Document : 1772-07-01
Références / localisation du document
BM Bordeaux, MS 1480, f°112-116// f° 67-68
Date(s)
1772-07-01
Auteur ou organisme producteur
Saint-Victour
Destinataire
Lemoyne
Résumé et contenu
S.V. à L. accepte d'accueillir une famille à certaines conditions mais n'a pas réussi à convaincre ses voisins.
N'a pas oublié les propositions de L. et a cherché à convaincre des voisins, mais ce qu'il redoutait était juste : méfiance de confier son bien à des étrangers. A communiqué la lettre et les idées de L. à Turgot.
Personnellement, est prêt à accueillir une famille (3 hommes 5 femmes) aux mêmes conditions qu'aux métayers nationaux. Ferme "clé en mains". Il demande des gens "laborieux et intelligents, soit pour la culture des terres, soit pour le soin des bestiaux". Il devra renvoyer à Noël un métayer qui y est actuellement ; il fournira des terres à défricher dont la moitié restera la propriété du laboureur. Demande aussi 2 ans de secours du Roi [ceci, ce n'est pas la condition des métayers nationaux !].
"quant à l'imposition établie sur le domaine, il ne me paraîtrait pas juste que le métayer acadien en fut exempt si le rejet de cette imposition doit être fait sur le reste de la paroisse" : [autrement dit il ne veut pas payer autant d'impôts si les Acadiens en sont exemptés ?]. Demande au Roi une exemption pour lui aussi, ce qu'il justifie par l'incitation que cela donnera aux voisins.
Il demande aussi des métayers bons travailleurs, bonnes m?urs, etc.
Passage final humoristique : il décrit le pays en ces termes : Je dois encore vous instruire du genre de nourriture du paysan de cette partie de la province [description de la nourriture ; pas de vin, mais] "la grande abondance de laitage et d'excellentes eaux suppléent amplement [au vin] et forment une meilleure nourriture à en juger par la comparaison de la constitution des paysans habitant cette partie de la province et de celle des paysans de pays de vignoble : c'est voir des lapons à côté des Suédois." [etc...]
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Copie d'une lettre de M. de Saint-Victour à Lemoyne de Tulle le 1er juillet 1772.
Je n'ai point perdu de vue, M., les idées que vous m'avez fait l'honneur de vous [sic] communiquer sur les familles acadiennes. Je n'ai pas non plus renoncé au désir d'en établir chez moi, et je n'ai différé à vous entretenir à ce sujet depuis ma réponse [cf. fiche # 118] à votre lettre du 12 avril [voir fiche # 100] que pour donner plus d'extension à ce projet et pour cela j'en ai parlé à plusieurs gentilshommes ou propriétaires de mon voisinage, mais j'ai vu réaliser les conjectures que j'avais eu l'honneur de vous communiquer. La méfiance d'une part de confier son bien à des étrangers dont on ne connait ni la sûreté ni les talents et de l'autre la mésaisance [sic] [souligné dans le texte], mal général dans cette province et que trois années de disette ont rendu encore plus grévant, sont des obstacles que le temps seul et l'expérience du succès de quelques unes de ces familles peuvent détruire.
Je ne m'en suis pas tenu là, j'ai communiqué la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 12 avril à notre intendant [Turgot] avec lequel je viens de passer trois semaines en tournée dans la partie de sa généralité qui offre le plus de ressources à l'établissement des acadiens par la quantité immense de terres en friches qui y existe faute de cultivateurs. Il m'a paru goûter vos idées, il m'a demandé copie de votre lettre que je lui ai donné et il m'a promis qu'il en écrirait au ministre dès qu'il serait fixé à Limoges : cette affaire par sa nature et par les obstacles que porteront toujours à son exécution la mésaisance et les méfiances existantes dans cette province, est mieux dans les mains d'un administrateur intelligent et zelé comme l'est M. Turgot que dans celles d'un particulier.
