Document : 1773-08-19

Références / localisation du document

BM Bordeaux, Manuscrit MS 1480, Annexes, 1er Dossier : Mémoire et lettres de 1766 à 1774. // BM Bordeaux, MS 1480, f°439-446// f° 233-236

Date(s)

1773-08-19

Auteur ou organisme producteur

Lemoyne

Destinataire

Acadiens de Saint-Malo

Résumé et contenu

Avertissement aux familles acadiennes résidantes à Saint-Malo et dans les environs

Lemoyne avertit les Acadiens qu'il "se dispose à partir incessamment pour continuer sa mission". Lettre constitue "un dernier effort pour détruire les préventions que des mal-intentionnés leur [aux "familles acadiennes dont la conduite est reprochable"] ont inspiré". Il veut leur exposer une dernière fois les bontés du Roi et les mettre en garde.
Etablissements = bonté du roi et dédommagement des abandons des Acadiens et de leur fidélité (religion, Roi "sa personne", État). Bonté du Roi qui veut bien consacrer les fonds qu'il faut pour les rendre propriétaires et leur assurer l'aisance.
Récit des déplacements de L. : Cherbourg et le Havre "deux villes ou quantité de familles acadiennes étaient en résidence". Les familles sont fidèles et confiantes. Quelques familles ont posé des questions et discuté l'établissement, mais avec un bon esprit et avec l'esprit de dialogue. Des concessions ont été faites (notamment lettres de maîtrise), protection du Roi réaffirmée ; L. convainc les Acadiens de se rallier au projet, après assurances diverses et protection pour les plus faibles. Il a trouvé à Cherbourg des "résistances", mais jamais d'écart de bonne conduite, infidélités, ou ingratitude.
L. se rend ensuite à Saint-Malo où il pense trouver le même état d'esprit (il rappelle les bontés du Roi à l'égard des Acadiens qui auraient dû renforcer cet état d'esprit, ainsi que le fait qu'ils sont en grand nombre à Saint-Malo). Il a trouvé "méfiance, l'insubordination, la mutinerie réfléchie, et l'ingratitude la plus outrée". Hostilité est due à un rapport acadien hostile à l'établissement ; les Acadiens croient plus le rapport que les discours de L. Nomination d'une équipe pour aller revisiter l'établissement bien que les Acadiens déclarent ne pas vouloir y aller dans tous les cas.
Procès-verbal de cette visite est détaillé, et très positif : la terre est bonne une fois drainée ; eau pour le bétail ; engrais (marne) à volonté. Malgré ce rapport positif, résistance des Acadiens. L. ne peut plus excuser la résistance acadienne après ce rapport ("insubordination punissable").
L. soupçonne une véritable rébellion, des "intelligences criminelles" ; L. menace les meneurs et cherche à faire levier et à séparer les meneurs du reste de la troupe qu'il estime victime des premiers.
Puis détail de nouveau des offres du Roi pour tenter une dernière fois de convaincre : 6s. /jour pour tous "tous âges et sexes" jusqu'au 1er janvier 1774 (continuées après au Poitou pendant 2 ans) ; 3 arpents de terre en propriété même pour ceux qui ne peuvent travailler la terre (not. Les vieux, orphelins, infirmes) ou qui sont déjà bien implantés dans les villes où ils travaillent actuellement ;
Ceux qui se sont déclarés laboureurs ne peuvent pas ne pas être employés aux défrichements, sauf dérogation très exceptionnelle. Avantages de la culture, seule méthode pour nourrir dignement et de façon sûre sa famille. Les maisons seront partagées par 10 personnes, que cela recoupe une famille ou non. Logement temporaire au début à Poitiers ou Châtellerault.
Le Roi paye les frais de transport et les vivres en route (comme les troupes) et ils auront quelques exemptions ou prix réduits.
Redevances seront minimes. La solde sera supprimée à ceux qui ne s'établiront pas, sauf exception et à condition qu'il n'y ait pas de vices. Retour sur les laboureurs qui ne voudraient pas s'établir : c'est pour eux que le gouvernement a cherché des terres, dont la seule excuse pour eux est le grand âge ou une profession stable et consolidée. (répétition)
Calcul précis et détaillé ensuite des gains qu'un ouvrier peut espérer gagner à Saint-Malo ; il cherche à prouver que les gains sont largement inférieurs à ce que propose le Roi. L'agriculture est largement plus avantageuse et plus sûre. La terre = noble.
L'alternative offerte aux Acadiens est simple : ou suivre les offres du Roi et bénéficier de la prospérité, ou choisir l'insubordination et être laissés à eux-mêmes dans la misère.

