Document : 1766-04-20

Références / localisation du document

AN, Marine B3 vol. 568, f° 319ss // Jean-François Mouhot, "Une ultime revenante ? Lettre de Jean-Baptiste Semer de la Nouvelle-Orléans à son père au Havre, 20 avril 1766", Acadiensis. Journal of the History of the Atlantic Region - Revue d'Histoire de la région Atlantique, XXXIV, 2 (Printemps 2005) .

Date(s)

1766-04-20

Auteur ou organisme producteur

Jean-Baptiste Semer, acadien

Destinataire

Germain Semer, acadien

Résumé et contenu

Lettre de Jean-Baptiste Semer, de la Nouvelle-Orléans, à son père résidant au Havre, Germain Semer
[la deuxième partie est la plus intéressante pour moi notamment : "C'est un pays immense, vous pouvez y venir hardiment avec ma chère mère et toutes les autres familles acadiennes. Ils seront toujours mieux qu'en France. Il n'y a ni droits ni taxes à payer et plus on travaille et plus on gagne sans faire tort à personne."]

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Joint à la lettre de M. Mistral du 12 août 1766.

Copie de la lettre écrite par le nommé Jean Baptiste Semer, au nommé Germain Semer son père, ancien habitant de l'Acadie résidant au Havre en date de la Nouvelle-Orléans, le 20 avril 1766.

