Document : 1759-12-06

Références / localisation du document

SHM Rochefort, 1 E 415, n° 726 //

Date(s)

1759-12-06

Auteur ou organisme producteur

M. de Ruis intendant de la marine à Rochefort

Destinataire

SEM Berryer

Résumé et contenu

A propos des plaintes et des distributions de secours à Rochefort, la Rochelle ; difficultés matérielles et détresse culturelles des habitants.
résumé court :
A propos des plaintes d'habitants de l'île Royale à Rochefort et La Rochelle. de Ruis a enquêté. Les distributions ont été bien faites à La Rochelle et à Rochefort ; cependant les habitants sont dans la misère ; a décidé de donner de l'argent à ceux qui sont malades ; a examiné toutes les requêtes de ceux qui pour diverses raisons exposées n'ont pas été compris sur les listes de secours. A repéré l'homme qui a écrit la plainte (donne plusieurs détails) ; il est marié à une créole. A réuni les habitants pour demander ce qui ne va pas. Evocation de leur situation difficile : ils ont notamment dû abandonner "leurs habitudes, leurs façon d'être" (culture) en quittant la colonie. Difficulté à trouver du crédit (au sens propre et au figuré). Misère ; le bruit court que quelques uns sont morts de faim. Propose de donner à ceux qui travaillent (ne peuvent gagner que 16s / j) des secours pour les enfants quand ils en ont plus que deux.

--
résumé long :
A reçu la copie du placet des habitants de l'île Royale. A demandé un rapport à Dabbadie à la Rochelle, et ce dernier a bien exécuté fidèlement les ordres et fait distribuer le traitement à chacun.
A Rochefort, il a pris tant de soin des habitants qu'il ne peut imaginer qu'ils se plaignent. Cependant ils sont dans la misère car on leur donne peu (on ne donne qu'à ceux qui sont infirmes, en bas âge, aux femmes (seules ?), ou qui sont au chômage). A décidé de donner 6 sous à ceux qui sont malades et qui ne peuvent plus travailler ; plusieurs personnes n'ont pas touché les secours au début, soit parce qu'elles ne se sont pas présentées, soit parce qu'elles ont été " exceptées sur divers témoignages d'une fortune capable de les soutenir " ou n'être pas " vrais habitants, mais pacotilleurs, ou aubergistes ". Certains ont fait des mémoires pour être inscrits sur les listes ; de Ruis les a examinés attentivement, et leur a toujours donné le bénéfice du doute.
A repéré un homme parmi les habitants de l'île Royale, qui est arrivé de Paris. Il était bien portant et robuste et a demandé à travailler comme dérouilleur (métier non fatiguant je pense). Lui a fait honte de sa demande. L'homme a ensuite proposé de travailler comme charpentier ; reproches de de Ruis. Lui a alors demandé des nouvelles du placet présenté au Roi : il a compris que c'est lui qui avait écrit au Roi ; il s'agit en fait d'un sergent des troupes de terre qui a épousé une " créole " et s'est chargé de porter les plaintes de la partie du peuple la plus mal-pensant. Il a tout de suite vu de qui il s'agissait en assemblant les habitants et en leur demandant de quoi ils se plaignaient.
Si parmi les habitants certains murmurent, davantage encore dont misère est extrême. Evocation de leur détresse matérielle et psychologique (culture) : " Ils ont été chassés du sol qui les faisait subsister, leurs meubles dissipés, leurs habitudes, leur façon d'être changées, ils sont privés ici du crédit par lequel ils subsistaient dans la colonie ". Espèrent que leur sort pourra être adouci, mais un seul moyen selon de Ruis : il s'agirait d'accorder aux " pères [qui] ne font et ne peuvent faire que le métier de journalier à 16 s. une paye de 3 s par tête d'enfant au delà de deux [à nourrir] ".
Interdiction de faire circuler de l'argent dans le royaume expose les artisans et ouvriers à mourir de faim ; les boulangers ne font plus crédit aux habitants de l'île Royale ; le bruit court que certains sont morts de faim ; les aumônes en aident quelques uns.