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Avertissement

M. Le Moyne, commissaire général de la marine préposé aux opérations préparatoires à l'établissement ordonné par le Roi de 1500 personnes acadiennes dans le Poitou sur les friches et landes de Monthoiron appartenant à M. le Marquis de Pérusse Descars, avertit les Acadiens qu'il se dispose à partir incessamment pour continuer sa mission.

Voulant avant son départ mettre les familles dont la conduite est reprochable dans le cas de revenir à leur devoir, il va faire un dernier effort pour détruire les préventions que des malintentionnés leur ont inspiré. Il ne se lasse pas de les instruire sur l'étendue des bontés du gouvernement pour eux ; il va avec la sincérité la plus naïve et le plus de précision qu'il le pourra les leur mettre sous les yeux pour la dernière fois. Heureux s'il les persuade et les retire de l'abîme dans lequel ils paraissent vouloir se précipiter.

Sa majesté, par cet établissement, veut donner aux Acadiens des marques de sa bonté et les dédommager des abandons que leur fidélité à leur religion, à sa personne et à l'Etat leur a fait faire dans l'Acadie ; elle veut bien y consacrer des fonds considérables et suffisants pour leur assurer par la culture et en les rendant propriétaires de terres, non seulement une existence aisée et prochaine, mais même un bien-être certain pour leurs enfants et leurs descendants. Ce sont ces vues si dignes du c?ur paternel de S.M. [Sa Majesté] que M. Le Moyne a eu ordre de leur annoncer. Il croit qu'on ne peut lui refuser l'aveu, qu'il l'a fait avec zèle et vérité.
Il s'est d'abord transporté au Havre, ensuite à Cherbourg, deux villes ou quantité de familles acadiennes étaient en résidence. Il n'y a trouvé que des hommes vraiment dignes de la qualité de sujets fidèles et pleins de confiance dans les bontés du Roi. Ils ont démontré la reconnaissance la plus tendre et l'empressement le plus vif à obéir, et à se mettre en possession des grâces qui leur étaient offertes.
Quelques familles, sans s'écarter de ces sentiments, sans cesser de montrer la plus grande confiance et la soumission la plus sage, ont présenté les avantages qu'elles avaient acquis pendant leur résidence dans ces villes et ont prié de juger, si la protection du gouvernement jointe à ces avantages ne balançait pas ceux que la bonté du Roi leur présentait. Elles ont été écoutées, leurs observations ont été discutées avec eux-mêmes. Trouvées justes, il leur a été promis de la part du Roi et conformément aux ordres de son ministre, toute protection dans l'Etat et profession qui les fixaient ; on leur a même assuré des lettres de maîtrise. Ceux auxquels on a démontré que la culture leur était plus avantageuse, qu'ils se trompaient sur leurs intérêts, et ceux de leurs enfants, qui devaient être l'objet principal de leurs démarches, se sont rendus avec reconnaissance. Les vieillards, les infirmes, les êtres isolés, des veuves, des orphelins, hors d'état de gagner leur vie par aucun travail, ont été écoutés et admis à des grâces particulières. M. Le Moyne n'ayant trouvé que des sujets fermes dans leur fidélité, dans leur dévouement à leur prince et à l'Etat et dans les sentiments de Religion, qui ont toujours dirigé leur conduite, a eu la satisfaction de n'avoir pour les décider qu'à leur montrer le véritable objet de sa mission, les effets de la bonté paternelle de S.M.
Il ne cache pas qu'à Cherbourg, il a trouvé quelque résistance dans quelques familles, qui cependant ensemble peuvent être regardées comme une seule ; mais cette résistance fondée seulement sur des prétentions à des préférences mal entendues et impossibles à réaliser, ne les a point fait s'écarter ni de la soumission absolue, à laquelle elles consentaient, ni de la démonstration de la reconnaissance la plus sincère des grâces que le Roy leur offrait.
M. Le Moyne s'attendait à trouver à Saint-Malo, toutes les familles acadiennes aussi soumises et aussi dévouées à leur prince qu'elles avaient démontré l'être, lorsqu'elles y sont arrivées et telles que les familles résidentes au Havre, la jouissance non interrompue des bienfaits du Roi et de sa protection la plus décidée, depuis que S. M. leur a permis d'y résider, devait ce semble consolider en eux les sentiments qui leur avaient fait abandonner l'Acadie. Le grand nombre de ceux qui s'y trouvent en résidence devait assurer une émulation d'attachement à la Religion, de dévouement au Roi et de reconnaissance de toutes les bontés de sa majesté.

