Document : 1778-06-00
Références / localisation du document
MAE, Mémoire et documents, Angleterre, 47, f° 18-28, pièce 7
Date(s)
1778-06-00
Auteur ou organisme producteur
[Lemoyne ? // Coster ?] // peut-être un rapport du ministère des affaires étrangères ou du ministère de la marine
Résumé et contenu
Mémoire sur les Acadiens. Historique des Acadiens et politique de Necker jusqu'en 1778.
Mémoire sur les Acadiens. Historique de l'allégeance acadienne et causes de leur déportation. Discussion des mesures prises depuis leur arrivée dans les ports jusqu'en 1778 (ministère de Necker). Document extrêmement détaillé (10 pages format word), le plus long rapport retrouvé à ce jour. Document exploité et résumé par Winzerling sur un ou deux chapitres.
Résumé rapide (1 page) et points importants (un résumé détaillé de 4 pages se trouve ci-dessous)
Le document est divisé en gros en deux parties distinctes : 1. Une histoire des Acadiens résumée de 1713 à 1775-6 ; 2. des détails des mesures récentes prises par Necker (projet de l'établissement de Corse et projet de dispersion des Acadiens dans le Royaume qui est finalement retenu après le refus d'une partie des Acadiens de se rendre en Corse et l'acceptation par une députation d'Acadiens de renoncer à leur solde et à diverses autres mauvaises conditions)
La première partie du document fournit un résumé de l'histoire acadienne arrangée à la sauce du rédacteur pour mettre en évidence l'attachement des Acadiens à la France et leur comportement exemplaire. La thèse est que malgré les tentatives des Anglais, les Acadiens sont restés fidèles à la France. Détails des serments d'allégeance demandés (étude du droit), récit mythique de vieillards qui offrent leur poitrine plutôt que trahir la France, passage sous silence de la responsabilité de l'abbé Le Loutre (selon cette version, ce sont les Anglais qui excitent les Micmacs contre les Français). Passage de nombreux Acadiens à Louisbourg / Ile Royale qui de là passent en France. Quelques imprécisions (par rapport au rapport de Nivernais) sur leur passage aux Colonies Américaines. Séjour en Angleterre (probablement un résumé du rapport de Nivernais mais il me semble qu'il contient d'autres informations). A leur arrivée dans les ports en France, ils sont " dispersés ".
Résumé ensuite des diverses tentatives d'établissement proposées aux Acadiens. L'échec de ces tentatives est attribué en partie aux changements de ministre.
Le seul projet rejeté par les Acadiens est celui de Corse (les raisons sont expliquées, notamment la " peur des habitants " - il doit s'agir d'un résumé du mémoire de Le Loutre @ 93). Globalement, les Acadiens sont présentés comme étant toujours de bonne volonté.
Par exemple pour l'établissement du Poitou, la responsabilité est rejetée sur la mauvaise qualité des terres, sur l'inapplication partielle des mesures proposées par Lemoyne, sur la mauvaise volonté de l'évêque de Poitiers qui, contrairement à Pérusse, refuse de diminuer ses redevances. Pour ne pas s'exposer à de nouvelles dépenses, le ministre finit par renvoyer les Acadiens qui le souhaitent à Nantes, il n'en reste plus que 160 dans le Poitou.
Seconde partie du document :
Le document évoque ensuite le renouvellement d'un projet d'envoi des Acadiens en Corse (la responsabilité en est donné à M. Treillard). Necker y est dans un premier temps hostile. Il ne voit que la dépense occasionnée par les Acadiens. Il décide de se faire rendre compte de diverses choses concernant les Acadiens, notamment un mémoire historique sur l'histoire des Acadiens depuis le traité d'Utrecht, l'état de ce qu'ils coûtent, un résumé de ce qui s'est passé dans le Poitou. Le rapport lui est présenté le 10 novembre 1777 au cours d'une séance du conseil. Le rapport lui est présenté par M. Coster ( ?) qui l'a élaboré à partir des documents concernant les Acadiens " déposés au Contrôle général, et sur quelques autres pièces authentiques ". Le rapport amène Necker a accepter le plan d'établissement en Corse.
Cependant, pendant ce temps là, les familles acadiennes sont divisées sur l'établissement de Corse. Schisme. Une partie envoie deux députés (un Acadien et un Espagnol) dont l'auteur nous dit qu'ils ne sont pas habiles et qu'ils n'ont pas l'assentiment des autres Acadiens. Les autres font prévenir Treillard et Necker en est informé également (pourtant, il va négocier avec eux comme si de rien n'était - man?uvre de Necker ou couac de l'administration ?)
Necker, probablement confronté à des mauvais négociateurs, propose des conditions très mauvaises pour les Acadiens (non paiement des arrérages de solde, non paiement des dettes, diminution de la solde à 3 sous et donne deux ans aux Acadiens pour aller là où ils le veulent (dispersion) dans le royaume et après suppression de la solde). Les députés acadiens acceptent, mais Necker s'aperçoit que les députés ne sont en fait pas habilités à accepter pour les autres. De plus, s'ajoute le problème que les dettes ne dépendent pas des Acadiens, mais des débiteurs. Le problème, pour le gouvernement, est compliqué par le fait que les intendants se sont semble-t-il plus ou moins portés garants des dettes contractées par les Acadiens. Necker décide cependant de proposer directement à tous les Acadiens ce projet.
Le rédacteur conclut que le projet en est là. Cette proposition a été faite aux Acadiens (par l'intermédiaire de l'intendant de Bretagne) il y a quatre mois, mais les Acadiens sont divisés entre ceux qui veulent retourner en Acadie, ceux qui veulent aller en Louisiane, retourner en Poitou, ou encore aller en Corse.
Quelques remarques personnelles fort intéressantes de l'auteur pour finir : il estime que même si on parvient à disperser les Acadiens, on ne s'affranchira pas de l'obligation (légale) de leur fournir un établissement : " Il résulte donc que les Acadiens peuvent bien être dispersés et obligés de céder au temps et à l'autorité, mais que chaque individu ou chaque famille de cette nation ne peut perdre le droit de recourir à la justice et à la clémence du Roy pour réclamer l'exécution de la promesse qui leur a été faite et dont le gouvernement a constamment reconnu et rempli l'obligation et la justice pendant plus de 14 ans. "
Notes : Le mot "nation" est employé à outrance dans ce document pour désigner les Acadiens. Le principe de la députation de ces mêmes acadiens est accepté.
Mention d'une séance à Fontainebleau consacrée aux Acadiens le 10 novembre 1777 [1777-11-10]
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Historique de l'Acadie : 25 hommes et 25 femmes à l'origine puis à nouveau 25 autres 20 ans après. " Les Acadiens conviennent que leurs ancêtres étaient de mauvais sujets dont la France se débarrassait en peuplant ses colonies, et ils prétendent qu'en 1755 la population se portait à 26 000 âmes ". Allusion intéressante à des envoyés (les 30 mois) " ; ils avaient accru leur population en recevant tous les malheureux que les naufrages, la misère, ou la désertion y conduisaient ".
Remarques sur les lois de l'Acadie = même chose qu'au Canada. Système seigneurial avec des redevances.
Lors de la cession de l'Acadie en 1713, les Acadiens restèrent " mais ils ne se reconnurent jamais (tradition constante et unanime parmi les Acadiens), pour leurs personnes, sujets de l'Angleterre ". Ils se gouvernaient (réglaient leurs conflits ; pas un seul crime en 42 ans) eux-même.
Autorité du Roi de GB sur leurs biens mais pas sur leurs personnes. Leur attachement à leur patrie les a conduit à sacrifier leurs biens.
