Document : 1772-10-29
Références / localisation du document
BM Bordeaux, MS 1480, f°157-161// f° 89-91
Date(s)
1772-10-29
Auteur ou organisme producteur
Lemoyne
Destinataire
Bertin directeur du bureau d'agriculture (dépend du Contrôle Général)
Résumé et contenu
Lemoyne à Bertin. Critique du projet de Pérusse moins avantageux que celui de SV. Les Acadiens sont trop gâtés
Lemoyne suggère de faire de la publicité et de donner des précisions pour que des propriétaires et des intendants (comme Turgot l'a déjà fait) puissent se proposer d'établir des Acadiens.
Comparaison du projet de Pérusse et de celui de SV au désavantage du premier qui lui semble bien moins avantageux (il a reçu de Guillot une copie du projet de P. ainsi que le mémoire des Acadiens contre ces terres).
Les Acadiens parlent d'eaux croupissantes.[1772-10-11a]
Critique des comptes de Pérusse qui porte les frais d'établissement à 10.000 livres alors que BIM a coûté 800 livres et le projet de Corse était de 1.200 #.
Un paragraphe où il est difficile de voir où il veut en venir. Paragraphe semble contradictoire : il dit que le refus des Acadiens ne sera pas général.
Raisons des secours aux Acadiens : "La subsistance que le Roi accorde aux Acadiens est une indemnité de l'abandon qu'ils ont fait de leurs propriétés en Acadie". Suggestion (qui vient du ministre lui même peut-être) de leur donner des terres en échange des terres qu'ils ont abandonnées.
Il faut aussi agir rapidement : l'exemple fera des émules.
Critique de l'abbé Le Loutre qui a trop gâté les Acadiens ; ceux-ci ont sans arrêt étendu leurs prétentions. "Ils ont même eu l'ingratitude de mal interpréter les réserves dans lesquelles il leur conseillait de se tenir ; l'on attribue sa mort au chagrin qu'il en a conçu [cf. @. 148] Il les a gâtés."
Il faut éduquer les Acadiens et leur dire qu'il faut travailler dur et souffrir pour acquérir l'aisance. Il faudra que les secours cessent.
Enfin Le Loutre a favorisé les Acadiens en Bretagne (parce que sa famille résidait en Bretagne) au détriment des autres. Il faudrait un émissaire qui fasse le tour des familles et les détermine à s'établir.
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Copie du mémoire envoyé à M. Bertin le 29 octobre 1772
Monseigneur,
Il est des moyens certains pour établir les familles acadiennes ; ils seront abondants, mais il faut pour qu'ils soient recherchés par ceux qui peuvent les mettre en usage [et ?] qu'ils soient connus ; on sait en gros que vous travaillez, M., à les établir, mais le comment est absolument ignoré. Il est naturel que l'on pense que le Roi veut faire la réponse entière de tout ce qui sera nécessaire pour leur établissement au moyen de quoi mille vues particulières ne se développent, ne conviendrait-il pas M. que M. les intendants de provinces instruits par vous rendissent compte des moyens que leur généralité peut fournir, la connaissance que vous leur donneriez de vos projets les mettraient sur la voie des recherches et la publicité qu'ils leurs donneraient développerait les idées occasionnerait des calculs et exciterait les désirs de participer à leur exécution.
M. Turgot, homme patriote [souligné dans le texte] vous a je crois instruit de ce que vous pouvez espérer de sa généralité, je pense des autres intendants comme de lui à qui leur amour pour le bien les fera nous servir avec zèle dans une opération aussi intéressante à l'humanité.
Le moyen proposé par M. le Marquis de Pérusse à quelque analogie avec celui offert par M. de Saint Victour ; mais quelle différence ! Il offre des terres incultes, mais il ne propose pas de faire les frais de leur établissement [barré, remplacé par] défrichements suivant une lettre de M. Guillot commissaire de la marine à SM à laquelle il a joint copie de celle que M. le M. de Pérusse lui a fait l'honneur de lui écrire, les terres offertes sont sans bois et sans eau, si ce n'est, suivant le mémoire remis par les Acadiens à M. de Pérusse dont ce commissaire m'a envoyé copie, des eaux croupissantes dont l'écoulement indispensable serait impraticables par eux. M. de Saint Victour au contraire établi à l'instant la famille, il la place dans une ferme outillée de tout et lui donne une terre déjà en valeur en lui avançant la semaille, et [rachetant ?] celle déjà mise en terre, il la fait jouir à l'instant, il lui assure la 1ère récolte qui peut la faire vivre et le rembourser de ses avances. Cette famille, logée et outillée et en culture peut employer ses 1ers moments perdus à préparer les défrichements qu'elle peut entâmer dès la 2e année, elle peut épargner sur les secours que le Roi lui continue et économiser assez pour acquérir du bétail en son propre, pour les labours des terrains dont la propriété lui est assuré par les défrichements. Le propriétaire assuré de son remboursement ne leur refusera pas de lui en faire l'avance si elle se démontre laborieuse, peu de particuliers peuvent se montrer ainsi. Il n'y a que des communautés riches qui par le respect de la confiance qu'elles ont en vous M. puisse faire espèrer semblable procédé.