Que les familles acadiennes sentent donc combien M. Le Moyne a dû être surpris de trouver dans presque toutes des sentiments absolument différents de ceux dont il les croyait pénétrées. Il n'a vu en eux que la méfiance, l'insubordination, la mutinerie réfléchie, et l'ingratitude la plus outrée tant pour les bienfaits reçus que pour ceux qu'il avait ordre de leur offrir. Il n'a pu se persuader que ce qu'ils démontraient sur le fonds de leur c?ur. Il a vu au contraire que le rapport de la qualité des terrains qui étaient destinés à leur établissement, faits avec la fausseté la plus impudente par Alexis Trahan, Alexandre Bourg et Pierre Henry avait subjugué leur façon de penser ; qu'il leur faisait entrevoir un avenir affreux et ne leur permettait pas de voir qu'ils insultaient à la sagesse et à la bonté du gouvernement en ajoutant foi à ce rapport, plutôt qu'à l'assurance qui leur était donnée de sa part, que ces terrains travaillés avec courage étaient susceptibles de toutes les productions qu'on peut espérer des terres reconnues bonnes et cultivées depuis longtemps en France auxquelles il les avait fait comparer.

Sachant que le moyen le plus efficace pour persuader sur pareils faits, est de voir, il s'est prêté à une seconde visite. Il a accepté que Jean-Jacques le Blanc et Simon Aucoüin [Aucoin] fussent visiter les terrains, quoi qu'ils l'eussent assuré même publiquement que quelque bonne que fut la terre, ils n'étaient point dans la disposition de s'y établir. Il y joignit le nommé Augustin Doucet reconnu pour très honnête homme et bon laboureur, et enfin pour balancer, par un homme absolument désintéressé à la chose, il nomma pour les accompagner le nommé Louis Martin cultivateur en Bretagne, que M. le Subdélégué lui indiqua comme un des plus intelligent et des plus expert de la province.
Cette visite a été faite avec toute l'authenticité et toutes les précautions qui devaient empêcher la moindre suspicion. Le procès-verbal entre dans tous les détails sur les avantages et désavantages et tout ce qu'il contient prouve ce dont le gouvernement s'était assuré. La terre y est démontrée bonne, susceptible de toutes sortes de productions, besoin que d'être bien travaillée et d'y ménager des écoulements pour l'égoutter, opération peu pénible pour une masse considérable de cultivateurs et à faire avec d'autant plus de zèle que fait une fois, elle assure pour toujours la fertilité du terrain.
Ce procès verbal assure encore des mares intarissables pour abreuver le bétail ; de la marne, l'engrais le meilleur qu'on puisse employer ; en un mot il prouve les produits à espérer en tout genre par ceux existant dans les terrains voisins même dans des parties concentrées dans ceux destinées aux établissements.
M. Le Moyne pouvait-il penser qu'un rapport dont la vérité est aussi authentiquement assurée trouverait une résistance aussi inexcusable que celle qui s'est démontrée ? N'a-t-il pas dû croire au contraire que tous les préjugés nés d'un rapport démontré faux dans tous les points, sans en excepter un seul, étaient anéantis et s'applaudir de sa condescendance à une opération à laquelle il n'était point autorisé, mais qu'il avait cru devoir aux faiblesses de l'humanité. Ne doit-il pas être fâché de s'être prêté à une opération qui rend la résistance inexcusable, qui le met dans l'impossibilité aujourd'hui de la présenter comme un simple refus, et qui au contraire le force à la qualifier d'insubordination punissable.
L'obstination ne nécessite pas le manquement au respect dû aux volontés du Roi. Elle peut être respectueuse ; celle des Acadiens qui se sont présentés pour les familles a tout le caractère d'un complot formé avec réflexion, d'une mutinerie combinée. Je n'ose dire d'une révolte ; elle est de nature à faire suspecter des intelligences criminelles. Il n'est pas nécessaire d'en donner des preuves par des détails de leur conduite, qu'ils s'examinent. Ils en verront M. Le Moyne que trop autorisé à suspecter leur fidélité au Roi et des pratiques dont tôt ou tard ils seront les victimes. Que ceux qui dirigent sourdement et dans les ténèbres la conduite de la plupart n'imaginent pas s'être assez cachés pour n'être pas découverts ; qu'ils tremblent qu'on ait plus de preuves contre eux et qu'ils rentrent dans le devoir. Ils auront horreur, d'eux-mêmes s'ils réfléchissent que pour leur intérêt particulier ils rendent victimes de leur méchanceté leurs faibles compatriotes dans la confiance desquels ils se sont glissés comme des serpents.
Que les chefs de familles qui s'obstinent à refuser les grâces du Roi combinent et les avantages qu'ils rejettent et les maux qu'ils se préparent, mais plus à leurs enfants qu'à eux-mêmes. Les grâces que le Roi accorde vont être ici détaillées afin que personne ne puisse dire les ignorer.