Devoirs limités dus au Roi de GB (c'est du moins ce qu'ils estiment) : corvées au passage des troupes, ravitaillement etc? au troupes britanniques. " Encore mettaient-ils à cette prestation la clause de fournir la même chose aux troupes françaises qui passeraient dans la province. " [justification a posteriori de l'affaire du duc d'Anville]. Pas d'obligation de milice, et jamais n'ont voulu porter les armes contre la France ou contre les Sauvages avec lesquels ils vivaient en bonne entente. Ils ont donc vécu en état d'indépendance : " C'est cette situation qui les a fait nommer par toutes les nations maritimes, et par les anglais eux mêmes, les Français neutres de l'Acadie [souligné dans le texte]. ". Les Anglais n'ont pas réussi à se les attacher.
DISCUSSION SUR LES FONDEMENTS LEGAUX DE LA NEUTRALITE : La neutralité leur a été accordée en 1715 (par une capitulation qui devait être renouvelée tous les 15 ans). Ils n'ont pas eu de problèmes pendant 15 ans, mais on n'a trouvé aucune trace de l'acte original (probablement promesse verbale que ce peuple simple et loyal a accepté).
NATION / CORPS de NATION (premières occurrences ici) : en 1730, élection de députés envoyés à Halifax pour le renouvellement de la promesse. Ils ne signent pas formellement le serment mais promettent d'être fidèles (avec la clause qu'ils puissent conserver la neutralité). La promesse qu'ils obtiennent du gouverneur en retour est signée seulement de leurs prêtres (= sans valeur, mais ils ne le savent pas).
En 1742, reprise de leurs problèmes (chicanes du gouverneur anglais, un huguenot) à propos de la prestation de serment. Craintes, menaces du gouverneur. Ils invoquent le gouverneur de Nouvelle-Angleterre.
Sur ces entrefaites, ravitaillement de l'escadre de d'Anville. Les Acadiens sont très heureux, ils croient qu'ils vont être libérés. Les Anglais avaient noté leur joie.
En 1747, Paix d'Aix-La-Chapelle. A ce moment, réponse du gouvernement anglais à la demande du gouverneur de la Nouvelle-Angleterre (Carlisle) : pas d'inquiétude pour ceux qui seraient fidèles, mais quelques uns ont leurs têtes mises à prix. " La nation ne voulut jamais arrêter ces proscrits dont la plupart restèrent dans le pays. "
DEPUIS LA PAIX D'AIX LA CHAPELLE JUSQU'A L'ANNEE 1755
Après la paix, pas de tranquillité. Les Anglais excitent les nations sauvages contre eux. [pas de mention du fait que c'est Le Loutre qui est responsable de cela]. Ceux qui ont leur villages dévastés vont à la pointe Beauséjour (construction du fort).
Le gouverneur veut une milice de 600 hommes. Refus de porter les armes contre la France. Contestation : le gouverneur dit qu'ils sont comme toute province anglaise, qu'ils doivent fournir milice et se battre contre tout ennemi. Exigence du serment d'allégeance. Récit des principaux et des vieillards envoyés à Halifax, on les menace de tirer : " tirez, Messieurs, etc?. " (récit mythique).
Massacre, incendie puis arrestation des survivants déportés en Nouvelle-Angleterre. Quelques fugitifs qui passent à Louisbourg et de là en France. De ceux déportés en NA, près de 3000 conduits en Angleterre jusqu'à la paix.
EPOQUE DE LEUR LIBERATION EN 1763
Au moments des pourparlers de paix, ils apprennent l'envoi d'un ambassadeur extraordinaire. " Le gouvernement anglais leur faisait proposer de leur rendre leur patrie et leurs biens n'exigeant d'eux que ce serment d'allégeance qu'ils avaient constamment refusé depuis 1742 "
Les A. s'adressèrent au duc de Nivernais qui obtint promesse du Roi. Ils recevaient en Angleterre 6 sous par jour et 5 [schillings ?] par an pour le logement. En France ils seraient mieux traités encore.
Les Anglais cherchèrent à éviter la perte en faisant pression (suspension de leur solde et leur disent que la France veut les envoyer dans les colonies trop chaudes. Envoi de députés furtivement. Allusion au paiement de leur solde par Nivernais. Allusion aux mesures pour le transport des Acadiens et petite vérole qui se déclare alors [confusion à mon avis dans l'esprit de l'auteur].
" Les Acadiens, à leur arrivée en France furent distribués dans les villes maritimes. " Responsabilité du ministère de la marine qui en charge Lemoyne [raccourci de l'auteur de plusieurs années, piège dans lequel est tombé Winzerling].
Succession de projets sans suite (les Acadiens n'en refusent aucun). Un grand nombre périt à Cayenne. 1771, transfert vers la Finance. Refus de l'établissement de Corse (exposé des causes avancées, probablement un résumé du mémoire de Le Loutre).
En 1772, la finance trouvait qu'ils coûtaient cher et eux même étaient affligés de coûter si cher, donc ont proposé de passer sous la domination de l'Espagne (Sierre Morena ou Louisiane).
REFUS DU ROI. ATTACHEMENT A LA GLEBE. Le Conseil accepta, mais le Roi refusa " Il voulut conserver les A. dans son royaume ordonna qu'on leur chercha des établissements conformément à la promesse qui leur en avait été faite, et parût mécontent de ce qu'elle n'était pas effectuée depuis 10 ans. L'intention de S. M. était de les attacher à la glèbe ; c'était ce qu'on leur avait promis ; c'était les rendre utiles et heureux en les rendant à leur occupation primitive, et c'était aussi le seul moyen de conserver la pureté des m?urs de cette excellente espèce d'hommes. "
APPEL de LEMOYNE et PROJET DU POITOU. Lemoyne s'occupait depuis longtemps des Acadiens. Proposition de Lemoyne d'un établissement dans le Poitou, mais projet pas appliqué dans son intégralité. On n'a donné à Pérusse que les 2/3 de ce qu'il demandait (il s'en est contenté) et rapport défavorable des Acadiens (explications), mais on s'obstine.
BONNE VOLONTE des ACADIENS dans le Poitou. Mauvaise qualité des terres est la raison de l'échec, avec la mauvaise volonté de l'évêque de Poitiers, qui, contrairement à Pérusse, refuse de baisser les redevances.
Crainte du gouvernement d'une explosion des dépenses ; restriction du nombre des maisons et autorisation aux Acadiens qui le veulent de retourner en Bretagne (à Nantes).
Cessation de la paie aux Acadiens en 1774, prolongée de deux ans, et depuis 1776 seul quelques acomptes ou aumônes ont été payées. Dette de l'Etat à leur égard de 400 000 livres.
MINISTERE DE CLUGNY : projet de Corse (2). Plan. Trelliard est désigné comme responsable. Eloge de Treillard et quelques infos biographiques. Mort de Clugny. Instruction de Taboureau, qui part en retraite.
ETAT ACTUEL de l'AFFAIRE :
Nomination de Necker. " M. Necker directeur général des Finances vient de consentir à l'exécution du projet, c'est à dire à l'établissement de la colonie acadienne en Corse. Le nombre de ceux qui y passeront est d'environ 3,000 ". Au début, Necker = effrayé par la dépense. Il demande des rapports : 1. histoire des A. depuis la paix d'Utrecht ; 2. Dénombrement ; 3° solde et état de ce qui leur est dû et de ce que coûterait l'établissement du Poitou ; 4. détails sur la colonie acadienne du Poitou.
" Ces six objets lui furent présentés par M. Coster avec tout le détail et toute la précision qu'il fut possible de leur donner. Ils furent pris dans les papiers qui concernent les Acadiens déposés au Contrôle général, et sur quelques autres pièces authentiques. Ce travail fut rapporté à Fontainebleau le 10 novembre 1777 dans une séance à laquelle M. L'intendant de Bretagne et le S. de Trelliard directeur des colonies de Corse furent appelés. Ce rapport rassemble les raisons de justice, de politique, et d'économie qui militent en faveur des Acadiens, montrait l'utilité de leur établissement en Corse. "
Décision du 10 novembre 1777. Necker approuve finalement l'établissement, il augmente les concessions à distribuer (mais aussi les redevances à prélever ?). Renvoi à un rapport de ce jour de M. Menard.
