraya et il recula. Depuis lors, ils n'ont plus eu de nouvelles. Ce Daigle disait avoir plusieurs navires et résider à Bâton Rouge sur le Mississippi.
(Quand à moi je suis indécis si l'homme dont elle parle ainsi est un Daigle ou un Guillot qui était parti au Mississippi).

Je me remis ensuite à considérer le père Boudrot. Je ne me lassais pas d'examiner cette belle tête de vieillard [...]. Cette tête portait fièrement l'empreinte de l'intelligence et de la bonté, on voyait encore dans ses traits de la vigueur et une certaine chaleur venait illuminer son regard quand il parlait de ses aïeux et des temps passés. Son fils [...] paraissait content comme son père de cette entrevue, mais vivement préoccupé de ne pas manquer la messe, à plusieurs reprises il en fit l'observation, de plus il dit une fois dans la conversation : "il parait que les Acadiens étaient très religieux et que c'est à cause de la religion qu'ils ont été chassés de leur pays par les Anglais". J'en conclus que cette famille avait bien conservé la tradition religieuse des Acadiens et étaient eux-mêmes très pieux, ce qui me fut confirmé depuis par un prêtre de la Communauté de La Puye (cependant le vieux père avait l'air beaucoup moins inquiet de la messe que son fils). Ce fils était un vigoureux homme de 35 ans environ, marié, père de famille et établi dans une ferme du voisinage.

D'autre part, comme M. Pinotière devait retourner à Saint-Savin dans la journée, il fallut de notre côté songer à aller visiter le propriétaire actuel de son ancienne propriété où nous devions trouver les anciens titres des Acadiens premiers concessionnaires nous dûmes donc lever la séance et dire au revoir à tous ces braves gens."

Visite au Chilloux chez M. Soulteller. Cette propriété lui a été vendue par M. Pinotière et il en dépend un bien appelé le Loup pendu qui vient des Acadiens.[l'homme en question n'a pas les papiers, mais il donne une lettre de recommandation à Rameau pour le notaire qui les détient]. "Il y a dans ces titres l'ordonnance royale et motivée qui établit les Acadiens dans ces landes en lots numérotés, et croit-il avec nom attributif de chaque lot (ce serait ce dernier titre qui serait fort intéressant pour moi)."

Rameau poursuit sa visite ; visite d'un couvent de femme, à la recherche de renseignements ; rencontre quelqu'un qui lui apprend que "l'ancien curé de la Puye, mort il y a quelques mois, s'était beaucoup occupé de cette question mais qu'il ignore en ce moment ce qu'ont pu devenir ses travaux. Je lui promet de revenir".
rencontre une Papuchon, la petite fille d'une Acadienne. "Elle se souvient que sa grand mère lui a dit que les Acadiens étaient fort aisés, avaient de grands troupeaux et habitués à manger beaucoup de viande". - allusion à un de ses fils qui réussit très bien au lycée de Poitiers et se prépare pour l'école polytechnique - peut-être s'agit-il du futur général Papuchon ? -

5 mars. Rameau retraverse la ligne Acadienne (il décrit sa mélancolie, la pauvreté d'une partie des habitations)
Rencontre avec un notaire soupçonneux qui voit en lui encore un agent de succession.
Rencontre avec Madame Collet, qui a bien connu Angélique Braud.

Angélique Braud, selon les dires de celle-ci = "femme d'une véritable distinction, elle avait de l'instruction, un grand air et une conversation intéressante".
Rencontre avec Daigle le sacristain : "il ne se rappelle rien de particulier, si ce n'est que son grand-père Romain Daigle fils de marin Daigle était né soit en mer soit en débarquant en France en venant d'Amérique, soit en Amérique même peu de temps avant de partir et qu'il avait été baptisé par un prêtre nommé Gibaut ; il me dit de plus que ce grand-père avait dit souvent que sa mère la femme de Marin Daigle était originaire de Touraine (or sa mère était Marie Tècle Terriau. Les Terriau auraient-ils donc été originaires de Touraine 150 ans auparavant ?).
Le juron de ce Romain Daigle était : Diable me mange.