Le Roi accorde à tous les individus acadiens indistinctement la subsistance à raison de 6s par jour et par tête de tout âge et de tout sexe jusqu'au premier janvier 1774. Il leur accorde en outre à tous indistinctement à raison de l'établissement (bien entendu que leur opposition n'en arrêtera pas l'accomplissement) 3 arpents de terre en propriété. Ceux qui ne pourront être employés à la culture, soit à cause de leur âge, de leur impuissance au travail de la terre, des professions qu'ils auront établies solidement dans les villes et qui peuvent leur assurer leur subsistance et celle de leur famille, avec l'aide de la protection du gouvernement et autres qui apporteront des excuses admissibles et non contraires à la soumission due aux volontés du Roi, jouiront de leurs trois arpents en 1776. Ils leur seront remis à cette époque au temps des semailles du printemps tout défrichés et prêts à ensemencer. Ils pourront alors ou les faire valoir eux-mêmes si leur position change, ou les louer à leurs compatriotes établis sur le terrain, mais la subsistance cessera pour eux au premier janvier 1774, à moins que leurs états et leur soumission ne portent le gouvernement à leur accorder des grâces particulières ; et peut-être la continuation de la subsistance au delà du premier terme fixé. Ces grâces peuvent être espérées par les gens d'un très grand âge, ou attaqués d'infirmités, orphelins de père et de mère, sans parents, etc.
Ceux qui se sont déclarés laboureurs sont plus particulièrement obligés de se donner à l'établissement, puisque c'est à raison de leur déclaration que le gouvernement a recherché des terres pour les entretenir dans leur profession d'habitude. Ceux qui sont en état de force et d'âge à se livrer à cette profession sont aussi dans le cas d'être destinés, surtout ceux qui ont des familles nombreuses, parce que c'est de la culture seule que le gouvernement espère leur aisance pour élever leurs familles. Il sera donné à ceux qui s'adonneront à l'établissement outre les trois arpents par tête, des personnes qui les formeront, mais par 10 têtes seulement une maison, écurie, granges et cellier, 4 b?ufs, 2 vaches, 2 charrues, une charrette et tous les outils aratoires nécessaires, soit que l'association de dix soit faite par une seule ou plusieurs familles et en toute propriété à l'association.
Ce qui assurera au moment la propriété sera l'enregistrement fait des personnes et au 1er janvier 1776 les terres étant distribuées et lotées (? ou loties), ou à fur et à mesure qu'elles le seront, il sera délivré un acte de don, bien libellé, authentique, dans la meilleure forme et tel que le concessionnaire pourra le désirer. Il sera en outre accordé aux cultivateurs six sols par jour et par tête de chaque individu composant l'association, femmes et enfants pendant l'année 1774 et 1775. En 1776, on cessera de donner les 6 sols, mais il sera donné du grain en quantité suffisante pour que les cultivateurs puissent vivre, et faire vivre leurs familles, jusqu'à la récolte qu'ils couperont et qui leur appartiendra sans difficulté et entièrement.
En attendant que les maisons des établissements soient bâties, les cultivateurs seront logés soit à Poitiers, soit à Châtellerault, soit dans les bourgs et villes ou villages voisins, et il leur sera fourni le petit ustensile dont ils pourront avoir besoin.
Le Roi se charge encore de tous les frais de leur transport et de celui de leurs effets, soit par mer, soit par terre, jusqu'à ce qu'ils soient rendus à la résidence qui leur sera assignée et pour leur subsistance, il leur sera fourni l'étape en route, comme aux troupes, et en mer la ration. Le roi leur accorde en outre toutes les exemptions fixées par les arrêts de son conseil et lettres patentes concernant les défrichements des terres, exemptions de grande gabelle pendant un temps, et on leur fait espérer quelques années le tabac au prix des troupes.
Ils jouiront franchement vis à vis du seigneur de leurs terres pendant quelques années. M. Le Moyne ne peut dire le nombre, parce que cet arrangement fait pour leur plus grand avantage, n'est pas encore fixé par le contrôleur général.
Les redevances qui seront payées au Seigneur sont on ne peut plus modiques puisqu'elles ne consistent que dans onze boisseaux de froment, 5 boisseaux d'avoine et 14 sols 8 deniers de cens en argent, pour les 30 arpents et maison. Le boisseau ne pèse que 32 livres. Ces redevances hors l'argent qui se payera en 1777 ne se payeront que au terme qui sera fixé par M. le contrôleur général, ainsi qu'il est dit ci-dessus. Après le détail des grâces et des avantages que le gouvernement offre aux Acadiens, qu'ils voient les maux que leur obstination leur attirera et à leurs enfants plus qu'à eux-mêmes. La solde de subsistance que S.M. accorde, cessera d'être payée le 1er janvier 1774 à tous ceux qui ne seront pas destinés aux établissements ; cependant, le gouvernement examinera avec bonté les causes de leur non destination ; et si les causes ne sont point tachées de vice d'insubordination et d'inconduite, il aura égard à leurs besoins et pourvoira à les soulager par des grâces particulières convenables, ou à leur profession, ou à leur santé ; si au contraire elles sont vicieuses, ils les abandonnera à eux-mêmes.