DIVISION PARMI LES ACADIENS, UNE MINORITE ENVOIE UNE DEPUTATION : pendant ce temps, division parmi les Acadiens à cause de deux ou trois " Français " qui ont épousé des filles acadiennes. Guerre d'Amérique, les Acadiens espèrent retourner en Acadie + quelques uns préfèrent la Louisiane à la Corse. 60 ou 80 chefs de famille nomment deux députés, " sans le concours général de la nation ".
Les sages de la nation furent alarmés [près de 200 familles] et écrivirent à Trelliard pour le prévenir que les représentants n'étaient pas représentatifs. Necker en fut informé.
Les députés (un acadien et un espagnol) = stupides. Comparaison (défavorable) avec une députation envoyée en novembre 1770 (donne quelques détails).
DEPUTATION DE 1770
Cette députation était venue réclamer le paiement des arriérés des soldes, on leur exposa le projet de Corse, ils ne purent pas s'engager mais promirent d'en parler aux autres.
Objets de cette seconde députation : 1. montrer la misère de la nation et réclamer les arrérages de soldes (ceci = v?ux général de la nation). 2. refus de l'établissement de Corse (une des raison = crainte des habitants). Ce deuxième motif = demandé seulement par 80 habitants.
Les députés acceptèrent les offres qui leur étaient faites alors qu'ils n'en avaient pas le droit.
NOUVELLES CONDITIONS PROPOSEES AUX DEPUTES (DISPERSION) : 1 à 3 : diminution de leur solde, non paiement des arrérages, non paiement des dettes ; 4. " pendant le cours de ces deux années chaque chef de famille indiquerait le lieu ou la province du Royaume qu'il choisirait pour s'y fixer, et que ce choix fait la famille serait aidé d'une somme quelconque proportionnée à la quantité d'individus dont elle serait composée et à la somme qu'elle aurait reçue sur les deux années de solde à raison de 3 s. par jour. "
Inexpérience des députés : non paiement des dettes pose problème : ils ne pouvaient pas discuter des dettes qui ne leur appartenaient pas. Les intendants étaient en outre plus ou moins garants des dettes des Acadiens.
PROJET DE NECKER DE DISPERSER LES ACADIENS :
Après cette entrevue avec les députés de la " nation " qui acceptent les quatre conditions proposées ci-dessus, Necker revient à sa première idée : celle de disperser les Acadiens. Il n'avait changé d'avis (et accepté l'établissement en Corse) qu'après la séance du 10 Novembre 1777.
Necker a donc décidé de faire proposer aux Acadiens les conditions que l'on vient de voir (les 4 points évoqués ci-dessus). Il a écrit à de la Borde intendant de Bretagne pour proposer ces conditions. Ignorance de l'auteur des conditions faites aux Acadiens et ignorance de la réponse des Acadiens. Cela fait 4 mois que les propositions ont été faites mais il ne semble pas qu'ils aient pris aucun parti (les Acadiens ont souvent varié - certains ont demandé la Louisiane, d'autres les USA, d'autres encore le retour en Poitou, enfin d'autres la Corse - mais ils n'ont pas été autorisés à y aller car l'intendant pensait que c'était hors royaume).
REMARQUES PERSONNELLES ET DISCUSSION SUR LES DROITS DES ACADIENS :
" On ne peut se refuser à une réflexion qui a souvent été faite dans tous le cours de cette affaire et qui est amenée ici naturellement par tout ce qui vient d'être exposé, c'est que supposé que les Acadiens aient un droit réel et fondé comme il l'est en effet (et comme le rapport du 10 novembre 1777 en avait convaincu M. le directeur général) à un établissement en fonds de terre dans le Royaume et à une solde de subsistance de 6 sous par jour jusqu'à ce qu'ils jouissent de cet établissement, ce droit quoiqu'on puisse faire pour l'abolir, ne peut l'être que par une renonciation expresse et formelle de chaque chef de famille pour les individus qui la composent.
D'après ce principe, la renonciation des députés n'a pu emporter que celle des 60 ou 80 familles desquelles ils disaient avoir commission, encore fallait-il s'assurer que la commission portait expressément le pouvoir de renoncer pour elles. Faute de cette condition tout ce qu'ils ont fait ne peut être que nul pour les familles qui les ont députés. Ils n'ont donc pas pu renoncer pour toute la nation composée d'environ 326 familles dont à peu près 450 [250 ?] ont ignoré leur députation, s'y sont opposé ou l'ont désavouée.
REGROUPEMENT DISPERSION :
Il résulte donc que les Acadiens peuvent bien être dispersés et obligés de céder au temps et à l'autorité, mais que chaque individu ou chaque famille de cette nation ne peut perdre le droit de recourir à la justice et à la clémence du Roy pour réclamer l'exécution de la promesse qui leur a été faite et dont le gouvernement a constamment reconnu et rempli l'obligation et la justice pendant plus de 14 ans.
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Acadiens. Juin 1778.
Mémoire sur les Acadiens.
L'Acadie fut peuplée premièrement de 25 familles, c'est à dire 25 hommes et 25 femmes. 20 ou 25 ans après on y envoya le même nombre de sujets : c'est de ces 50 mariages que sont venus presque tous les habitants qui s'y trouvèrent en 1755 lorsque les Anglais la dévastèrent. Les Acadiens conviennent que leurs ancêtres étaient de mauvais sujets dont la France se débarrassait en peuplant ses colonies, et ils prétendent qu'en 1755 la population se portait à 26000 âmes ; ils avaient accrû leur population en recevant tous les malheureux que les naufrages, la misère, ou la désertion y conduisaient. Ils les gardaient chez eux pendant 30 mois après lesquels s'ils les reconnaissaient honnêtes et bons travailleurs, ils leur donnaient leurs filles avec des bestiaux, leur bâtissaient une maison, et les aidaient à défricher des terres. On compte 46 familles dans celles qui restent qui se sont ainsi établies en Acadie. Quant aux fainéants et vauriens, ils les renvoyaient après les 30 mois munis de quelques secours.
Lors de l'établissement des premières familles en Acadie, elles furent soumises aux mêmes lois et à la même forme de gouvernement que les établissements du Canada. Elles avaient un gouverneur, des officiers de justice nommés par le Roi sous le ressort du Parlement de Paris. Elles avaient des seigneurs à qui le Roi avait concédé les terres sur lesquelles elles étaient établies et elles leur payaient des redevances.
Lorsque Louis XIV céda l'Acadie à l'Angleterre, les Acadiens furent libres d'y rester ou de retourner en France. On leur donna deux ans pour faire leur choix ; ils y restèrent, mais ils ne se reconnurent jamais (tradition constante et unanime parmi les Acadiens), pour leurs personnes, sujets de l'Angleterre. Elle ne leur donna point de juges. Leurs différends étaient jugés par leurs vieillards ; leurs contrats étaient passés par leurs prêtres. Les affaires communes se réglaient entre eux sans l'intervention du gouvernement anglais, sans autre autorité que la leur pour laquelle chaque individu était pénétré du plus grand respect. Leur police était exercée par l'autorité paternelle, par les conseils des vieillards à qui ils témoignaient la plus grande déférence et par la crainte du blâme. Pendant 42 ans ils n'ont pas eu un crime à punir.
Ils reconnaissaient dans le Roi d'Angleterre une autorité territoriale sur leurs biens ; mais ils ont toujours prétendu qu'elle ne s'étendait pas sur leurs personnes, et ils n'ont jamais cessé de se regarder comme uniquement sujets de la France où leurs pères étaient nés.
Telle est l'idée qu'ils se firent de leur situation politique à la paix d'Utrecht et ce n'est à cette idée inspirée par leur attachement pour leur premier maître, et perpétuée de père en fils avec l'amour de leur mère patrie, qu'ils ont sacrifié leurs biens, et que chaque famille a versé des flots de sang. Ceux qui restent l'ont vu couler du sein de leurs parents massacrés.