Mon très cher père au moment de mon départ pour les Attakapas, j'ai reçu l'honneur de la vôtre à la Nouvelle-Orléans où j'avais descendu avec une trentaine de nos Acadiens qui sont venus pour rendre des bateaux du Roi que l'on nous avait prêté pour emmener nos butins et nos familles. Nous avions parti l'année dernière au mois d'avril d'ici pour nous y rendre et les maladies nous ayant accablé cet été dernier nous avions été hors d'état de les ramer [sic] jusqu'à présent, mais on nous en a encore redonné d'autres joints à ceux que nous avons fait là haut et nous repartons avec nos vivres et munitions et autres provisions que nous avons faites. J'ai donné votre lettre à la mère sainte Madeleine hospitalière qui a eu mille bontés pour nous tous afin qu'elle ait encore celle d'y répondre, ce qu'elle fait en vous assurant, mon très cher père, que ce n'est pas faute de naturel pour vous et ma très cher mère que je n'ai pas eu l'honneur de vous dire de nos nouvelles, mais les Attakapas sont à 60 lieues d'ici et nos écrivains sont morts. Je m'oublierai moi même plus tôt que de vous oublier tous les deux, les bontés que vous avez eu pour moi me sont présentes toujours et je ne manque pas dans mes prières de les offrir à Dieu pour votre chère conservation et vous demander aussi le retour et la continuation de votre amitié à tous deux et de me faire le plaisir de me donner de vos chères nouvelles le plus souvent possible.
Je vous dirai donc mon très cher père que j'ai arrivé ici le mois de février 1765 avec 202 personnes acadiennes dont Joseph Brossard dit Beauplaisir [sic] et toute sa famille de ce nombre, la Greze (?) et Catalan, toutes venant de Halifax et ayant passé par le Cap [Cap-Français ou Le Cap, actuellement Cap-Haïtien sur la côte nord d'Haïti, probablement]. Beausoleil a emmené et payé le passage pour ceux qui n'avaient pas de quoi. Après nous il est arrivé encore 105 autres dans un autre vaisseau et puis 80, 40, des 20 ou 30, dans 3 ou 4 autres. Je crois que nous sommes à peu près 5 à 6 cents personnes acadiens en comptant les femmes et les enfants. Nous autres les premiers avons été envoyés 7 ou 8 hommes pour visiter les terres et emplacement afin d'y faire un bon emplacement et on nous a rapporté qu'aux Attakapas il y avait de magnifiques prairies avec les plus belles terres du monde.
M. Aubry qui commandait par la mort de M. d'Abbadie nous a favorisé le plus qu'il lui était possible mais il n'a pas été tout à fait le maître n'étant pas secondé par les Mrs des finances. Enfin pendant que nous étions ici on nous a donné une livre et demie de pain et de la viande aux femmes enceintes ou qui allaitaient et aux infirmes et l'hôpital du Roi, en maladie, et en en partant du pain, c'est à dire de la farine équivalent pour les hommes du riz et MAHY [sic, probablement pour maïs] pour les femmes et enfants. Nous nous sommes rendus aux Attakapas avec des fusils poudre et plomb mais comme il était déjà le mois de Mai les chaleurs étant fort grandes nous avons commencé avec trop de rigueur l'ouvrage. Il y a avait six charrues qui marchaient, il fallait dompter les b?ufs, aller à 15 lieues pour avoir des chevaux. Enfin nous avions fait la plus belle récolte et tous ont été pris à la fois des fièvres et personne en état de s'entraider de façon qu'il en est mort 33 ou 34 en comptant les enfants, ceux qui se remettaient voulaient aller travailler à leur désert et ils retombaient mais nous sommes descendus au mois de février 1766 de cette année et nous voilà tous Dieu merci bien portants et espérant une très belle récolte cette année Dieu aidant ayant beaucoup défriché. Nous n'avons qu'à semer et nous avons déjà des b?ufs, vaches, moutons, chevaux et la plus belle chasse du monde, des chevreuils, des dindes si gras, des ours et canards et toutes sortes de gibier. On y vit au bout de son fusil. Il y a plusieurs depuis la mort de Beausoleil qui sont descendus des Attakapas, entre autres ceux de la Rivière de Saint-Jean et se sont venus établir le long du fleuve Mississippi dans la cote des Allemands ou les derniers ont déjà fait un établissement.
Il ne nous manque que les bons missionnaires comme nous avions dans l'Acadie car ici il n'y a que très peu de PP. Capucins. Ici il y en avait un goutteux qui avait monté avec nous mais il a été obligé de descendre. Voilà un gouverneur espagnol qui nous aime beaucoup qui vient d'arriver avec deux pères capucins très zélés, mais ils savent que l'Espagnol. On en attend d'autres. La terre rapporte ici tout ce que l'on y veut semer. Blés de France, Mahy [maïs probablement] et riz, patates, giromon [giraumont = courge d'Amérique, potiron], pistaches, toutes sortes de légumes, lin, coton. Il n'y manque que du monde pour le cultiver. On y fait de l'indigo, du sucre, des oranges, et des pêches y viennent comme les pommes en France. On nous concède 6 arpents aux gens mariés et 4 et 5 aux jeunes gens, ainsi on a l'avantage mon cher père d'être sur sa terre, et de dire j'ai un chez moi. Le bois y est très commun, on en fait un grand commerce, pour les constructions et pour les bâtiments des maisons au cap et autres îles. Une personne qui veut s'adonner au bien et mettre sa peine sera à son aise en peu d'années. C'est un pays immense, vous pouvez y venir hardiment avec ma chère mère et toutes les autres familles acadiennes. Ils seront toujours mieux qu'en France. Il n'y a ni droits ni taxes à payer et plus on travaille et plus on gagne sans faire tort à personne.
Les religieuses d'ici qui sont Ursulines et qui malgré qu'elles instruisent les jeunes filles chez elles, sont encore chargées du soin de l'hôpital des troupes, ont fait bien du bien à tous nos Acadiens ; les filles entrent pour y être instruites et on y fait à l'hôpital tous les jours environ une heure de catéchisme pour les garçons à qui on a fait faire à diverses fois la première communion à plus de 40 jeunes gens. Voilà mon cher père un détail des avantages que nous avons ici et dont chacun est fort content. On nous promet des missionnaires incessamment. Il y a environ une soixantaine de familles encore à 15 lieues de nous, établis aux Appellonsa [Opelousa County] qui s'y trouvent fort bien.
M. le nouveau gouverneur monte pour faire une tournée à tous les postes pour y faire des Eglises et fortifier les forts parce qu'à la dernière paix on a cédé aux Anglais une grande partie du pays et on attend des troupes d'Espagne incessamment pour fortifier tous les endroits que la France a concédé aux Espagnols ; ainsi nous avons un bon pays. M. le gouverneur est un homme de grande distinction, d'une grande piété, qui n'est pas marié, qui est un génie supérieur, entend toutes sortes de langues. On espère beaucoup de son gouvernement point intéressé qui vient du Pérou, et a donné aux pauvres communautés et aux pauvres honteux tout ce qu'il avait, ayant d'appointements dans cet endroit trente mille piastres par an. Il a été obligé d'emprunter à la Havane en venant ici. C'est un homme d'un mérite rare à tous égards. Le papier me manquant je ne puis que vous assurer du profond et soumis respect avec lequel je suis mon très cher père et mère votre très humble, etc...

Signé Jean Baptiste Semer

Notes

vérifié avec l'original le 15 janvier 2005 ; voir aussi la lettre d'accompagnement de Mistral du 1766-08-12 ainsi que celle de Praslin

photo 4733.jpg et suivantes ;
Brasseaux Founding # 1245 mentionne la lettre de Semer (sans l'avoir vue, évidemment, p. 60 de son livre) ; p. 73 et suivantes il raconte l'arrivée de Broussard et de son groupe (sans mentionner spécifiquement Semer mais les informations qu'il donne corroborent celles données par cette lettre).

Mots-clés

// Acadiensis
// nouveau(2005-01)
// Havre
// lettre
// Louisiane
// pain

Numéro de document

002028