Document : 1756-07-31 // 1757-01-01
Références / localisation du document
# 1498 Paul Delaney, "La reconstitution d'un rôle des passagers du Pembroke", Société historique acadienne (Cahiers), 35, 1 et 2 (janvier-juin 2004) : pp. 4-76. p. 61, Appendice A // AN Col C11A vol. 87, f° 405-406
Date(s)
1756-07-31 // 1757-01-01
Auteur ou organisme producteur
Les Acadiens de Port-Royal
Destinataire
abbé Daudin
Résumé et contenu
Lettre d'Acadiens ayant saisi le bateau qui les emmenait vers les colonies unies à leur missionnaire (Daudin) pour lui raconter les circonstances de leur déportation, de la prise du bateau, et leur situation actuelle. Les Acadiens clament haut et fort leur attachement à la patrie, au Roi et à la religion. Ils se disent fiers d'être Français et désireux de le rester.
La lettre est transmise par l'abbé de l'Isle-Dieu (probablement au ministre) car l'abbé Daudin est mort. Les Acadiens ont eu des nouvelles de Daudin par un prêtre qui a séjourné quelques temps avec eux. Ont appris avec douleur les traitements que lui ont fait subir les Anglais.
Résument ensuite ce qui s'est passé : 30 députés sont partis de Port-Royal vers Chibouctou où ils ont été interrogés par le gouverneur et "sur le parti que nous voulions prendre pour l'Etat et la Religion, et voyant que nous étions tous résolus de plutôt mourir que de renoncer à notre religion, et à la France, notre véritable patrie" on les a fait prisonniers (9 semaines sur une île où ils ne reçoivent qu'une once de viande et deux onces de pain), pour les faire changer d'avis ; mais ils restent fermes. Ensuite, ils sont renvoyés à Port Royal et les soldats mettent le feu aux habitations et embarquent ceux qui n'étaient pas enfuis dans les bois. 6 navires sont partis, l'un des navires s'est révolté et les Acadiens "sans aucune défense des Anglais se sont rendus maître de navires [sic] et ont arrivés heureusement à la Rivière Saint-Jean" (d'où ils écrivent). Accueil favorable de Boishébert, commandant de la seule place qui reste aux Français en Acadie.
Donnent des nouvelles des autres Acadiens qui ont été déportés (grâce à quelques acadiens qui se sont enfuis de la Caroline) : la maladie s'est mise dans deux navires (mort d'un grand nombre). Vont partir au Canada (vivres rares là où ils sont). Rappel très solennel de leur attachement au Roi et à la religion (longue tirade) : espère qu'il pourra "faire connaître au Roi de France, notre Sire, notre fidélité et l'attachement inviolable que nous avons pour sa personne sacrée car en vérité Monsieur et je ne doute pas que vous n'en ayez vu quelques preuves. La pauvreté, l'exil et tous les malheurs du monde au pêché près ne sont pas capables de nous faire changer de sentiments, nous sommes nés Français et nous voulons mourir français. Nous avons appris avec joie que plusieurs des navires où étaient des Acadiens les ont réduit à la dernière misère par la soif et la faim, pour les forcer à renoncer à leur patrie ; mais qu'aucun n'a été assez lâche pour changer de sentiment. Nous attendons avec patience l'issue de notre sort, nous bénissons la main de Dieu qui nous frappe, pleinement convaincus qu'un homme fidèle à sa religion, et par conséquent à sa patrie, ne saurait jamais mal finir. "
salutations et signatures.
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[en marge du document, en partie illisible à cause de la reliure trop serrée du registre original]
Copie d'une lettre des habitants de Port Royal écrite a feu M. Daudin leur ancien missionnaire dont ils ignorent la mort. Cette lettre a été ouverte par l'abbé de l'Isle Dieu qui a conservé l'original et qui a cru devoir faire passer cette copie a Monseigneur [...]lard des [...] aux [...] [ill.]. 1756
Joint à la lettre de M. L'abbé de l'Isle Dieu le 1er janvier 1757 [en marge, à gauche]
Monsieur,
Nous bénissons la divine providence qui a milieu de nos afflictions a daigné nous favoriser d'une joie indicible en nous faisant savoir de vos chères nouvelles, que nous avons reçu par l'entremise du R.P. de la Brosse, de la compagnie de Jésus, qui a demeuré quelques temps avec nous à la Rivière Saint-Jean et qui nous a été d'un grand secours dans nos infirmités spirituelles et temporelles. Nous avons appris avec douleur les mauvais traitements que vous ont fait les Anglais, étant aussi bon pasteur que vous l'avez été à notre égard, Dieu vous a fait part des châtiments qui n'étaient dus qu'au seul troupeau, pour satisfaire plus abondamment sa justice.