De l'idée qu'ils avaient de leur situation il suit que leurs devoirs personnels envers le souverain anglais duquel ils ne se regardaient que comme tenanciers, devaient être très restreints. Aussi, selon eux, ces devoirs se bornaient aux simples corvées occasionnées par les passages des troupes, et employées au transport de leurs bagages et munitions, ainsi qu'à leur fournir dans les cas de besoin, une partie de leurs denrées ; encore mettaient-ils à cette prestation la clause de fournir la même chose aux troupes françaises qui passeraient dans la province. Ils ne se sont jamais cru obligés de fournir aucun service personnel, aucune milice à l'Angleterre, et ont surtout toujours protesté qu'ils ne porteraient jamais les armes contre la France ni contre les Sauvages leurs voisins avec lesquels ils vivaient en bonne intelligence depuis l'établissement de la colonie. C'est dans cet état d'indépendance personnelle de l'Angleterre et de sujétion personnelle à la France qu'ils ont vécu, qu'ils se sont régis, et qu'ils se sont soutenus depuis la paix d'Utrecht, jusqu'à leur dévastation en 1755 pendant l'espace de 42 ans malgré toutes les tentatives que la politique anglaise à mis en oeuvre pour se les attacher. C'est cette situation qui les a fait nommer par toutes les nations maritimes, et par les Anglais eux-mêmes, les Français neutres de l'Acadie [souligné dans le texte].
Il y a une tradition constante parmi eux, que cette neutralité cette liberté dont ils jouissent leur avait été accordée environ l'an 1715. Lorsque le temps de leur choix expiré ils se résolvaient à quitter leurs habitations plutôt que de s'exposer eux ou leurs enfants, à devenir un jour ennemis de la France en acceptant les conditions prescrites par la lettre de la Reine Anne écrite à M. Niclson [Nicholson] alors gouverneur de l'Acadie le 28 avril 1713 et qu'ils firent à cet effet une espèce de capitulation qui devait être renouvelée tous les 15 ans. Il parait probable que cette capitulation a eu lieu puisqu'ils ont joui sans aucune contestation et sans trouble de son effet pendant les 15 premières années ; mais on n'en trouve l'acte nulle part ; il est à croire qu'ils se contentèrent alors d'une promesse verbale, et que cette promesse parut suffisante à un peuple simple, loyal, par conséquent confiant, et pour qui une parole donnée était l'engagement le plus sacré. Le fait que l'on va rapporter donne une nouvelle force à cette probabilité.
En avril 1730, époque à laquelle les 15 premières années expiraient, la nation s'assembla, premièrement par communes ou paroisses qui nommèrent chacune leurs députés à qui elles donnèrent des instructions. Chargés des pouvoirs de leurs paroisses, ces députés représentaient le corps de la nation ; ils furent à Halifax trouver le gouverneur anglais pour lui demander le renouvellement de la parole qui leur avait été donnée pour 15 ans, et de l'effet de laquelle ils avaient joui pendant ces 15 années. C'était alors M. Richard Philipps ; il les attendait, il leur présenta une formule de serment qu'ils devaient prêter au nom de leur nation, de vivre comme bons sujets du Roi George. La formule du serment ne porte essentiellement que sur cette expression. Ils se refusèrent d'abord, retournèrent à leurs villages rendre compte de cette demande, et prendre sur cet objet de nouvelles instructions. Il parait que le résultat des délibérations fut de prêter le serment, mais avec la clause expresse de l'exemption de la milice et de ne pouvoir être employés dans aucun cas ni contre la France ni contre les sauvages leurs amis.
Il ne paraît pas qu'ils aient signé la formule, ni qu'ils aient prêté formellement le serment, mais ils promirent et se crurent engagés. Ils reçurent du gouverneur l'assurance de leur exemption du fait d'armes contre la France et contre les Sauvages, mais ils ne lui demandèrent que d'en faire dresser devant lui une attestation signée seulement de leurs prêtres témoins de la parole qu'il venait de leur donner. Le gouverneur y consentit et cette pièce les tranquillisa. Ils n'avaient en vue en l'exigeant que d'avoir à montrer aux successeurs de M. Philipps un témoignage qui attesta l'assurance qu'il venait de leur donner. Leur droiture, leur bonne foi, les empêchèrent de voir que cette pièce sans la signature du gouverneur serait sans aucune valeur ; ils s'en contentèrent et la présentèrent à la Nation qui n'en vit pas mieux qu'eux l'inutilité. Ils emportèrent aussi une copie de la formule qui leur avait été présentée afin de perpétuer dans la nation la mémoire de l'événement qui avait occasionné ces promesses respectives.
Depuis 1730 jusqu'à 1742, l'Angleterre n'eut aucun démêlé avec la France qui put faire craindre la guerre. Le traité de la quadruple alliance retenait la Cour de Londres pendant la guerre de 1733. Mais la mort de Charles VI arrivée en 1740 changea la face des affaires. On se brouilla bientôt, et les Acadiens s'en ressentirent. Jusqu'à cette époque ils avaient joui sans obstacles de leur liberté, mais en 1742 ils commencèrent à être inquiétés. Le gouverneur d'Halifax successeur de Philips (c'était, disent-ils, un Périgourdin réfugié en Angleterre depuis la révocation de l'Edit de Nantes), commença à mander des députés de leur paroisse, à les retenir même comme prisonniers dans la ville, à leur proposer un serment d'allégeance et à en faire emprisonner quelques uns parce qu'ils refusaient constamment la prestation de ce serment. Depuis lors jusqu'en 1755, ils ont presque toujours eu à Halifax de leurs députés ou en prison ou au moins dans la ville.
Le gouverneur les menaçait et les faisait menacer tous [mains ?] de leur ôter leurs habitations ; ils le craignirent et portèrent avec confiance leurs craintes dans le sein de M. Guillaume Carlisle, gouverneur de la Nouvelle-Angleterre qui en dressa un mémoire et l'envoya à Londres. La réponse à ce mémoire ne fut envoyée en Amérique qu'en 1747.
L'escadre commandée par M. le duc d'Anville avait paru sur les côtes de l'Acadie, elle avait mouillé quelques jours dans la rade de Chibouctou. Les Acadiens crurent alors toucher au moment heureux qui devait les rendre à leur ancien maître. Leur joie fut excessive, et éclata avec la liberté que leur donnait leur confiance. Ceux de Chibouctou, de Pigiguit, des mines, de la rivière des Canards, du haut de la Baye Verte et de Beaubassin, s'empressèrent à ravitailler cette escadre, à lui fournir les secours nécessaires et à préparer tout ce qui fut en leur pouvoir pour entreprendre une expédition. La mort du commandant, le départ de l'Escadre détruisirent leurs espérances, et les jetèrent dans une consternation qu'ils ne cachèrent pas plus que la joie qu'ils avaient fait éclater. Les Anglais avaient remarqué et noté tous ces mouvements.
Vers la fin de 1747, la paix était prête à se conclure à Aix la Chapelle, l'Angleterre la voulait, ses pertes dans les Indes, celles de ses alliés en Europe, l'interruption de son commerce la lui faisaient désirer. Ce fut à cette époque que parvint aux Acadiens la réponse au mémoire que M. Carlisle avait envoyé à Londres pour eux. Il écrivit à cette nation que le Roi lui ordonnait d'assurer les Acadiens que ceux d'entre eux qui vivraient en bons sujets ne seraient inquiétés ni dans leur religion ni dans leur propriété, et donna cette assurance de la part du Roi : elle est datée du 4 octobre 1747. Mais en même temps il mettait à prix (de la part du Roi) les têtes des nommés Nicolas Gauthier et ses deux fils, Joseph et Pierre Dainant-Bujos [?], de Joseph Le Blanc, de Charles et François Rémond, de Charles et Philippe Leroy, de Philippe Brossard, de Pierre Guedry et de Louis Hebert, comme publiquement et notoirement coupables de crimes de lèse majesté envers le Roi à cause de leur intelligence avec les ennemis de l'Angleterre à qui ils avaient fourni des secours. La nation ne voulut jamais arrêter ces proscrits dont la plupart restèrent dans le pays.
