Document : 1772-09-05
Références / localisation du document
BM Bordeaux, MS 1480, f°120-124// f° 70-72
Date(s)
1772-09-05
Auteur ou organisme producteur
Lemoyne
Destinataire
Guillot
Résumé et contenu
L. à Guillot. S'emporte contre les objections des Acadiens. Passages très intéressants.
Le Loutre lui a communiqué les observations de Guillot sur le mémoire de SV. Irritation de Lemoyne : les Acadiens ont la tête qui tourne, idées entêtées, ils ont "besoin d'être remis sur la route du vrai. S'imagineraient-ils qu'on les fera des seigneurs ?".
L. juge que "L'intention du gouvernement est de les mettre en état de gagner leur vie, et les mettre au niveau des cultivateurs des provinces où on pourra les établir" [Lemoyne est à la fois juge et partie dans cette affaire puisque SV est son ami ; il interprète très librement les intentions du gouvernement].
Rien de plus avantageux que ce qu'on propose aux Acadiens, notamment grâce au cheptel de bêtes. Ils peuvent faire des défrichements, se construire une maison, s'assurer un revenu et épargner, etc? "Si ces hommes sont laborieux, comme on veut le penser, peut-on imaginer?[qu'ils ne voient pas leur avantage]".
Les Acadiens ont écrit une lettre à l'abbé Grandet [Grandclos ?] dans laquelle ils "déraisonnent". 1. " Ils disent qu'on ne leur offre que des fermes [Lemoyne dit que non car les fermes ne sont pas garnies] ; 2. "ils disent que si le chef vient à mourir la veuve et les enfants seront déchus" ; réponse : les garçons pourront reprendre la ferme, sinon la veuve se remariera ; 3. Ils préfèrent des biens fonds [cad être propriétaires je pense] ; réponse : ceci est mieux, ils ont des revenus assurés pendant qu'ils défrichent [en contradiction avec ses propres opinions auparavant].
Pour Lemoyne tout cela n'est que de la mauvaise volonté ou au moins [sic] de la folie ; il sous entend qu'ils risquent de passer pour des paresseux, et s'interroge sur leur statut :
"Les objections qu'ils font sont pitoyables ; ils se montrent pour ainsi dire offensés de ce qu'on veut les traiter comme nos paysans. Sont-ils étrangers ou français, je crois que ce n'est qu'à ce dernier titre qu'ils prétendent ; ils ne doivent donc pas rejeter les usages des provinces où ils seront établis".
Lemoyne a noté en marge [du document des Acadiens - cf. @ 134] les objections [j'ai le document mais pas les réflexions de L.] aux réflexions des Acadiens.
Le Loutre est trop complaisant pour eux. On ne doit pas les gâter. Il conseille de ne pas trop leur promettre de choses, sinon ils vont réclamer encore plus et le gouvernement risque de se lasser. Le gouvernement n'a plus d'argent. Le roi ne peut pas promettre plus que ses moyens ne lui permettent.
Il conclut : "Vous vous apercevez, M., d'un peu de mauvaise humeur" [mais c'est seulement à cause de son intérêt pour ces gens]
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Copie de lettre à M. Guillot, du 5 septembre 1772
M. l'abbé Le Loutre, M., m'a communiqué les observations que vous lui avez envoyées sur le mémoire de M. de Saint Victour. Je crois en vérité que la tête tourne aux Acadiens. Ils ont le tête prise d'idées aussi creuses (?) qu'il soit possible. Ils ont besoin d'être remis sur la route du vrai. S'imagineraient-ils qu'on les fera des seigneurs ?
L'intention du gouvernement est de les mettre en état de gagner leur vie, et les mettre au niveau des cultivateurs des provinces où on pourra les établir ; en leur donnant des moyens de subsister de leur travail et d'espérer de l'aisance de leurs travaux assidus. Je ne crois pas qu'il soit possible de présenter aux Acadiens rien de plus avantageux que ce que M. de Saint-Victour leur propose, un bien à régir à moitié de profit, sans avance et ce pour 20 ans pour 30 ans. Quel est le paysan même aisé qui ne se croirait le plus heureux de tous ses camarades ? Quel est le paysan qui ne recherche pas ces arrangements ? On ajoute, aux avantages ordinaires et d'usage que retirent les métayers, un cheptel de bêtes. Cet objet seul est recherché de tous les fermiers, parce que sans mettre autre soin que son industrie et ses soins, tout fermier quelconque est assuré d'un bénéfice qui corresponde à ses peines. Il fait en outre abandon de la moitié des terres que ces gens pourront défricher, il leur donne en toute propriété un fond qu'ils auront cultivé, avec quoi ? Avec les moyens qu'il leur aura fournis. Si ces hommes sont laborieux, comme on veut le penser, peut-on imaginer qu'assurés pendant 20 ans d'une ferme bien garnie, accrue d'un cheptel, ils ne voient pas de la solidité dans la fortune de leurs familles ? S'ils sont laborieux, il n'y a point d'année qu'ils ne trouvent dans leur vigilance dans la vraie combinaison du temps qu'ils doivent de devoir premier à leur ferme, l'épargne de celui nécessaire pour défricher un ou deux arpents au moins, étant assurés de leur subsistance par le fruit de leur ferme, n'ont-ils pas certitude de mettre leurs épargnes quelque petites qu'elles soient à profit en terre pour eux seuls, le bail expiré dans les moments où les travaux de la culture sont suspendus, ne pourront-ils pas s'occuper de l'établissement dont ils doivent être propriétaires un jour, ramasser leurs matériaux pour construire leur maisons et l'édifier petit à petit, dessécher par des fossés les terres qu'ils voudront mettre en culture, les entourer de haies de fossés, couper les gazons, déraciner les branches pour brûler et mettre la terre en état de recevoir un labour ? Des clairs de lune, des circonstances qui suspendent les travaux de la ferme mises à profit leur promettant ces moyens étrangers à la paresse, mais certains et assurés à la vigilance, à l'activité et à l'intelligence du cultivateur. Quel est le paysans en France auquel on offrirait ces avantages qui ne regarderait pas la fortune de la sa famille assurée ? Combien voyons nous (mot tronqué ?) de fortunes de fermiers avec moins d'avantages ?