M. de Pérusse calcule à 10 000 livres environ l'établissement de chaque famille ; les détails qu'on a pu lui présenter ne sont pas justes : il y a de quoi effrayer. A BIM elles n'ont couté que 800 #. On l'avait porté pour les établissements en Corse à 1 500 # et même on se dédomageait en chargeant les familles de l'intérêt des intérêts jusqu'à extinction du capital et en sus d'imposition onéreuse après les 5 premières années. A loin ... elles ne doivent pas coûter plus de 1200 livres. Cette estime est je le crois portée au plus haut dans un pays peu boisé où les matériaux se trouveront à pied d'oeuvre. Je suppose que l'on paye le travail que les Acadiens peuvent faire, ils sont presque tous charpentiers et la grosse menuiserie.
Monsieur le Marquis de Pérusse assure d'après M. de Sutière le sol de ses friches très propres à la culture. Je les crois telles malgré la prévention que donne contre elles le laps du temps qu'elles ont été constamment abandonnées. Je suis persuadé que M. de Sutière rendra par ses procédés ces terres productrices, mais les procédés qu'il employera sont-ils à la portée des facultés des familles acadiennes ?
Le déffrichement n'est qu'une affaire de calcul, tout particulier qui avec une dépense quelconque peut mettre ses terres en valeur au point de se procurer un revenu qui le dédomage largement ne doit pas balancer, il doit profiter de la circonstance : le refus des Acadiens ne sera pas général et certainement les défrichements aux moindres frais possibles se feront par eux, surtout si on les y assorti et si pour payement de leurs travaux on partage avec eux les défrichements faits. Les terres prouvées bonnes si le propriétaire ne veut point entreprendre, il peut vendre à des capitalistes, les acquéreurs ne lui manqueront pas, par la vente il peut ajouter du réel à son fief.
Permettez, M., que je revienne sur le moyen que je vous ai proposé de donner aux acadiens des terres du domaine la possibilité est certaine et la propriété peut leur en être transmise à titre d'indemnité, avec autant de suite qu'elle le serait par une échange. La forme est facile à donner.
La subsistance que le Roi accorde aux Acadiens est une indemnité [trop à charge : barré] de l'abandon qu'ils ont fait de leurs propriétés en Acadie. Le Roi change cette indemnité trop à charge et veut leur donner terre pour terre, qui pourra jamais attaquer un tel arrangement. M. Duvossel (?) grand maitre la croit pratiquable. Les Acadiens bien en possession n'ayant point de facultés pourraient traiter avec quiconque. Ce sont des conditions avouées du ministre pour les établir et céder et leurs propriétés. Il est inutile d'entrer dans le détail des formes (?) pour consolider l'opération.
J'ai dit qu'il était un préalable nécessaire aux opérations que le ministre se propose qui est de faire connaître ses vues et de les rendre publiques ; il est encore plus essentiel de saisir le premier moment pour mettre à exécution même la plus légère portion des moyens qui se feront jour, l'exemple fera plus que toutes les démarches et les sollicitations, il est la plus certaine des excitations.
Il en est encore un, il faut cathéchiser les Acadiens sur les intérêts différemment que ne l'a fait l'abbé Le Loutre. Son zèle ne mérite que des éloges, mais il l'a outré, plus il leur a montré d'affection plus ils ont exigé de lui, plus ils ont étendu leurs désirs ; ils ont même eu l'ingratitude de mal interpréter les réserves dans lesquelles il leur conseillait de se tenir (?) ; l'on attribue sa mort au chagrin qu'il en a conçu. Il les a gâté.
Il faut convaincre ce peuple qu'il doit profiter des moyens que l'Etat lui offre ; que le prospect [cherché dans Robert et Dictionnaire de l'Académie, pas trouvé] d'un travail pénible ne doit pas le rebuter, qu'il ne peut espérer de l'aisance qu'à la longue et en travaillant de toutes ses forces à mettre à profit les moyens qui lui sont présentés, que les secours qu'on lui a accordé et qu'on veut bien lui continuer pour quelque temps doivent finir, en un mot qu'au dela de ce qu'on lui procure (?), il ne doit point espérer que de son travail de sa vigilance et de son industrie.
Je dois à M. l'observation que l'abbé Le Loutre m'a toujours paru plus affectionné aux familles résidentes en Bretagne qu'aux autres épars dans le Royaume ; il était dans le cas de les voir plus fréquemment, ayant sa famille près d'eux ; sans y penser il a un peu négligé celles établies en Normandie à Cherbourg et sur terre (?) [ou surtout], etc., elles sont un peu découragées, je crois qu'il conviendrait qu'elles fussent informées de la protection que vous voulez accorder à tous les Acadiens indistinctement et les assurer par quelqu'un qui les voyant souderait leur façon de penser et en discutant avec elles leurs intérêts les disposeraient à saisir avec empressement les offres qui leur seraient faites, il faut remontrer à ces esprits trop enthousiasmés de leurs prétentions. Il faudrait pour cela M. que vous donnassiez vos ordres à quelque sujet de confiance pour se transporter dans les lieux principaux où les familles résident.
Je suis, etc... signé Lemoyne.
Mots-clés
// acadiens = trop gâtés par Le Loutre
// perception
// projet d'établissement
// Poitou
// Saint-Victour
// secours : indemnité pour les abandons en Acadie
// CRPV
Numéro de document
000137