[En marge : Depuis la paix d'Aix la Chapelle jusqu'à l'année 1755]
La paix conclue à Aix La Chapelle n'apporte aucune tranquillité dans l'Acadie. Les Anglais avaient fait tout ce qu'ils pouvaient faire pour s'attacher les nations sauvages et les engager à prendre leur parti dans la guerre qu'ils méditaient contre la France. Ils gagnèrent sans doute la nation des Micmacs jusque là amis des Acadiens. Ces sauvages descendirent à plusieurs reprises sur les habitations acadiennes, surtout sur celles situées hors de la péninsule de l'autre côté de la baie verte ; ils incendièrent et dévastèrent environ 400 maisons : les habitants qu'ils avaient ruinés allèrent s'établir près de la pointe de Beauséjour situation choisie pour y bâtir un fort que ces mêmes familles furent employés à élever.
Le gouverneur d'Halifax ne pouvait ignorer ce qui se passait dans son gouvernement. Il manda les députés des villages acadiens, il les questionna, et sur l'ambiguïté de leur réponse, il les retint prisonniers. Il fit arrêter également les prêtres qu'il soupçonnait d'intrigues, il les fit mettre en prison et il envoya des troupes dans les villages ; le commandant de ces troupes demanda au pays 600 hommes de milices ; les habitants qui voyaient la guerre prête à se déclarer de nouveau entre l'Angleterre et la France parce qu'ils étaient témoins du peu de succès du travail des commissaires envoyés par les deux cours refusèrent la milice, ou ne voulurent la consentir qu'à condition qu'elle ne serait point employée contre la France ; ils se fondaient sur cette assurance verbale que leur avait donnée en 1730 (certificat signé par les curés et missionnaires le 29 avril 1730). M. Richard Philips mais elle fut rejetée, ainsi que l'attestation des prêtres comme apocryphes ou comme inutiles. On prétendit que l'Acadie appartenait à l'Angleterre, devait fournir son contingent en troupes comme les autres provinces de l'Amérique pour être employées indistinctement contre tout ennemi de l'Etat quel qu'il fut. Les Acadiens réclamèrent encore leur convention. Le gouverneur prétendit absolument la levée de la milice et le droit de l'employer contre quelque nation que ce fut avec qui l'Angleterre serait en guerre.
Pendant ces pourparlers, le commandant des troupes anglaises en Acadie avait encore fait enlever quelques prêtres et les principaux des habitants qu'il avait envoyés à Halifax. Ces violences aigrirent le reste de la nation, tous prirent le parti de la résistance, excepté quelques habitants du haut de la Baie. Ils résolurent de quitter leurs habitations et de mourir même plutôt que de servir contre leur ancienne patrie.
Outre la milice, les Anglais exigeaient absolument le serment d'allégeance, et menaçaient d'exécution militaire si on s'obstinait à le refuser. Ils se saisirent du reste des principaux et des vieillards et les conduisirent à Halifax et là les ayant amenés sur une place devant une batterie de canons avec les 72 députés, ils pointèrent le canon sur eux et les menacèrent de tirer s'ils ne prêtaient au nom de leur nation, le serment que le Roi d'Angleterre exigeait. Ces malheureux se mirent à genoux et après une courte prière répondirent : "Tirez, Messieurs, vous êtes les maîtres, mais nous ne changerons jamais de sentiment à l'égard de la France".
Il existe encore quelques uns de ceux qui bravèrent la mort en cette occasion plutôt que de consentir à ce que leur nation portât les armes contre le Roi. Leur refus fut le signal de leur destruction. Le massacre, l'incendie, la dévastation de leurs possessions en furent les suites. Les troupes anglaises arrêtèrent tout ce qui ne fut pas massacré, et ils [?] firent transporter dans la Nouvelle-Angleterre. Quelques uns de ces malheureux Acadiens se sauvèrent dans les bois où ils errèrent pendant longtemps, plusieurs furent trouvés par les troupes qui les suivaient, d'autres gagnèrent la rivière Saint-Jean ou Louisbourg, d'où ils passèrent en France.
De ceux qui furent conduits dans la Nouvelle-Angleterre, environ 3000 furent laissés à Boston, les autres qui montaient aussi à environ 3000 furent conduits en Angleterre où ils sont restés jusqu'à la Paix. On leur y donnait pour subsister une paye équivalente à 6 de nos sols par jour, hommes, femmes et enfants du jour de leur naissance. C'est dans cet état que M. le duc de Nivernais les trouva en Angleterre.
[En marge : époque de leur libération en 1763]
Ceux de cette nation qui étaient détenus en prison en Angleterre surent que l'on travaillait à la Paix, et que S.M. avait envoyé à Londres un ambassadeur extraordinaire qui devait la conclure.
Le gouvernement anglais leur faisait proposer de leur rendre leur patrie et leurs biens n'exigeant d'eux que ce serment d'allégeance qu'ils avaient constamment refusé depuis 1742 et leur donnait deux ans ou au moins 18 mois pour se décider.
Ce fut dans ce temps qu'ils trouvèrent le moyen de s'adresser à M. le duc de Nivernais, de lui demander sa protection et de le supplier de les rappeler sous la domination du Roi. Ils lui donnèrent avis des offres qui leur étaient faites et de leur réponse unanime qui avait été : Nous voulons vivre sous la domination de S. M. très chrétienne pour qui nous sommes prêts de verser notre sang. Ils l'informèrent qu'ils avaient dressé un état de cette résolution signée de tous les pères de famille avec dessein de l'envoyer au commissaire général de l'amirauté, mais que le commissaire particulier de Liverpool n'avait jamais voulu le leur permettre.
M. le duc de N. sensible aux malheurs de ce peuple, se croyant devoir conserver au Roi des sujets qui avaient donné et donnaient encore dans ce moment des preuves si généreuses de leur attachement à l'Etat, sollicita et obtint de S. M. de les faire passer dans le Royaume avec promesse de leur donner dans les plus belles provinces des terres en propriété et des secours suffisants pour former leurs établissements. Leur traitement en Angleterre était de 6 sols par tête et par jour et d'environ 5 cheling [mot tronqué ; probablement Shillings] l'année pour leur logement. Ils furent assurés que le traitement qu'ils recevraient en France serait encore plus avantageux qu'ils n'avaient pu se le promettre.
Les Anglais voyant avec peine la perte qu'ils allaient faire cherchèrent les moyens de l'empêcher ; ils dirent aux Acadiens que les personnes qui leur avaient été envoyées de la part de l'Ambassadeur de France ne leur ayant montré aucune marque de leur mission ne venaient que pour les tromper à dessein de les faire passer dans les colonies à sucre où la chaleur les ferait bientôt périr, et en même temps on leur ôta la paye dont ils jouissaient depuis 8 ans. Ils députèrent deux d'entre eux à M. de N. pour s'assurer seulement si effectivement la France les réclamait, et ils souffrirent patiemment le retranchement de leur solde. Ces députés qui s'échappèrent la nuit au risque d'être punis avaient pouvoir d'accepter et consentir pour tous et d'engager la nation aux conditions qui avaient été offertes.
Le retranchement de leur solde leur avait fait contracter quelques dettes ; elles montaient à 13 ou 14000 livres. Il en fut dressé un état. M. de Nivernais écrivit pour qu'il lui fût permis de les faire payer ce qui fut accordé. M. de Choiseul fit rembourser cette somme par la caisse des colonies et ordonna dans tous les ports de leur payer 6 sols par jour.