Pour vous faire savoir en abrégé nos tristes aventures, vous saurez M. qu'après avoir reçu dans l'Eglise votre dernière absolution générale, nous partîmes 30 députés de Port Royal pour Chibouctou, et après plusieurs interrogations du gouverneur du lieu et autres puissances, sur le parti que nous voulions prendre pour l'Etat et la Religion, et voyant que nous étions tous résolus de plutôt mourir que de renoncer à notre religion, et à la France, notre véritable patrie, on nous a relégués neufs semaines sur une île, ne nous donnant par jour que deux onces de pain et une once de viande espérant par là nous réduire et nous faire changer de sentiments ; mais inutilement, grâce à Dieu, ainsi désespérant de pouvoir nous faire changer ils nous ont fait conduire par des soldats jusqu'au port royal, comme des criminels, ont mis le feu à nos maisons et ont fait embarquer les habitants qui ne s'étaient pas sauvés dans les bois (il s'en était sauvé 900 personnes). Le reste des habitants a embarqué dans six navires le 4 décembre. 5 de ces navires ont fait voile vers les côtes de Baston [Boston] et la Caroline ; les gens du cap, les Boudrot, Charles DuGas et les Guillebaud, deux familles de Granger qui étaient dans un de ces navires se sont révoltés, et sans aucune défense des Anglais se sont rendus maître de navires [sic] et ont arrivés heureusement à la Rivière Saint-Jean, d'où nous avons l'honneur de vous écrire présentement ; nous y avons trouvé un accueil favorable dans la personne de M. de Boishébert, commandant de cette seule place, qui appartienne aux Français dans l'Acadie. Nous avons été attaqué d'un Corsaire anglais qui nous poursuivait. Dans notre fuite nous l'avons contraint de se retirer après un choc, sans aucune perte de notre côté.
Nous avons appris par d'autres acadiens qui se sont sauvés de la Caroline que la maladie s'est mise dans deux navires, et qui a fait mourir un grand nombre des nôtres, de plus que les Blancs, Gosme [non identifiée par Delanay], Louis Prudent et quelques autres sont à Baston [Boston] et aux environs. Voilà, M. le récit du bon traitement que nous a fait l'Anglais, et tel a été le sort du reste des Acadiens.
Nous sommes sur le point de partir pour le Canada parce que les vivres sont fort rares ici. Nous osons espérer Monsieur, que sensible à nos malheurs, vous voudrez bien nous faire savoir de vos nouvelles[s] et faire connaître au Roi de France, notre Sire, notre fidélité et l'attachement inviolable que nous avons pour sa personne sacrée car en vérité Monsieur et je ne doute pas que vous n'en ayez vu quelques preuves. La pauvreté, l'exil et tous les malheurs du monde au pêché près ne sont pas capables de nous faire changer de sentiments, nous sommes nés Français et nous voulons mourir français. Nous avons appris avec joie que plusieurs des navires où étaient des Acadiens les ont réduit à la dernière misère par la soif et la faim, pour les forcer à renoncer à leur patrie ; mais qu'aucun n'a été assez lâche pour changer de sentiment. Nous attendons avec patience l'issue de notre sort, nous bénissons la main de Dieu qui nous frappe, pleinement convaincus qu'un homme fidèle à sa religion, et par conséquent à sa patrie, ne saurait jamais mal finir.
Nous sommes tous persuadés Monsieur que vous conservez toujours dans votre coeur cette tendresse paternelle qui vous a fait si souvent compatir à nos misères et que nous avons toujours part dans vos saints sacrifices. C'est la grâce que nous vous demandons et tous les nôtres, s'ils étaient en pouvoir de se faire entendre.
Nous avons l'honneur d'être avec tout le respect et la confiance possible vos chers enfants en J.C. et vos très humbles serviteurs. Les habitants du Port Royal.
Signatures :
Denis Saint-Seine
diverses marques : Charles DuGas ; Joseph Guilbaud ; Pierre Gourdeau ; Denys St Seine fils ;
au nom de tous les autres habitants à la rivière St Jean ce 31 juillet 1756
Notes
des photographies numériques de ce document peuvent se trouver en ligne sur le site archives.ca (juin 2004, vérifié de mes yeux) ; la date du document est : 31.07.1756.
une once = une douzième ou un seizième de livre, soit une petite quantité, environ 20 grammes.
Mots-clés
// allégeance
// Acadiens = Français autoproclamés
Numéro de document
001891