Document : 1777-10-01
Références / localisation du document
ADV 2 J 22 - art. 97 // ADV C 32 //
Date(s)
1777-10-01
Auteur ou organisme producteur
Pérusse
Destinataire
Sutières
Résumé et contenu
Pérusse à Sutières. Sutière lui a annoncé qu'il allait quitter le Poitou. Argumentation contre cette décision.
Si il part = fin de l'établissement. Coût aurait été bien moindre si pas obligés de combattre contre la noirceur et même la méchanceté des gens du pays. S'est communiquée aux Acadiens. Acadiens étaient "purs" avant d'arriver dans le Poitou et ont changé du tout au tout ensuite (contagion). Allusion à la responsabilité des prêtres (?) qui ont détourné les Acadiens du pays et qui devraient être punis. Il explique à Sutières qu'avant son arrivée, il a dépensé énormément d'argent (50,000 écus) en pure perte dans l'agriculture qui n'ont pas augmenté son revenu (à cause d'une mauvaise pratique d'agriculture préconisée par une mauvaise littérature). Visiblement un "bruit public" (il explique un peu plus bas de quoi il s'agit) accuse Sutières de dépenses somptueuses sans résultat. Pérusse lui explique que les dépenses ont eu lieu essentiellement avant son arrivée.
Quant aux Acadiens, ils sont partis sans amertume en pensant simplement que Pérusse et Sutières s'étaient trompés. Cabale contre l'établissement. Certaines personnes lui ont même fait croire que sa vie (à Pérusse) et celle de Sutières étaient en danger. Il a dû prendre des précautions pour se protéger et protéger la vie de Sutières (il ne lui en a rien dit) ; ces mesures ont été inutiles : il a été souvent seul au milieu de 50 Acadiens lesquels lui témoignaient seulement de la reconnaissance. Le petit nombre de familles qui ont cultivé selon le principe de Sutières ont fait une très bonne récolte. Continue à dire à Sutières combien il est utile.
Revient sur le "cri public" donné contre Sutières : visiblement, Sutières a entendu dire que Madame de Pérusse rend responsable Sutières de la perte de fortune de son mari. Pérusse dit que sa femme en fait l'éloge au contraire et que sa fortune a augmenté, pas l'inverse.
[une partie se répète ici, je ne sais pas d'où vient l'erreur, il faudrait re-vérifier]
Pérusse regrette surtout qu'il y ait eu un échec alors qu'il aurait pu être très simple de réussir si on lui avait envoyé seulement 15 familles et non pas 340, et si les familles agricoles étaient arrivées en premier et non en dernier + le fait qu'il ait été obligé de faire travailler les Acadiens comme maçons et charpentier n'a pas aidé (ils n'y connaissaient rien) + retard des paiements.
[suit un transcription tirée de C 32 (qui n'est qu'un extrait de la longue lettre)
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Lettre de Pérusse à Sutières du 1er octobre 1777
Je reçois dans l'instant votre lettre du 21 du mois dernier, laquelle je vous l'avoue m'affecte d'autant plus que si vous persistez à vouloir prendre le parti d'abandonner le Poitou, certainement il faut désormais renoncer à l'établissement des Acadiens et à tous les avantages qui en doivent résulter : il est vrai qu'il a coûté à l'Etat des sommes considérables, mais elles eussent été des deux tiers moins fortes si comme vous le savez nous n'avions eu à combattre sans cesse depuis cinq ans le préjugé des gens du pays, leur mauvaise volonté et même (disons le entre nous) toute la noirceur de leur méchanceté qui ne s'est que trop communiquée à tous ceux des Acadiens qu'on a été obligé de renvoyer à Nantes : vous et moi avons eu la douleur de voir ces malheureux qui étaient arrivés en Poitou avec de la bonne volonté et beaucoup de moeurs changer subitement du tout au tout par l'instigation des gens du pays, et [notamment ou nommément] de ceux qui par principe de religion devaient et étaient faits à tous égards pour leur donner d'autres exemples et les encourager à profiter des bontés du Roi, et à s'en rendre d'autant plus dignes par leur zèle pour le travail, que de lui seul dépendait et leur succès dans cette nouvelle terre, et leur propre bonheur. Mais loin de leur insinuer des sentiments qui devaient être naturels à leur respectueuse gratitude, ces mêmes personnes mal intentionnées (et qui si justice leur était rendue mériteraient d'être punies) ont non seulement dégoûté les Acadiens de l'établissement que le Roi voulait bien leur accorder, mais encore les ont portés à ne pas y travailler et à dégrader même avant leur départ pour Nantes différents travaux faits pour eux ; vous ne pouvez ignorer non plus tout ce que ces vils cabalistes ont mis en usage pour ameuter les Acadiens (avant leur émigration) contre vous, contre moi et contre tous ceux qui sous notre direction contribuaient le plus au succès de cette opération. [...].