Il est venu aussi chez le notaire une femme descendant des Sauvion. Je lui dis : "mais il me semblait que votre grand-père avait été au Mississippi". "Oui, me dit-elle, mais il en est revenu" !
rencontre ensuite avec le curé d'Archigny : il sait peu de chose mais confirme à Rameau que les "Braud étaient du Cap Breton, et semblaient presque des gens de distinction. Angélique Braud lui a dit souvent que dans son pays elle portait des robes de soie."
Rameau parcourt encore la ligne acadienne où des terres restent encore à défricher, ce qui signifie selon lui que les terres ne valaient pas grand chose.

Mardi 6 mars : en partant, il laisse son adresse à diverses personnes ainsi que la liste des Acadiens qu'il a retrouvé. Les gens pensent toujours qu'il fait des recherches pour une succession et ne comprennent pas qu'il puisse faire des recherches désintéressées.
DSCN2092.JPG Rameau retourne chez le père Boudrot.
Cordial accueil du père Boudrot et bientôt nous entrons en matière : son père est mort à l'âge de 54 ans à peu près au milieu du temps de la révolution. Sa mère se nommait Marie Daigle (au dire de Madame Pichot, la mère Boudrot n'avait pas l'air si distinguée que les autres Acadiennes, elle avait bien plus l'air paysanne, ayant toujours des vêtements mal soignés et vivait très retirée et d'un mode d'existence plus grossier).
Le Père Boudrot est le premier qui ait apporté des pommes de terre dans le pays. Il en avait à peu près plein son chapeau, d'une espère qu'il appelait les pommes de terre du Canada. Il les sema et quand il eut récolté le produit, il en porta environ la valeur de deux boisseaux à l'intendant à Poitiers. L'intendant lui prit les mains en le remerciant avec effusion et lui donna 2 Louis de 24 livres.
Fuchtre, dit-il, en revenant chez lui car c'était là son juron, si je connaissait un autre intendant, je lui en apporterais encore deux boisseaux tout de suite. Ils restèrent assez longtemps à Bonneuil Matours avant de prendre possession de leurs métairies sur la ligne, puis ils furent aussi dans une ferme appartenant à Mr Pérusse nommée Frolle, presque tous leurs Actes d'Etat civil ont été passé à Bonneuil Matours (peut-être Frolle est-il sur cette paroisse ?).
Le père Boudrot laissa 3 fils et 3 filles.
L'aîné des fils nommé Issac était né à l'île Saint-Jean ainsi que les 2 filles, il ne s'est pas marié ; le second fils était lui Benjamin Boudrot ; le troisième plus jeune que lui s'appelait Paul.
Raconte ensuite sa vie ; les enfants qu'il a eu, qu'il a pu racheter de la conscription ; lui même était conscrit en 1792, mais il a pu échapper d'une manière qui est racontée ailleurs [où ?] ; Rameau lui fait ensuite reconnaître les noms des Acadiens qu'il a trouvé dans les actes d'Etat civil, mais il ne les reconnaît pas tous, car "j'étais si jeune dans les premiers temps de l'arrivée ici que beaucoup de choses et de noms ont pu m'échapper. Il n'avait que 2 ou 3 ans en 1775, tout au plus 4 ans, or dans les années qui suivirent l'établissement la plupart des Acadiens s'en allèrent peu après au Mississippi, sa mémoire est très nette sur ce point : ce fut dans les 5 ou 6 premières années de leur arrivée que se fit ce départ ; ils se rendaient à Châtellerault, où on leur donnait leur route comme aux soldats pour aller s'embarquer à Nantes ; ils étaient défrayés de tout pendant leur... [pas de suite à cette phrase].
Ils savaient tous en partant qu'ils allaient au Mississippi et qu'on leur y donnerait des terres. Il ignore si c'était le gouvernement Français ou Espagnol qui payait les frais de route, mais ils savaient bien qu'ils allaient chez les Espagnols (comme me l'a témoigné la femme Suzanne Foucher) et ils étaient certainement défrayés et tout car ils partaient de chez eux quelques uns avec de l'argent, mais la plupart sans rien du tout. Ils se rendaient à Châtellerault où on leur procurait les moyens de faire leur route (comment savaient-ils qu'ils auraient des terres au Miss. qu'est-ce qui les attiraient là ? Etaient-ce des lettres des Acadiens qui y étaient déjà, ou était-ce l'instigation des Agents que le gouvernement espagnol aurait envoyé ? Il n'a pu rien me dire sur ce sujet).
[préoccupation de Rameau est de savoir si le gouvernement français aida financièrement les Acadiens à partir du Poitou ; il semble ne rapporter du récit de Boudrot que ce qui répond à ses questions qui sont : quelle était l'aide du gouvernement, comment les Acadiens savaient-ils qu'il y avait des terres au Mississippi, etc...]