Dans la lettre qu'ils ont écrit à l'abbé Granclos ils déraisonnent à impatienter. Ils disent qu'on ne leur offre que des fermes. Une ferme est toujours à garnir par le fermier, il faut des fonds, des moyens considérables ; on leur propose un bien tout garni pour 20 ans p(? tronqué) 30 ; seront-ils pendant ces 20 ou 30 ans aux autres qu'ils seront propriétaires de la moitié du bien qu'on leur remet, ceci sans avoir fait le moindre déboursé, et au bout de 20 ou 30 ans ne se retrouvent-ils pas riches propriétaires de la moitié des terres qu'ils auront défrichées et, établis, qu'ils profitent des 1ers bénéfices des cheptels pour se monter des charrues à eux, ils pourront cultiver pour leur compte particulier la moitié des terres qu'ils auront mis en valeur, parce qu'ils se seront mis en état de les travailler avec des moyens à eux, sans nuire à la culture de la métairie, à laquelle ils doivent tous les soins.
Premièrement, ils disent que si le chef vient à mourir la veuve et les enfants seront déchus. M. de Saint-Victour ne donnera pas de métairie à un cultivateur isolé et sa femme et des petits enfants ; elle peut faire vivre tout homme bon cultivateur travailleur, il faut que le chef soit garni de garçons d'un âge à travailler fortement. Si dans le cours de 20 ans tous meurent, c'est un malheur, mais encore la mère veuve ne peut-elle pas se marier et remettre à la tête de la culture l'homme qui lui conviendra à elle et qui sera agrée du propriétaire ? Leur raisonnement est pitoyable. Ils prétendent qu'ils seraient plus heureux si on leur donnait des terres en fonds, n'en ont-ils pas d'assurés avec plus d'avantages que le ministre ne pourra le faire ? Leur existence est assurée par la métairie ; de faux travaux, l'erreur sur le choix de la terre qu'ils défricheront peut diminuer leurs bénéfices, mais ne peut le détruire ; ce qu'ils peuvent craindre, placés sur des terrains absolument à défricher.
Ils auraient quelques ressources disent-ils. Quelles ? Si le chef meurt, la veuve se remariera, je ne vois que celle là en vérité, les difficultés qu'ils font ont l'air de mauvaise volonté ou au moins sont folie. Peuvent-ils n'être pas très contents des vues du ministre ? Que veut-on faire pour eux, leur assurer leur existence ? A la vérité, le plus simple s'ils sont paresseux ; mais le plus aisé et même le bien être le plus décidé pour leur famille s'ils sont laborieux. Les objections qu'ils font sont pitoyables ; ils se montrent pour ainsi dire offensés de ce qu'on veut les traiter comme nos paysans. Sont-ils étrangers ou français, je crois que ce n'est qu'à ce dernier titre qu'ils prétendent ; ils ne doivent donc pas rejeter les usages des provinces où ils seront établis. Vous verrez les contre-observations que j'ai mises en marge des leurs.
Le cher abbé Le Loutre est trop complaisant pour eux ; je sens sa position à leur égard, mais nous ne devons pas, nous, les gâter, nous devons leur vouloir tout le bien qui convient c'est à dire le nécessaire premier, c'est de leur travail, de leur intelligence qu'ils doivent espérer l'aisance ; qu'on leur procure l'état du paysan établi, c'est je crois le but à atteindre. Atteint, tout est dit, il ne faut pas tant presser l'anguille, il ne faut pas leur permettre des propositions qui pourraient éloigner la bonne volonté qui existe actuellement parmi eux. Que deviendraient-ils si pour trop exiger, on les abandonnait ? Il y a plus à craindre que, peut-être, ils ne pensent, qu'ils plient aux circonstances, qu'ils s'y prêtent, qu'ils entourent (?) si les grâces s'étendent, elles s'étendront, et remonteront à ceux qui n'auront pas prévu leur utilité et qui ne les auront pas demandées. Comment confirmeraient-ils l'idée que l'on a qu'ils peuvent être utiles s'ils ne démontrent pas, si à force d'exiger ils font soupçonner que ce sont des paresseux, qui veulent être à leur aise à force d'être comblés de moyens qui les exemptent de travaux pénibles. Si je puis voir le cher abbé avant son départ, je lui ferai part de mes réflexions. La finance est dans le plus mauvais état, trop exiger d'elle est assurer son refus, il faut entamer et proportionner la poursuite des grâces aux effets de l'emploi des premières accordées.
Vous vous apercevez, M., d'un peu de mauvaise humeur, ma foi je n'en prends que par l'intérêt que je mets à ce qui regarde ces pauvres gens et je crains que pour trop exiger, ils n'aient rien. Le Roi a dit cela est bon, mais le Roi ne dit jamais qu'à raison des moyens. Il ne faut pas que ceux qui les tiennent puissent lui dire qu'ils n'existent pas. Je pense ainsi.
J'ai l'honneur d'être, etc.
Le Moyne
Notes
document très important : Français / Etrangers
repris transcription le 10 mars 2003
pas retrouvé à Brest
Mots-clés
// Français ou Etrangers ?
// Acadiens = seigneurs
// Acadiens = gâtés
// Acadiens = déraisonnables
// perception
// glèbe
// SM
// Saint-Victour
// intégration
Numéro de document
000122