Quant à ceux qui se sont déclarés laboureurs quelle excuse pourront-ils donner au gouvernement de se refuser à la culture, si ce ne sont celles de l'âge qui leur ôte toute faculté du travail ou d'une profession consolidée dans le pays qui les met, eux et leurs familles, dans la position de pouvoir se passer des grâces offertes. Le gouvernement n'a cherché des terres, comme il est dit plus haut, que dans la vue de les employer dans leurs professions d'habitude ; il a regardé leur déclaration comme une demande formelle. Pouvait-il agir avec plus de bonté que de s'y prêter ? La subsistance doit cesser d'être payée dans la province aux cultivateurs au 1er octobre parce que leur transport étant fixé au 1er octobre au plus tard, ils doivent la toucher au lieu de la résidence qui leur sera fixée en Poitou. Cependant, les excuses jugées légitimes que quelques un d'eux pourront présenter pour différer leur départ seront écoutées et ils continueront d'être payés dans la province jusqu'au terme qui leur sera accordé ; mais ceux qui sans causes légitimes refuseront de s'établir, quel traitement doivent-ils espérer ? Ils ne montreront pour cause de leur refus que de l'insubordination et beaucoup d'entre eux l'esprit de révolte. Le gouvernement sans les accuser d'aucun de ces crimes, jugera néanmoins bien, en supposant qu'ils ont des ressources qui les mettent dans le cas de n'avoir pas besoin des grâces qu'il leur offre, avec justice il les privera de toutes, et c'est la moindre punition qu'il puisse leur infliger : mais que ceux qui sentent que leur conscience leur reproche des causes que le gouvernement ne peut regarder que comme criminelles craignent des punitions graves. Le mal n'est pas aisé à cacher toujours.
Quelles ressources honnêtes peut présenter Saint-Malo et ses environs à un chef de famille ? Sa journée (il faut le supposer très fort ouvrier) peut monter à 30 sous. Comment nourrira-t-il 4 enfants, sa femme et lui avec 30 s. en y ajoutant même le produit du peu d'ouvrage que sa femme pourra faire dans les moments que le soin de sa famille pourraient lui laisser, quelque laborieuse qu'elle soit ; le supposant employé toute l'année, les fêtes et les dimanches emportent le quart des jours. Sa journée est donc réduite à 22 sol. 6 d. qu'il soit malade, que le travail ne donne pas, comme il arrive souvent, on peut évaluer ces accidents à un sixième. Sa journée ne lui produit plus que 14 à 15 sols pour chaque jour de l'année ; comment peut-il nourrir et vêtir sa famille et se procurer et à elle, les secours que la maladie exige ? Combien est-il d'ouvriers qui ne gagnent pas une si forte journée, et qui ont une famille plus nombreuse? Un homme honnête peut-il se refuser à la culture, travail qui assure la vie à sa femme et à ses enfants, et a une propriété qui la leur assure, en cas que la Providence dispose de lui ? La terre est le seul vrai moyen, quelque mauvaise qu'elle soit, elle répond à la sueur de l'homme et l'en dédommage. Si elle le refuse à un produit elle se prête à un autre, plus ou moins de travail est la différence de la bonne à la mauvaise. Celle qu'on leur destine est reconnue bonne, quelle est donc leur obstination ? Ils doivent frémir à ces réflexions ; ils manquent à leur devoir le plus sacré comme pères de familles ; ils font véhément suspecter leur probité comme citoyens et leur fidélité comme sujets.
Il ne sera rien ajouté à ces observations ; M. Le Moyne les croit suffisantes ; il invite les Acadiens à y réfléchir.
Ils n'ont que deux partis à prendre: ou revenir à leur devoir, s'abandonner avec confiance au gouvernement, montrer toute la soumission qu'ils doivent à la volonté du Roi, être reconnaissants des bienfaits dont il les a comblés et qu'il veut encore leur prodiguer et par là se mettre dans le cas de jouir de tous les avantages dont jouiront ceux qui se sont montrés avec ces titres ; ou de persister dans leur insubordination et de s'exposer à tous les maux qui doivent en être la suite, et le plus affreux d'y faire participer leurs malheureux enfants, innocents de leur inconduite. Quel contraste.
M. Le Moyne veut bien n'arrêter le rôle des registrés acceptant avec reconnaissance les offres du gouvernement que le 26 de ce mois afin de donner aux refusants [sic] le temps de la réflexion et du retour sur eux-mêmes et en lui (?). Il souhaite bien vivement que le but qu'il se propose par cet avertissement soit atteint : il les avertit (?) que ce rôle sera arrêté et envoyé dimanche 29 sans plus de délai, ainsi que celui des refusants dans lequel il désire ardemment n'avoir à employer que des sujets fidèles, soumis et méritants (?) des grâces particulières.