Quoiqu'il en soit, ils partaient tous en foule à cette époque et souvent les jeunes gens malgré les pères. Son frère Isaac qui pouvait en 1777 avoir 17 ou 18 ans voulait absolument partir, il a fait trois fois son paquet pour partir avec les autres, du reste en général ils partaient en famille tous ensembles hommes, femmes et enfants, car si M. de Pérusse ne les avait pas retenu ils seraient très certainement partis tous ensemble y compris lui qui n'avait alors que 5 ou 6 ans.
Il se rappelle très bien les adieux qu'on venait leur faire chez eux quand on partait ; un de leurs cousins nommé Ambroise (c'est sans doute Ambroise Guillot) vint un jour avec d'autres jeunes gens les embrasser tous ; il y avait aussi un Sauvion ; son père et frère voulaient encore partir avec eux, sa mère les retint. Cet Ambroise Guillot a écrit à ses parents d'ici il n'y a pas plus d'une vingtaine d'années.
Les plus résolus et les plus entreprenants parmi les Acadiens disaient en venant voir les autres et en parcourant la ligne : "Ah, par exemple, est-ce que nous resterons ici pour manger de la brande (bruyère et ajoncs qui croissaient sur la lande). Non, non, il faut filer au pays".
(je lui demande s'il se rappelle qu'on leur distribua des vivres et munitions, il n'en a pas souvenance, mais le Maire Mr Pichot m'a bien dit que ces distributions se faisaient et que même cela a duré plusieurs années).
Sur ce, comme il se faisait tard, je me lève et lui dis que je vais le quitter pour me rendre à Chauvigny ; ces braves gens qui voulaient me retenir à coucher chez eux, mais cela m'était impossible.
Avant de partir, le père Boudrot me montra une chaudière ou marmite que son père avait rapporté de l'Acadie et qu'il a toujours conservé. Cette marmite est en fonte ou en fer, elle est sur 3 pieds ; elle a une anse mobile et à côté d'un des anneaux où est attachée l'anse se trouve dans le bord de la marmite une échancrure demi circulaire, qui dit-il, était destinées à laisser échapper la vapeur et l'écume quand la marmite était sur le feu. Son ventre est très renflé, elle peut avoir 35 à 40 centimètres de hauteur.
Après quoi [...] je lui dis au revoir et que j'espère bien le retrouver encore à mon retour d'Amérique et lui donner des nouvelles de ses parents.
rencontre d'un autre descendant d'Acadiens qui dit descendre d'un chirurgien en Acadie (le père de son grand père). Pas plus de détails.

Mercredi 7 mars : re départ de Rameau.
Le résumé de mes découvertes est qu'il y a encore dans le pays 4 familles acadiennes : 1° les Boudrot [... il donne des détails] ; 2° les Daigle, savoir... etc...[...] Quand aux descendants par les femmes, ils sont nombreux, tenant aux Braud, aux Hébert, aux Doucet, aux Trahan, etc...

Noms pris en notes par Rameau d'après l'Etat civil.

Notes de Rouet : A la suite du texte principal dans lequel Rameau de Saint-Père relate sa visite dans le Poitou, son manuscrit comporte plusieurs feuillets non paginés résumant les dires de diverses personnes rencontrées ou synthétisant l'histoire du peuple acadien en Poitou.

Dires de Boudrot
Benjamin Boudrot,"vieillard de 88 ans, fils d'un des Acadiens qui était venu de l'île Saint-Jean [...] encore vert malgré son grand âge. [Il] me fit voir ses biens et répondit à mes questions dans une grande clarté. Je résumerai ici en quelques lignes l'histoire de son père, Pierre Boudrot, né en 1738 ou 1739 du côté des Mines (je pense que c'était Cabequid ?). Il quitte à 18 ans par peur d'être pris par les anglais [...]. C'est donc en 1754 qu'il part à la côte de la mer (Baie Verte) ce qui le conduit à l'île Saint-Jean.