----------

Rochefort, le 6 décembre 1759

J'ai reçu la dépêche dont vous m'avez honoré le 23 du mois dernier à laquelle était joint le placet adressé au Roi au nom des habitants de l'île Royale. J'ai commencé par demander à M. d'Abbadie un nouveau témoignage de la conduite qu'il a tenue par mes ordres au sujet de ces habitants par rapport à la subsistance qui est le seul objet pour lequel il a été question de donner nos soins et je ne vois dans ce qu'il a fait que la régularité que j'avais à désirer pour que le traitement accordé à chacun fut bien fidèlement distribué et il ne présume pas même que les domiciliés à la Rochelle aient fait cette adresse à Sa Majesté.
J'ai pris tant de soin des domiciliés à Rochefort que je ne puis trouver non plus matière à quelque plainte de leur part, si ce n'est qu'ils souffrent bien de la misère du peu qui leur est accordé, mais que selon la situation des affaires et ainsi que vous m'avez fait l'honneur de me le marquer l'on n'a pu étendre qu'aux gens hors d'état de gagner leur vie pour infirmité ou à cause de leur bas âge, ou de leur sexe, ou qu'ils ne peuvent trouver d'ouvrage. J'ai adouci la situation de ceux travaillant dans le port, qui ont tombé malades en leur substituant à eux et à leurs familles les 6 sous pendant leurs maladie, et en faisant recevoir pour 6 sous les femmes et filles malades à l'hôpital des orphelines. Diverses personnes d'entre tant de gens ayant été omises dans les premiers états de subsistance, faute de s'être présentées ou ayant été exceptées sur divers témoignages d'une fortune capable de les soutenir, où n'être pas vrais habitants, mais pacotilleurs [Celui qui fait le commerce de pacotille. Pacotille devint synonyme de mauvaise marchandise, Littré], ou aubergistes ont cependant été reçues à me présenter des mémoires, à la révision desquels j'ai donné l'attention qu'ils devaient désirer, et en faisant le discernement de leurs demandes, je n'ai point exercé de rigueur dès que j'ai vu dans les cas douteux la balance de l'opinion tomber de leur côté.
Entre les habitants de l'île Royale domiciliés à Rochefort, j'ai remarqué un homme qui arrive de Paris, d'âge de 28 à 30 ans, haut de taille, robuste, bien portant, qui m'a demandé d'être employé à la salle d'arme comme dérouilleur [sic]. Je lui ai fait honte de la proposition [sans doute parce que le métier de " dérouilleur " était un métier peu fatigant, peut-être assis], il m'a dit ensuite qu'il travaillerait du métier de charpentier. Comme j'ai trouvé cette alternative singulière et d'un mauvais coin, je lui en ai fait des reproches. Alors il m'a demandé des nouvelles du placet présenté au Roi, et j'ai vu que ce fainéant qui n'est point ancien habitant de l'île Royale mais sergent des troupes de terre, qui a épousé une créole, s'était volontiers chargé de porter les plaintes de la partie du même peuple la plus mal pensant, et que je n'ai pas eu de peine à connaître en les faisant assembler et en leur demandant de quoi ils se plaignaient.
Quoiqu'il en soit, s'il y a dans le nombre de ce peuple des gens à mauvais raisonnement, capables de rumeur, il y en a encore plus dont la misère est extrême. Ils ont été chassés du sol qui les faisait subsister, leurs meubles dissipés, leurs habitudes, leur façon d'être changées, ils sont privés ici du crédit par lequel ils subsistaient dans la colonie : toutes ces pertes qui sont le comble de la misère les portent à souhaiter que leur sort soit adouci, mais dans les circonstances présentes, je ne verrais qu'un moyen de plus en leur faveur : ce serait d'accorder aux familles dont les pères ne font et ne peuvent faire que le métier de journalier à 16 s. une paye de 3 s par tête d'enfant au delà de deux que le mari serait obligé de nourrir ainsi que sa femme. Cette douceur n'irait pas loin et serait d'un grand soulagement à ces pauvres gens. Je vois au surplus avec une peine extrême que l'étonnement résultant des nouvelles qui se sont formées sur les édits bursaux [Il ne s'emploie qu'avec le mot d'Édit, en parlant des Édits que le Prince fait pour tirer de l'argent dans une nécessité publique. Édit bursal. Édits bursaux, DA] et autres arrangements de finances, et faisant cesser toute circulation d'argent expose les ouvriers et artisans à mourir de faim : on ne paye plus le prêt à ces familles depuis deux mois, les boulangers ne veulent point fournir, en sorte que l'état de ces familles et de beaucoup d'autres est bien malheureux : les aumônes en sauvent quelques uns, mais déjà le bruit est grand qu'il en est mort de faim : je vais examiner ce que je pourrai faire dans une extrémité si fâcheuse, pour apporter des soulagements, en attendant les ordres et les secours que vous pourrez me procurer.

Je suis, etc...

Notes

photographié, photo 4935.jpg

[à noter que les habitants - surtout quand ils se sont mal comportés - sont souvent mentionnés sans leur nom de famille ; cf. l'exemple ici de l'homme qui a écrit le placet, mais aussi celui des 6 Acadiens embarqués sur le Storck ; mais il est vrai que les noms sont aussi assez souvent donnés].

dictionnaire de l'Académie :
CRÉOLE. s. m. & f. Nom qu'on donne à un Européen d'origine qui est né en Amérique. Un créole, une créole.

Trévoux : Créole ; voir Criole. f.m. Terme de relations. C'est un nom que l'on donne aux familles des descendants des premiers espagnols qui s'établirent en Amérique dans le Mexique. Les Espagnols qui viennent d'Espagne sont grands ennemis des Crioles et empêchent qu'ils ne parviennent aux charges. [Voyez Hornius, Orb. Polit. On dit plus ordinairement en Français Créole que Criole. On donne généralement le nom de Créole à tout Européen d'origine qui est né en Amérique.

Mots-clés

// Rochefort
// culture : "leurs habitudes, leur façon d'être changées"
// travail : métier de journalier : 16 sous / j. / pers.
// signification 6 sous
// aumône (fin du texte)
// misère : "le bruit est grand qu'il en est mort de faim"

Numéro de document

002090