A Saint-Malo le 19 août 1773


envoyé une copie aux curés :

de Saint-Servan qui l'a lue après la grande messe
de Saint-Suliac, idem
de Pleudihen, id.
de Plouer, id.
une copie :
à M. Destouches pour M. le C.G.
une id. à M. L'abbé de Lisle Dieu

Notes

// ancienne fiche # 268 supprimée (doublon)
// DSCN0248.jpg
// rien sur intégration dispersion, a priori dans ce texte
//La Lettre est postérieure au procès-verbal de l'établissement qui date de fin juillet, début août.
//Le ton est très paternaliste et très empreint d'ancien testament, d'une certaine manière. Rhétorique du peuple infidèle qui se met à pècher.
Une partie du document (le recto des premières feuilles) est illisible parce que le papier n'a pas pu être plié suffisamment, mais j'ai pû reconstituer les parties manquantes et vérifier quelques mots douteux en comparant mot à mot avec une copie du même document qui se trouve plus loin dans le dossier ; c'est mot à mot la même chose ; l'autre texte est encore plus tronqué que celui-ci puisqu'il me manque la fin. Je n'ai pas fait de fiche séparée pour l'autre texte, car cela me paraissait inutile.
Il y a quelques répétitions dans le texte.

Auteur : Le Moine, presque sans aucun doute, même si la lettre n'est pas signée et inachevée (cf. aussi l'autre document dans le même registre qui porte le même titre) ; un indice très sérieux tend à ne pas laisser de doutes : " M. Le Moyne ne peut DSCN0255.JPG dire le nombre, parce que cet arrangement fait pour leur plus grand avantage, n'est pas encore fixé par le contrôleur général."

Destinataire : à première vue : les Acadiens ; mais en fait, pas si sûr, parce que deux allusions pourraient faire croire autre chose :
1. il écrit : "pour balancer" ("Il y (id.) le nommé Augustin Doucet reconnu pour très ho[nnète] homme et bon laboureur, et enfin pour balancer, (id.) homme absolument désintéressé à la chose, il nomma pour les accompagner le nommé Louis Martin cultivateur en Bretagne") ; il n'aurait peut-être pas écrit cela aux Acadiens ?
2. il évoque une opération à laquelle il n'était point autorisé : "N'a-t-il [L.] pas dû croire au contraire que tous les préjugés nés d'un rapport démontré faux dans tous les points, sans en excepter un seul, étaient (f° 35) anéantis et s'applaudir de sa condescendance à une opération à laquelle il n'était point autorisé"

Mots-clés

// SM
// avertissement, remontrance aux Acadiens
// fidélité au Roi, État, Religion
// tournée de Lemoyne (Le Havre, Cherbourg)
// discussion avec les Acadiens
// accord de lettres de maîtrise
// méfiance, insubordination, mutinerie

Numéro de document

000012