On s'occupa des mesures à prendre pour leur transport en France. Le ministère de la marine avait envoyé des bâtiments mais ceux ci suffisant à peine au transport des officiers, soldats et matelots prisonniers, il fut frété pour les Acadiens des bâtiments anglais dans lesquels il furent extrêmement serrés. Leur traversée fut longue ; elle fut faite au mois de juin ; la chaleur et le malaise occasionnèrent dans quelques bâtiments la petite vérole qui ne se manifestait qu'à mesure qu'ils descendaient à terre, ce qui en emporta un grand nombre faute des secours nécessaires qu'on n'avait pas le temps de leur donner, et dont on n'avait pas dû prévoir le besoin.
Les Acadiens, à leur arrivée en France furent distribués dans les villes maritimes. Leur administration fut confiée au ministère de la marine qui en chargea Monsieur Lemoine [Lemoyne], Commissaire général à Rochefort. Tout ce qu'on voit qu'il a voulu faire et fait en leur faveur, fait honneur à sa charité et à son humanité, autant qu'à son zèle pour les intérêts et la gloire du Roi.
Leur subsistance fut établie et la Finance fit au département de la marine un fonds de cent mille écus appropriés à cet objet. Ils demeurèrent dix ans sous l'administration de ce département, mais pendant ce temps ce département changea deux fois d'administrateur et cette instabilité en mit dans les projets et arrangements à faire pour leur établissement. Un grand nombre de projets se succédèrent ou se croisèrent et aucun ne put avoir de succès parce qu'aucun n'en fut susceptible. Les Acadiens ne se refusèrent à aucun, et un assez grand nombre d'entre eux a péri dans les divers essais qu'on a jugé à propos de faire spécialement à Saint-Domingue et à Cayenne. On ne les détaillera pas ici.
En 1771, ils passèrent sous l'administration d'un nouveau département. On les mit dans celui des finances qui lui-même avait changé d'administrateur. On leur proposa un établissement en Corse. Ils y envoyèrent des députés pour examiner les terres et les conditions qu'on leur offrait et sur le rapport de leurs députés, ils refusèrent l'établissement. Les causes de leur refus furent la médiocrité du traitement qu'on leur faisait, la trop grande force de la redevance à laquelle on voulait les soumettre, la mauvaise qualité de la plupart des terres, dont on leur faisait la concession et l'insalubrité de l'air dans ceux des cantons proposés où le terrain était meilleur.
En 1772, après cette tentative infructueuse en Corse, le ministère des finances trouvait les acadiens fort onéreux et les Acadiens s'affligeaient de se voir si longtemps à charge de l'Etat. Ils proposèrent qu'on leur permit d'aller s'établir sous la domination du Roi d'Espagne, soit à la Louisiane, soit à la Sierra Morena où on les désirait et le ministre des finances qui se voyait par là débarrassé de 300000 # par an goûta fort ce projet, il le proposa au Conseil et conclut pour l'acceptation.
Tous les avis suivirent le sien, mais le Roi refusa de s'y rendre. Il voulut conserver les A. dans son royaume ordonna qu'on leur chercha des établissements conformément à la promesse qui leur en avait été faite, et parut mécontent de ce qu'elle n'était pas effectuée depuis 10 ans. L'intention de S. M. était de les attacher à la glèbe ; c'était ce qu'on leur avait promis ; c'était les rendre utiles et heureux en les rendant à leur occupation primitive, et c'était aussi le seul moyen de conserver la pureté des moeurs de cette excellente espèce d'hommes.
On voulut alors profiter pour l'établissement des Acadiens des lumières de M. LeMoine qui s'occupait depuis longtemps des moyens de fixer sous la domination du Roi ce peuple dont il connaissait les vertus, et de fixer en même temps un terme à la dépense qu'il continuait de causer à l'Etat faute d'établissement. M. Lemoyne donna un projet simple et très bien dirigé ( ?) qui pourvoyait à tout, et ce projet fut agrée, mais il ne fut pas suivi dans son intégrité. On savait qu'un gentilhomme de Poitou avait 7 ou 8 000 arpents de terres à défricher ; on négocia, on s'arrangea avec lui ; il se chargea d'établir 1500 Acadiens sur ses terres moyennant une somme pour les premières années. On ne voulut lui donner que les deux tiers de ce qu'il demandait et il s'en contenta. On envoya visiter son terrain par des laboureurs acadiens, ils en furent mécontents et prédirent que l'entreprise ne pouvait réussir. Disette d'eau dans la plupart des endroits, impossibilité de faire des prairies et par conséquent d'avoir des bestiaux et des engrais. Disette de bois de chauffage et par dessus tout mauvaise et incorrigible qualité des terres qui sous une couche très mince de bonne terre cachaient, disaient-ils dans leur rapport, une espèce de minerai pourri qui ferait pourrir les plantes à mesure qu'en croissant elles y toucheraient par leurs racines. On s'obstina cependant à effectuer l'établissement de M. de Pérusse et de M. l'Evêque de Poitiers qui s'était uni à lui ayant des friches aussi à mettre en valeur.
Il passa en 1773 et 1774 1500 Acadiens sur ces terres en Poitou. Ils s'y livrèrent au travail avec beaucoup d'ardeur. Les semences levèrent bien mais à mesure que les plantes enfonçaient leurs racines dans la terre elles jaunissaient et périssaient. On ne récolta pas, et la même chose arriva encore à la récolte qui devait être faite en 1776. Ainsi se justifia le rapport et se vérifia la prédiction des premiers explorateurs acadiens.
Il se trouva encore d'autres obstacles que l'on ne peut surmonter. La redevance que les propriétaires imposaient aux nouveaux colons était beaucoup trop forte, et le gouvernement la jugea telle, il en proposa la diminution aux propriétaires. M. de Pérusse en sentit la nécessité et y consentit, mais M. l'Evêque de Poitiers s'y refusa opiniâtrement.
Le ministère voyant que le résultat du calcul était l'impossibilité de la subsistance du colon commença à craindre la perte de la colonie, et des dépenses faites et à faire pour l'établir. Il se fit rendre un compte exact de l'état actuel de l'établissement et on reconnut que la dépense excédait déjà d'un sixième le total de la somme promise à M. de Pérusse quoiqu'il n'y eut encore de fait qu'un 6e de ce que M. de Pérusse s'était engagé de faire, ce qui devait porter la dépense douze fois plus haut qu'on n'avait compté.
Effrayé de ce calcul, et de cette perspective, le gouvernement restreignit alors le nombre des maisons et des colons et en même temps il permit à ceux des Acadiens qui ne voudraient pas rester en Poitou de retourner en Bretagne et leur ordonna de se retirer à Nantes. En conséquence l'établissement fut bientôt déserté et il n'y reste aujourd'hui qu'environ 160 individus.
Lorsqu'en 1773 M. Lemoyne eut rangé dans l'ordre le plus clair, tout le dispositif de la colonie qu'on voulait établir en Poitou, lorsqu'il eut fait les recensements nécessaires, lorsqu'il eut choisi les individus propres à la colonie et désigné ceux qui devaient rester dans les villes maritimes pour y exercer leurs professions, M. L'abbé Terray se hâta d'arrêter et d'ordonner qu'à commencer du 1er janvier 174, on cessât de payer aucune solde à aucun Acadien. Ensuite, sur les représentations et de M. de Pérusse et de M. les intendants, il prolongea cette solde de deux ans pour ceux qui resteraient dans les villes et en effet depuis le 1er janvier 1776 il ne leur a été rien payé que quelques acomptes ou aumônes obtenues de temps en temps du ministère, et il leur sera dû au 1er janvier prochain une somme de 400000 livres qu'ils doivent eux-mêmes presque entière aux fournisseurs qui leur ont fourni à crédit les choses les plus nécessaires à la vie. Ces dettes légitimes ont été contractées de leur part sous l'autorité et avec des billets de M. les intendants ou de leurs subdélégués, et autorisées par eux à cet effet.