J'avoue encore (et cela soit dit entre nous) que depuis la fin de 1762 jusqu'au commencement de 1771 j'ai dépensé au delà de 50 mille écus en travaux d'agriculture, soit en défrichements entrepris les uns à la façon du pays, d'autres avec de mauvaises charrues et sur de mauvais principes, soit en dépense pour établir des familles allemandes, former des prairies artificielles, et enfin essayer de divers instruments aratoires et de toutes les pratiques indiquées dans une foule d'écrits dont le public a été aussi fatigué qu'abusé pendant 10 ans. Ces dépenses qui dans les premiers instants de mon enthousiasme semblaient me permettre une augmentation de revenus n'ont en rien répondu à mon attente, 1e faute de bons principes constamment ignorés dans le pays jusqu'à l'époque de votre arrivée ; 2e tous les grands défrichements que j'avais fait en 1763, 64, 65, 66, et 67 tant aux métairies [il dit que dans un premier temps les défrichements ont rapporté, puis qu'il a confié à un homme négligent pendant deux ans d'absence ; à son retour, il a dû réparer les dégâts et nourrir les colons]... jusqu'à la fin de 1772 que le gouvernement jugea à propos de vous envoyer ici pour y examiner les différents terrains qu'on m'avait demandé pour l'établissement des Acadiens et c'est là où se termine la seconde époque de mon existence agricole dans tout le cour de laquelle il est aisé de voir que les grandes dépenses que vous dites être attribuées (suivant le cri public) à votre culture étaient faites avant que j'eusse l'honneur de vous connaître.
Au reste, ils auraient peut-être réussi dans ce concert d'iniquité et leur succès auraient pu passer leurs espérances si parmi les Acadiens il s'en fut trouvé beaucoup de l'espèce d'un Doiron, d'un Mazerole et de quelques autres qui ne méritent pas la peine d'être nommés ; mais heureusement le grand nombre plus raisonnable que ceux là se sont bornés au seul dégoût qu'on leur avait inspiré et en conséquence duquel ils ont demandé d'aller à Nantes. Ils sont partis en pleurant sans se permettre d'autre murmures contre vous ou contre moi, sinon de douter de nos lumières et de dire qu'on nous avait trompé sur la qualité des terrains en nous les faisant croire meilleurs qu'ils n'étaient. Enfin, Monsieur, ces mystères d'iniquité n'ayant pu trouver dans l'honnêteté des moeurs acadiennes le germe de noirceur qui lui convenait pour pouvoir être mis en fermentation, ces mêmes brûlots vrais ennemis des pauvres Acadiens qu'ils désiraient voir éloignés pour toujours du pays voyant qu'ils ne pouvaient les déterminer à une de ces esclandres aussi déplacée que criminelle, en ce qu'elle les aurait eux mêmes perdus sans retour dans l'esprit du Roi, n'ont négligé aucune pratique sourde auprès de moi, non seulement pour m'intéresser à ne les plus protéger, mais même encore à les haïr. Ils ont cherché à me donner contre eux les plus odieuses préventions jusqu'à m'assurer que ma vie et la votre étaient dans le plus immense danger parmi ce peuple là, et vous avez eu je crois les mêmes avis que moi à cet égard, peu de temps après le passage du prétendu cultivateur flamand dans ce pays ci : mais je vous ai laissé ignorer tout ce qui fut fait alors pour réaliser mes craintes sur ma vie, comme je ne vous ai rien dit des précautions que j'ai crû devoir prendre pour qu'il ne fut point attenté à la vôtre, précautions au surplus fort inutiles puisque assurément personne ne songeait à rien d'aussi affreux. Je démêlai seulement la noirceur des donneurs d'avis ou pour mieux dire de ceux qui les avaient engagé à me les donner, et loin d'éviter les Acadiens je leur continuai mes soins jusqu'à leur départ, me trouvant dix fois le jour seul au milieu de cinquante de ces bonnes gens, décidant comme à l'ordinaire (...) sans qu'aucun m'ait témoigné d'autre sentiments que ceux de la sensibilité et de la reconnaissance de ce que j'avais fait pour eux.