Quant à ce qui m'est personnel, je suis très résolu à établir dans le plus fort de mes domaines c'est à peu près ce qui s'appelle ferme ailleurs, une de ces familles, il me la faudrait composée de 4 ou 5 hommes forts, travailleurs, deux ou trois femmes y seraient occupées, le nombre d'enfant n'y fait rien, il en fait au moins deux d'assez forts pour garder les bestiaux, mais le domaine bien cultivé peut en nourrir un plus grand nombre.
Ce domaine est composé d'environ 200 arpents mesure de Paris de terres dont environ moitié de terres labourables, près et bois, et l'autre moitié en friche, mais susceptibles pour la plus grande partie de culture.
La condition de nos métayers nationaux et qui serait la même pour les Acadiens est qu'ils entrent dans ces domaines, avec leurs bras et leurs nippes. Ils les trouvent garnis d'un nombre suffisant de bestiaux propres à la culture des teres, d'outils etc...
[description ensuite du domaine... ; il ne veut que des personnes qui connaissent déjà des choses en élevage ; ils s'établiraient sur les terres d'un métayer qui était auparavant là ! : "Voilà, M., dans le plus grand détail l'exposé de la nature de nos domaines et de l'Etat de nos métayers si vous pouvez me procurer une famille ou deux réunies pour composer le nombre que j'ai eu l'honneur de vous marquer, et qui sont laborieux et intelligents, soit pour la culture des terres, soit pour le soin des bestiaux, je vous en serai obligé, et je lui passerai une baillette de 20 ou même 30 années. Je ne puis au reste les prendre que vers Noël, ne m'étant pas libre de renvoyer plus tôt le métayer qu'ils remplaceront.
Quant au terrain en friche que les Acadiens pourront mettre en valeur dans le cours de leurs baillettes, sans toutefois négliger le soin des terres en culture, je souscris aux conditions contenues dans votre lettre du 12 avril, et elles seront insérées dans la baillette ou dans un acte séparé qui ne peut être rédigé qu'après que ces bonnes gens auront pris connaissance du local que nous nous serons consultés sur l'usage qu'il nous conviendra respectivement de faire de ces terres incultes.
[il demande ensuite les secours de 6 sols pendant deux ans en expliquant qu'il devra sinon nourrir la famille pendant deux ans à ses frais]
"quant à l'imposition établie sur le domaine, il ne me paraîtrait pas juste que le métayer acadien en fut exempt si le rejet de cette imposition doit être fait sur le reste de la paroisse ; mais si le Roi juge à propos d'en gratifier le propriétaire du fond et le métayer, au moins un certain nombre d'années, ce serait non seulement une douceur pour les acadiens et pour moi, mais un encouragement pour déterminer les propriétaires voisins à en prendre et sur ce point, M., je m'en rapporte à votre prudence et à la justice du ministre.
Ce qui est bien essentiel, Monsieur, non seulement dans mon intérêt et dans celui de la famille que je vous demande, mais pour encourager les voisins, qui nous observeront, à demander de ces familles c'est que vous vouliez bien m'envoyer de bons cultivateurs, qui ayant l'intelligence du labour, du soin des prairies naturelles et de celui des bestiaux, cette dernière partie surtout est une des plus intéressantes. D'ailleurs des gens fidèles, de bonnes moeurs et travailleurs.
Je dois encore vous instruire du genre de nourriture du paysans de cette partie de la province [description de la nourriture ; pas de vin, mais] "la grande abondance de laitage et d'excellentes eaux suppléent amplement [au vin] et forment une meilleure nourriture à en juger par la comparaison de la constitution des paysans habitant cette partie de la province et de celles des paysans de pays de vignoble : c'est voir des lapons à côté des Suédois." [etc...]
J'ai l'honneur... Saint Victour
Post-Scriptum :
Si cette première expérience reussissait au gré des Acadiens et au mien, j'ai encore place dans ma terre pour 2 ou 3 familles aussi nombreuses et aux mêmes conditions.
Mots-clés
// méfiance des voisins
// Acadiens # métayers nationaux
// Acadiens = bonnes gens
// acadiens = étrangers
// perception
// Saint-Victour
Numéro de document
000119