Sous le ministère de M. de Clugny, on prit en considération le mérite et les malheurs des Acadiens ; on reprit le projet de les établir en Corse où il y a des domaines immenses à mettre en valeur. On dressa un plan fort équitable et fort bien conçu ; on choisit pour mettre à la tête de cet établissement un homme [en marge : le Sieur de Trelliard (?) ... de retraite du régiment de l'infant. Duc de ... indiqué par M. le Duc de Nivernais] doux, sage, honnête et intelligent. On l'envoya aux Acadiens pour leur proposer le nouveau plan et presque tous l'acceptèrent. La mort imprévue de M. de Clugny suspendit toute la besogne. Il fallut instruire M. Taboureau et dès qu'il le fut il suivit avec chaleur et intérêt le plan de son prédécesseur, sa prompte retraite occasionna une nouvelle suspension et l'état actuel de l'affaire est que M. Necker directeur général des Finances vient de consentir à l'exécution du projet, c'est à dire à l'établissement de la colonie acadienne en Corse. Le nombre de ceux qui y passeront est d'environ 3000.
M. Necker avait d'abord paru éloigné de ce plan d'établissement en Corse. Effrayé par la dépense qu'il prévoyait et d'ailleurs n'étant pas encore assez instruit des engagements pris avec les Acadiens, il ne voyait que ce qu'ils ont coûté et ce qu'ils allaient coûter encore. Il désira connaître à fond tout ce qui concerne cette nation, depuis son établissement en Acadie et il demanda :
1° l'histoire de ce qui touche les Acadiens depuis la paix d'Utrecht
2° Un dénombrement exact de ce qui reste d'Acadiens en France
3° Une notice de ce qui concerne leur solde au compte du Roi
4° Un état de ce qui leur était dû de cette solde au 1er octobre 1777
5° Ce qu'il serait possible de recueillir de relatif à la colonie acadienne du Poitou
6° Un aperçu de la dépense qu'occasionnerait l'établissement en Corse des Acadiens qui restent à pourvoir.
Ces six objets lui furent présentés par M. Coster avec tout le détail et toute la précision qu'il fut possible de leur donner. Ils furent pris dans les papiers qui concernent les Acadiens déposés au Contrôle général, et sur quelques autres pièces authentiques. Ce travail fut rapporté à Fontainebleau le 10 novembre 1777 dans une séance à laquelle M. L'intendant de Bretagne et le S. de Trelliard (?) directeur des colonies de Corse furent appelés. Ce rapport rassemble les raisons de justice, de politique, et d'économie qui militent en faveur des Acadiens, montrait l'utilité de leur établissement en Corse. Il frappa M. le directeur général et le décida pour cet établissement ; il alla même plus loin, touché de la fidélité de cette nation et des malheurs qu'elle leur a attiré, il désira d'améliorer son sort pour l'avenir. Il augmenta de 10 arpents la concession promise à chaque famille et par un calcul très juste, il ménagea sur cette augmentation une redevance qui devait rendre au Roi l'intérêt à 4 % de l'avance que devait faire le gouvernement pour la subsistance des Acadiens pendant les trois premières années de leur établissement. La redevance imposée sur les terres de la première concession payait aussi à peu près à 6 % l'intérêt des dépenses de transport et de bâtiments pour la colonie ainsi que pour ce plan la dépense qu'elle devait occasionner était une espèce de déplacement de fonds et le Roi profitait encore des droits sur la consommation des familles établies.
Telle fut la décision du 10 septembre 1777, mais pour connaître à fond les motifs qui l'ont amenée, il faut absolument voir le rapport qui fut présenté ce même jour et qui doit être entre les mains de M. Menard. Les motifs de la décision y sont développés avec beaucoup de force et avec la plus grande clarté.
Tandis que le gouvernement s'occupait à Fontainebleau des moyens de rendre les Acadiens heureux, il s'élevait de la division parmi eux, quelques jeunes gens excités par deux ou trois Français qui ont épousé des filles acadiennes, échauffés par l'espérance que les affaires qui agitent aujourd'hui l'Amérique pourraient les faire rentrer en Acadie, et animés aussi par quelques Acadiens en crédit parmi eux qui préféraient la Louisiane à la Corse, cherchaient à détourner leurs frères de l'établissement en Corse qu'ils avaient accepté, et ils étaient parvenus à attirer dans leur parti 60 ou 80 chefs de famille qu'ils avaient déterminés à nommer sans le concours général de la nation, deux députés qui se rendirent à Versailles.
Les gens sensés parmi les Acadiens, ceux en qui la nation montre de la confiance, et qui la méritent par leur sagesse et par leurs connaissances furent alarmés de ces mouvements qui formaient une espèce de schisme dans la nation, et ils en firent voir le danger. Tout ce qui n'avait pris aucune part à cette nouvelle députation ou qui s'y était opposé [en marge : ceux ci sont. [tronqué] seulement...[tronqué] 200 familles] fit [sic] écrire au S. de Trelliard, directeur des colonies de Corse, pour le prier de prévenir le tort que pouvait leur faire dans l'esprit du ministère une députation que la plus saine et la plus nombreuse partie de la nation désavouait, et contre laquelle elle protestait. Cette lettre était signée par les notables que la nation avait choisis elle-même pour traiter en son nom avec le directeur des colonies de Corse des conditions de son établissement dans cette île. Celui ci rendit compte à M. le directeur général des Finances du désaveu et de la protestation du plus grand nombre contre la députation.
Cette députation irrégulière était composée d'un Acadien, homme simple, très borné, qui n'avait jamais eu de part dans le maniement des affaires de sa nation, et d'un Espagnol plus borné encore que son collègue, homme facile à persuader et à échauffer . Ce choix est lui-même une preuve de l'esprit de parti qui l'a fait faire et de l'incapacité de ceux qui l'ont fait, car les Acadiens ont parmi eux des gens adroits, entendus, sages, intelligents, accoutumés à manier les affaires de la nation. C'aurait été ceux là qu'elle aurait députés si la députation eut été l'effet d'un consentement unanime. Il y avait eu en 9 novembre 1770 une vraie députation qui était du choix de la nation entière. Celle là avait pour objet de solliciter le payement de la solde. On présenta ici aux députés le projet des conditions offertes à la Nation pour son établissement en Corse ; ils répondirent avec sagesse qu'ils n'avaient aucun pouvoir de traiter pour cet objet, que leur mission se bornait à demander des secours qu'ils ne pouvaient pas aller au delà. Ils virent l'avantage qui leur était offert, ils promirent de l'annoncer à leurs compatriotes à leur retour et ils tinrent leur parole.
La commission des derniers députés n'avait que deux objets. Le premier de remontrer la misère de la nation, et de solliciter le payement des arrérages de la solde. Ce premier point était à vrai dire le voeu général de la nation, aussi bien que celui du petit nombre qui députait. Le second était de représenter que les Acadiens qui craignaient le climat, le mauvais air, et les habitants de la Corse, suppliaient d'être dégagés du consentement qu'ils avaient donné à leur établissement dans cette île sous prétexte que la crainte de prendre leur solde leur avait seule fait donner ce consentement. Ce dernier article ne fut dicté que par les 60 ou 80 familles qui députaient, et ce fut contre les conséquences qui pouvaient suivre une pareille démarche que la plus saine et la plus nombreuse partie des Acadiens protesta.
Il faut observer ici que les députés ne connurent pas même les bornes de leur pouvoir. Il leur fut fait des propositions moyennant lesquelles les Acadiens seraient dégagés de leur acquiescement à l'établissement de Corse. Ils y donnèrent leur consentement et se chargèrent de les porter et faire accepter à leurs compatriotes quoique leurs pouvoirs ne s'étendissent pas jusque là. Ces conditions portaient :
1° La perte des arrérages de la solde dont ils venaient solliciter le paiement
2° Que le gouvernement ne se chargerait pas des dettes contractées par les individus de la nation sous l'autorité et une espèce de garantie des intendants.
3° Qu'à l'avenir la solde de 6 s. par jour par individu serait réduite à 3s. et pour 2 années seulement.