Le petit nombre de familles qui, j'ose le dire ici, ne sont restées à l'établissement qu'en considération de l'intime confiance qu'ils ont en moi pour leur obtenir le secours des grâces du Roi, et en vous pour diriger leurs travaux, et leur apprendre l'agriculture, qu'ils avaient eu le temps d'oublier depuis 20 ans d'inaction, ont assez bien travaillé depuis 15 mois et malgré tous les efforts qu'a pu faire la cabale expirante pour les contrarier, ils travaillent encore de façon que personne ne peut plus douter aujourd'hui de leurs succès surtout d'après la récolte qu'ils viennent d'avoir sur le peu de terrain qu'ils ont cultivé selon vos principes. [la lettre continue pour dire que si Sutières partait, les établissements seraient abandonnés].
continue à dire à Sutières combien il est utile.
(...) Je passe maintenant Monsieur, aux impressions désavantageuses que vous me dites avoir été données à Madame de Pérusse contre vous à cause de votre culture et au cri public qui vous en a instruit tant ici qu'à Monthoiron, à Poitiers, et même à Paris. Cri suivant lequel cette même culture doit consommer mes vivres et celle de ma maison. [il dit que ces cris sont faux, que sa femme lui a toujours parlé de lui [Sutières] dans les termes les plus élogieux. Pérusse explique que bien loin d'avoir diminué sa fortune, les expériences de culture de Sutières lui auraient rapporté plus si il les avait mis en pratique plus tôt.
[...]. J'avoue encore (et cela soit dit entre nous) que depuis la fin de 1762 jusqu'au commencement de 1771 j'ai dépensé au delà de 50 mille écus en travaux d'agriculture, soit en défrichements entrepris les uns à la façon du pays, d'autres avec de mauvaises charrues et sur de mauvais principes, soit en dépense pour établir des familles allemandes, former des prairies artificielles, et enfin essayer de divers instruments aratoires et de toutes les pratiques indiquées dans une foule d'écrits dont le public a été aussi fatigué qu'abusé pendant 10 ans. Ces dépenses qui dans les premiers instants de mon enthousiasme semblaient me permettre une augmentation de revenus n'ont en rien répondu à mon attente, 1e faute de bons principes constamment ignorés dans le pays jusqu'à l'époque de votre arrivée ; 2e tous les grands défrichements que j'avais fait en 1763, 64, 65, 66, et 67 tant aux métairies [il dit que dans un premier temps les défrichements ont rapporté, puis qu'il a confié à un homme négligent pendant deux ans d'absence ; à son retour, il a dû réparer les dégâts et nourrir les colons]... jusqu'à la fin de 1772 que le gouvernement jugea à propos de vous envoyer ici pour y examiner les différents terrains qu'on m'avait demandé pour l'établissement des Acadiens et c'est là où se termine la seconde époque de mon existence agricole dans tout le cour de laquelle il est aisé de voir que les grandes dépenses que vous dites être attribuées (suivant le cri public) à votre culture étaient faites avant que j'eusse l'honneur de vous connaître.
Pérusse dit qu'il serait peu affecté [de la perte d'une partie de sa fortune à cause de l'établissement des Acadiens] "si je n'avais le regret le plus sincère de voir qu'une opération toute simple en elle-même, si on eut voulu nous la laisser diriger à notre fantaisie, ait été susceptible de tant de contrariété et ait pu changer du tout au tout dans les points les plus essentiels et sur lesquels M. de Blossac et moi avions le plus insisté, tels que l'envoi de 360 familles au lieu de 15 ou 20, que nous demandions de faire venir à fur et à mesure que les habitations se retrouveraient prêtes à les recevoir.
Le choix des véritables familles agricoles pour être établies les premières au lieu d'être forcé d'établir de préférence ceux des premiers convois arrivés qui n'étaient composés que de marins.
La nécessité qui nous a été imposée de faire travailler indistinctement tous les Acadiens à la construction de leurs habitations, conjointement avec les maçons limousins (travail auquel il n'entendaient rien, et qu'ils n'ont voulu faire qu'à la journée) ce qui a rendu indispensable la nécessité d'employer également les Limousins à la journée au lieu de leur donner les maisons à faire à la tâche.
La même chose à l'égard des charpentes auxquelles il a fallu employer à la journée charpentiers du pays, les Acadiens ne voulant pas travailler autrement et aucun n'ayant voulu se charger de tracer ni de couper les charpentes.
Le retard continuel des fonds qui a toujours mis dans l'impossibilité de faire aucun approvisionnement de fourrages dans les temps convenables en argent comptant, ce qui aurait presque diminué de moitié cette partie considérable de la dépense.