Difficulté du départ : parti avec une troupe d'autres insurgés, qui comme lui voulaient quitter le pays lorsqu'en 1758 ou 1759 ils furent saisis par les Anglais.
Ici, Boudrot ne put me dire ce qui se passa, il me dit qu'ils étaient à Saint-Malo en 1772.
Dans ce cas là ils ne se seraient pas mariés à l'île Saint-Jean mais en France. Son fils aîné, Isaac, serait né en 1763 ou 1764, et se serait dans une ferme à St-Malo que Pierre Boudrot se serait marié en 1762 ou 1763 puisqu'on trouve dans l'Etat de 1772 que Isaac aurait eu 8 ans à cette date.
Lui, Pierre Boudrot [Rameau veut parler de Benjamin] serait né en Poitou juste après 1772 ou 1773, puisqu'il ne figure pas sur cette liste. Il serait né après leur arrivée à la Puye. Son frère Paul est né après lui en Poitou.
Il avait retenu un certain nombres de détails sur la vie de son père et de ses compatriotes de l'île ; il faisait partie à Saint-Malo d'un groupe de 6 familles très parentes et amies : Girouard, 2 Guillot, Daigle et Boudrot son père et Guillot encore. Il avait épousé la soeur de Girouard. Pierre Boudrot a eu 3 fils : Isaac, Benjamin et Paul.
[à noter qu'il n'explique pas ici comment il a échappé à la conscription, contrairement à ce que laisse entendre le texte principal précédent où Rameau renvoi au passage : Dires de Boudrot ; soit il manque un passage, soit Rouet n'a pas tout retranscrit, soit Rameau a oublié de retranscrire tout.]

Dires de Mme Papuchon, née Daigle, âgée de 40 ans environ.
Elle a peu vécu dans sa famille, mais elle a bien entendu dire à son grand-père que les Acadiens étaient fort aises dans leur pays, aussi qu'ils se trouvaient ici extrêmement misérables et dénués de tout, d'après leurs habitudes passées - qu'ils étaient surtout chez eux habitués à manger beaucoup de viande, plus de viande que de pain dit-elle. "Ah, disait ma grand-mère, s'il avait fallu leur fournir de la viande, allez, tous les bouchers des environs n'y auraient pas suffi". Il paraît qu'ils avaient des bestiaux en quantité, et quand ils avaient besoin de viande, ils tuaient eux-même une de leurs bêtes".

Dires de Mme Baulu, femme Pichot.
Habillement en Acadie : "Les femmes étaient costumées avec des corps qui avaient par devant une devantière qui finissait en pointe.
Leur camisole débordait sur les hanches de la largeur de 2 mains, et cette partie qui débordait était échancrée en plusieurs pièces. Elles avaient de grandes manches. Les hommes avaient de grandes redingotes qui tombaient jusqu'aux genoux et qui s'appelaient des Biaudes. Ils avaient des culottes qui ne s'arrêtaient au genoux. Leurs cheveux étaient serrés par derrière par une queue.
Sa grand mère lui a souvent parlé de la queue de son grand-père. Elle compare cela à la queue des chinois. Sa grand-mère lui a dit qu'ils n'avaient de Calot que de bonnet à étoffes et elle en a vu en effet qui étaient superbes.
Elles étaient très habiles à tricoter des jupes de laine.

Elle avait beaucoup d'anciens papiers de ses parents, mais ils sont chez un de ses beau-frère Beauvillain demeurant à Lencloître.

Elle me dit que sa grand-mère lui avait parlé de La Fourchat [La Fourche, en Louisiane, note de Rouet]. C'était un nom du pays d'où elle venait. Ce doit être le Cap Fourché du Cap Breton, elle disait qu'ils restaient à un endroit appelé "Les trois chênes". Je ne connais pas.
Ils mangeaient une grande quantité de graisse, du lait même cru, il y avait un nommé Isaac qu'ils appelaient Mangeur de lard. La mère à Boudrot était costumée et avait toutes les allures d'une paysanne. Elle me fait manger un poulet cuit dans une sauce de graisse et de vin blanc dont elle me dit tenir la recette de ses grands parents acadiens. Un de ses parents ici a encore une marmite acadienne.