4° Que pendant le cours de ces deux années chaque chef de famille indiquerait le lieu ou la province du Royaume qu'il choisirait pour s'y fixer, et que ce choix fait la famille serait aidée d'une somme quelconque proportionnée à la quantité d'individus dont elle serait composée et à la somme qu'elle aurait reçue sur les deux années de solde à raison de 3 s. par jour.
Le second article de ces propositions entraînait des inconvénients que l'inexpérience des députés ne leur permit pas d'apercevoir. Ils ne considérèrent pas que les dettes des Acadiens sont des propriétés qui appartiennent à leur créanciers et que par conséquent ni eux députés, ni la nation entière des Acadiens ne pouvaient transiger sur la créance sans le consentement des propriétaires de cette créance, que n'étant possesseurs d'aucun effet qui puisse assurer le payement de leurs dettes, ils soumettaient les personnes des débiteurs de la nation à la contrainte par corps que leurs créanciers pouvaient exercer sur eux, et enfin qu'ils ouvraient la porte aux réclamations des créanciers contre le gouvernement pour le payement de fournitures faites sous une espère de garantie de M. les intendants.
M. le directeur général aperçut l'insuffisance du consentement des députés pour donner quelque solidité aux conditions qu'il venait d'établir avec eux. Ils avaient avoué eux-mêmes qu'ils n'étaient députés que par 60 ou 80 familles sur près de 300 qui se trouvent à Nantes, et ils n'avaient montré aucune marque de leur mission. M. Necker sentit la nécessité du consentement de chaque chef de famille dans une affaire aussi importante. Il avait promis d'abord aux députés de leur donner ces conditions par écrit afin qu'ils fissent ratifier par la nation l'acceptation qu'ils en avaient faite. Il changea de sentiment et renvoya la députation avec promesse de faire présenter dans peu [sic] les mêmes conditions à la nation ; mais la facilité qu'il avait trouvée dans les députés, l'avait ramené à son premier projet que le rapport du 10 novembre l'avait persuadé qu'il était de sa justice d'abandonner et il revint à en croire l'exécution possible et convenable. Ce projet était précisément le même dont on vient de voir le détail dans les 4 articles acceptés par les députés.
En conséquence M. le directeur général a donné [commission ?] à M. de la Borde intendant de Bretagne de faire proposer aux Acadiens qui sont dans son département les conditions que l'on vient de voir. On ignore quelles ont été les instructions données pour cette opération à M. de la Borde, qui a chargé des subdélégués de la besogne. On ignore également comment ces propositions ont été présentées et reçues ; on présume seulement qu'elles ont causé beaucoup d'inquiétude et de mouvement parmi les Acadiens et on a lieu de le présumer parce que l'on voit que depuis plus de 4 mois que ces propositions leurs sont faites il ne paraît pas qu'ils aient pris aucun parti, par ce qu'on sait qu'ils ont souvent varié dans leurs projets que tantôt ils ont demandé d'aller s'établir à la Louisiane et que tantôt ils ont préféré les Etats Unis de l'Amérique, que quelques uns nous ont demandé de retourner en Poitou, que d'autres persistent dans la volonté de s'établir en Corse, et que le subdélégué de Nantes qui a cru la Corse exceptée des Provinces du Royaume où on a laissé le choix aux Acadiens de s'établir n'a pas cru jusqu'à présent devoir admettre le choix qu'ils faisaient de cette île. Il vient d'avoir ordre de l'accepter.
On ne peut se refuser à une réflexion qui a souvent été faite dans tous le cours de cette affaire et qui est amenée ici naturellement par tout ce qui vient d'être exposé, c'est que supposé que les Acadiens aient un droit réel et fondé comme il l'est en effet (et comme le rapport du 10 novembre 1777 en avait convaincu M. le directeur général) à un établissement en fonds de terre dans le Royaume et à une solde de subsistance de 6 sous par jour jusqu'à ce qu'ils jouissent de cet établissement, ce droit quoiqu'on puisse faire pour l'abolir, ne peut l'être que par une renonciation expresse et formelle de chaque chef de famille pour les individus qui la composent.
D'après ce principe, la renonciation des députés n'a pu emporter que celle des 60 ou 80 familles desquelles ils disaient avoir commission, encore fallait-il s'assurer que la commission portait expressément le pouvoir de renoncer pour elles. Faute de cette condition tout ce qu'ils ont fait ne peut être que nul pour les familles qui les ont députés. Ils n'ont donc pas pu renoncer pour toute la nation composée d'environ 326 familles dont à peu près 450 ont ignoré leur députation, s'y sont opposées ou l'ont désavouée.
Il résulte donc que les Acadiens peuvent bien être dispersés et obligés de céder au temps et à l'autorité, mais que chaque individu ou chaque famille de cette nation ne peut perdre le droit de recourir à la justice et à la clémence du Roy pour réclamer l'exécution de la promesse qui leur a été faite et dont le gouvernement a constamment reconnu et rempli l'obligation et la justice pendant plus de 14 ans.
Notes
Mémoire très intéressant, plus détaillé (notamment sur la période pré-déportation) que la plupart des autres documents retrouvés à ce jour. A noter l'emploi récurrent (j'ai souligné une partie, mais pas toutes, des occurences) du mot "nation" et "corps de la nation" [problème est qu'on ne connait pas l'auteur].
L'auteur semble tirer ses informations de récits des Acadiens eux-mêmes et peut-être d'autres informations (le récit est cependant plein d'erreurs, d'exagérations et parti pris en faveur des Acadiens). A noter l'histoire des personnes qui se découvrent la poitrine, mais un peu différent des précédents (ce sont des députés à Halifax qui disent cela). Noter aussi l'épisode de la petite vérole qui aurait eu lieu, selon l'auteur de ce mémoire, pendant la traversée entre Angleterre et France et non pas entre Amérique et Angleterre (ce qui est plus probable).
L'auteur semble avoir interrogé des Acadiens : " ils conviennent que leurs parents étaient de mauvaises familles " ; mais il a aussi fait des recherches dans les papiers historiques consacrés aux Acadiens ; à plusieurs reprises, il émet des hypothèses et ne semble pas sûr de ce qu'il avance.
Le mémoire se sert visiblement de lettres conservées dans un dossier, mais l'auteur ne fait pas toujours preuve de grande précision, par exemple lorsqu'il établit en 1771 le transfert du soin des Acadiens de la marine vers les Finances.
L'auteur reconnaît lui même les tâtonnements, le manque de continuité dans les projets, ce qu'il attribue au changement (en 10 ans) de ministres (2 ministres pendant cette période).
L'auteur de ce mémoire ne doit pas appartenir aux finances et a donc un ton de parole relativement " libre " pour critiquer à mots couverts le projet de Necker et la mauvaise gestion de la finance. En revanche, il épargne nettement plus la marine, ce qui laisse entendre qu'il doit probablement appartenir à ce département.
L'auteur est peut-être Coster (ou si ce n'est pas directement lui, il a sans doute inspiré une partie, au moins la partie historique)
Auteur : probablement un Administrateur peut-être du ministère de la marine, puisqu'il fait référence au fait que des Acadiens "nous ont demandé de retourner en Poitou" ; il ignore les instructions du ministère de l'intérieur ; l'auteur semble assez sympathique aux Acadiens et favorable à l'établissement de Corse
Winzerling mentionne ce mémoire a plusieurs reprises et l'attribue sans autre forme de procès à Lemoyne !
ps : J'ai effacé cette fiche je ne sais comment et j'ai pu la récupérer sur une autre version de FMP, ce qui explique qu'elle soit (mal) classée à cet endroit là, même si j'ai changé le numéro.
Mots-clés
// Necker
// CDG
// mémoire historique
// regroupement - dispersion [ils sont distribués dans les ports et surtout la fin du document - politique de Necker]
// nation
// RED
// allégeance
// repartir : Louisiane, Corse, Acadie,
Numéro de document
000912