Tout ce que dessus joint aux autres choses que vous n'ignorez pas avait été faite pour traverser et faire échouer l'établissement et qui m'ont causé dans le temps le plus amer chagrin n'a pu (j'ose le dire) ralentir un instant mon zèle.
[FIN, lue en entier, RAS en dehors de ce qui est marqué; très longue lettre].
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Transcription C 32
Extrait d'une lettre écrite par M. le marquis de Pérusse d'Escars à M. de Sutières, Targé, le 1er octobre 1777.
Je reçois dans l'instant votre lettre du 21 du mois dernier, laquelle je vous l'avoue m'affecte d'autant plus que si vous persistez à vouloir prendre le parti d'abandonner le Poitou, certainement il faut désormais renoncer à l'établissement des Acadiens et à tous les avantages qui en doivent résulter : il est vrai qu'il a coûté à l'Etat des sommes considérables, mais elles eussent été des deux tiers moins fortes si comme vous le savez nous n'avions eu à combattre sans cesse depuis cinq ans le préjugé des gens du pays, leur mauvaise volonté et même (disons le entre nous) toute la noirceur de leur méchanceté qui ne s'est que trop communiquée à tous ceux des Acadiens qu'on a été obligé de renvoyer à Nantes : vous et moi avons eu la douleur de voir ces malheureux qui étaient arrivés en Poitou avec de la bonne volonté et beaucoup de moeurs changer subitement du tout au tout par l'instigation des gens du pays, et nommément de ceux qui par principe de religion devaient et étaient faits à tous égards pour leur donner d'autres exemples et les encourager à profiter des bontés du Roi, et à s'en rendre d'autant plus dignes par leur zèle pour le travail, que de lui seul dépendait et leur succès dans cette nouvelle terre, et leur propre bonheur. Mais loin de leur insinuer des sentiments qui devaient être naturels à leur respectueuse gratitude, ces mêmes personnes mal intentionnées (et qui si justice leur était rendue mériteraient d'être punies) ont non seulement dégoûté les Acadiens de l'établissement que le Roi voulait bien leur accorder, mais encore les ont portés à ne pas y travailler et à dégrader même avant leur départ pour Nantes différents travaux faits pour eux ; vous ne pouvez ignorer non plus tout ce que ces vils cabalistes ont mis en usage pour ameuter les Acadiens (avant leur émigration) contre vous, contre moi et contre tous ceux qui sous notre direction contribuaient le plus au succès de cette opération. [...].
J'avoue encore (et cela soit dit entre nous) que depuis la fin de 1762 jusqu'au commencement de 1771 j'ai dépensé au delà de 50 mille écus en travaux d'agriculture, soit en défrichements entrepris les uns à la façon du pays, d'autres avec de mauvaises charrues et sur de mauvais principes, soit en dépense pour établir des familles allemandes, former des prairies artificielles, et enfin essayer de divers instruments aratoires et de toutes les pratiques indiquées dans une foule d'écrits dont le public a été aussi fatigué qu'abusé pendant 10 ans. Ces dépenses qui dans les premiers instants de mon enthousiasme semblaient me permettre une augmentation de revenus n'ont en rien répondu à mon attente, 1e faute de bons principes constamment ignorés dans le pays jusqu'à l'époque de votre arrivée ; 2e tous les grands défrichements que j'avais fait en 1763, 64, 65, 66, et 67 tant aux métairies [il dit que dans un premier temps les défrichements ont rapporté, puis qu'il a confié à un homme négligent pendant deux ans d'absence ; à son retour, il a dû réparer les dégâts et nourrir les colons]... jusqu'à la fin de 1772 que le gouvernement jugea à propos de vous envoyer ici pour y examiner les différents terrains qu'on m'avait demandé pour l'établissement des Acadiens et c'est là où se termine la seconde époque de mon existence agricole dans tout le cour de laquelle il est aisé de voir que les grandes dépenses que vous dites être attribuées (suivant le cri public) à votre culture étaient faites avant que j'eusse l'honneur de vous connaître.
[note en bas de la feuille, même écriture : extrait d'un cahier de minutes de lettres faisant partie des archives de M. le duc d'Escars]
Notes
retrouvée aussi dans ADV 2 J 22 - art. 97 photo 3163.jpg // La transcription dans C 32 est très abrégée.
photo dans 2 J 22 : DSCN3163.JPG ---> DSCN3180.JPG [très longue lettre]
Mots-clés
// perception locale
// hostilité locale : méchanceté des gens du pays ; noirceur
// menaces de mort
// Poitou
// culture
Numéro de document
001711