[notes diverses regroupées]
Mr le Curé d'Archigny a parfaitement confirmé ce que m'avait dit Mme Pichot et qu'Angélique Braud lui avait dit à lui-même qu'elle avait demeuré assez de temps au Cap Breton après avoir quitté l'Acadie.
Le curé quil 'avait baptisé Daigle était un nommé Gibaut. Il me semble qu'il y avait un missionnaire de ce nom en Acadie ?
Il (le curé) a connu l'architecte de Poitiers qui avait fait le plan et le construction de la Ligne acadienne. Il s'appelait Mr Vétot ou Vétaut. Il faisait mettre et battre ensemble un lit de terre et il lit de brandes et ainsi de suite.
[...]

Le maire de La Puye pense qu'ils ont eu des subsisdes de vivre pendant plus d'un an - et il se rappelle bien avoir oui dire qu'ils avaient successivement vendu boeufs, vaches, outils, etc... ce qui m'a été confirmé par plusieurs.
Quelques uns des Acadiens même abandonnèrent leur concession sans la vendre, quoique la plupart cherchèrent à faire argent de leurs droits.
L'ordonnance portait que quiconque épousait une fille acadienne avait droit à la moitié d'une concession, c'est ce qui fait que beaucoup de filles se marièrent pendant leur séjour et par là restèrent en France.

J'ai compté les maisons de la ligne depuis et après avoir passé la Croix de bois en revenant sur Archigny : il y en a 21 encore existantes, mais on dit que plusieurs sont écroulées et d'autres commencées mais non finies.

[essai de résumé effectué par Rameau]

* Maisons Lignes Acadiennes
EN 1862, il reste 40 logements en 3 groupes de maisons.
[etc...]

* La moitié au moins de ces deux états de Rochefort, 1770 et 1773, sont formés des Acadiens qui débarqués à Boulogne en 1759 ont été emmenés ensuite en Guyane en 1764 et en sont revenus en 1765-66.
Ainsi dans chacune de ces listes il y a une cinquantaine de personnnes qui sont de retour de Cayenne.
Il y a des familles tout entière qui ont été et sont revenues de la Guyanne avec femmes et enfants.
Voir ci inclus les 2 groupes Leblanc et Trahan.
Combien en est-il mort dans ce voyage à la Guyane ?
Toutes ces familles venaient de l'île Saint-Jean.

[... plusieurs notes pas très intéressantes]

Les plus hardis disaient en venant à la Ligne : "Ah, par exemple, nous ne resterons pas ici à manger de la brande, il faut filer au pays"
"Ils savaient tous qu'ils allaient au Mississippi et qu'on leur y donnerait des terres et que c'est le gouvernement français ou espagnol qui payait les frais de route. Ils partirent de chez eux, quelques uns avec un peu d'argent mais beaucoup d'autres sans rien et ils allaient à Châtellerault où on leur donnait leur route comme à des soldats.
Boudrot parle qu'ils partaient en famille car s'ils étaient partis eux, ils seraient partis tous ensemble. Son frère Isaac voulait partir, il a fait trois fois ses paquets.
C'est son père qui a apporté des pommes de terres."

Notes

Tiré de CEA Moncton, Fonds Rameau de Saint-Père, Acadiens du Poitou, 2.12-4 (feuillets). ; quelques notes dans Rouet # 62 p. 150 et suivantes ; Rouet [thèse] p. 510 et suivantes.
Notes : ceci est un résumé des notes de Rameau, et parfois des extraits, théoriquement entre " ". Je n'ai pris que ce qui me paraissait intéressant [8 janvier 2003] ; je n'ai pas rentré tous les noms dans la base "individus", parce que cela me semblait inutile. Je n'ai pas non plus repris les indications de feuillet [numérotés de A à G, dans le désordre, indiqués par Rouet]
photos : 2085.jpg et suivantes.

à comparer avec le récit de Rameau dans "Une colonie féodale, l'Acadie" (fiche @ 1910)

Mots-clés

// Boulogne
// trésor
// sauvages
// Récits mythiques sur les Acadiens
// épopée du père de Benjamin Boudrot
// chasse
// ours
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// contact avec les Amérindiens
// objets exotiques
// souvenirs plus ou moins

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000082