Document : 1773-07-22a

Références / localisation du document

BM Bordeaux, MS 1480, f°383-94// cf° 205-210

Date(s)

1773-07-22a

Auteur ou organisme producteur

Lemoyne

Destinataire

Contrôleur général (Terray)

Résumé et contenu

L. à Terray. Entrevue avec les chefs acadiens : "je ne connais les Acadiens que comme Français et non comme une nation étrangère".

Lemoyne commence par s'excuser d'entrer autant dans les détails, mais les circonstances l'exigent.
Sa tournée a commencé au Havre sans problème. A Cherbourg, il a rencontré quelques résistances à cause de préventions d'Acadiens de Saint-Malo. Les familles d'Antremont et Landry ont refusé l'établissement en précisant qu'ils n'avaient jamais pratiqué l'agriculture mais seulement la pêche (ils ont l'agriculture en horreur). Ils sont infirmes et demandent à passer à SPM car ils ont caché de l'argent en Acadie qu'ils désirent récupérer. Lemoyne suggère d'autoriser le passage d'une ou deux personnes pour récupérer leur trésor qui sera utile à leur établissement, à condition toutefois qu'ils acceptent le projet d'établissement. Lemoyne soupçonne également une forte envie de retourner en Acadie, mais pour d'Antremont ce n'est pas le cas car il hait les Anglais.
A Grandville, pas d'Acadiens, seulement des réfugiés de l'Amérique septentrionale.

Arrivée de Lemoyne à Saint-Malo. Il a trouvé les esprits échauffés par deux individus de Saint Servan. Il a une première réunion (le mercredi) avec les chefs acadiens en présence du subdélégué de l'intendant, du commissaire général de la marine (Guillot), et de l'abbé Grand Clos dont il fait l'éloge. Il explique attentivement aux Acadiens et leur remet le projet d'établissement. Il leur explique qu'ils ont été assez à charge de l'Etat, qu'ils doivent obéir et que la générosité de l'Etat a des limites.
La deuxième réunion du vendredi est houleuse. Il a été prévenu du parti pris des Acadiens de refuser, donc il ne leur pose pas de questions. Passage sur la nation reporté dans Martin : "Vous avez, M., remis aux chefs de la nation". Je l'arrêtai sur cette expression et leur dit que je ne connaissais les Acadiens que comme Français et non comme une nation étrangère, que je les regardais comme sujets du Roi, soumis à son obéissance, et à ceux que S.M. commettait pour exercer son autorité". Lemoyne commence ensuite sa revue. Il a 4 ou 5 inscriptions, puis tous refusent. Il les note. Vient le tour de JJ Leblanc dont Lemoyne dit qu'il est fin, intelligent, rusé. Reproduction du discours de Le Blanc très habile : les Acadiens connaissent la bonté du Roi, ils sont conscient de la générosité (justifiée ceci dit par les sacrifices qu'ils ont fait), mais dans ce cas précis le Roi est trompé, car les terres ne sont pas bonnes (ils doivent croire les rapports de leurs frères), et elles ne donneront rien dans 4 ou 5 ans. Ils espèrent passer à SPM ou en Louisiane.
Lemoyne continue sa visite dans les autres paroisses autour de Saint-Malo où il n'a que des refus à une exception près qu'il détaille.
Il décide ensuite de rendre visite à Blossac et Bacancourt (récits les mêmes que dans les documents précédents ; les intendants sont peu au courant et ne savent pas qu'ils doivent prendre en charge l'administration des Acadiens). Ils soutiennent son projet de seconde visite, mais n'ont pas d'argent. Il décide donc d'envoyer des Acadiens de son propre chef en soulignant le retard qu'aurait impliqué l'attente de la réponse du C.G. . Il espère que le C.G. le remboursera et qu'il approuvera son choix. Il a prévenu également Pérusse. Il donne quelques explications sur qui il envoie et sa stratégie d'envoyer un breton et de demander à des poitevins.
Il a donné des informations aux intendants mais il serait important de leur donner des fonds pour subvenir aux besoins des Acadiens. Il donne le détail des dépenses pour chaque ville.

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Le contrôleur général. A Saint-Malo le 22 juillet 1773

Monseigneur,

[en marge, début ill.] : différé, Mgr, à vous en rendre compte en espérant pouvoir entrer dans quelques détails satisfaisants. Je me suis trompé. Je ne vais pas différer plus longtemps. J'ai trop besoin de vos ordres. Je vais, Mgr, entrer dans le plus grand détail. (?).

J'ai eu l'honneur de vous rendre compte que j'ai trouvé au Havre les esprits des Acadiens sans prévention et pleins de confiance ; que toutes les familles s'étaient présentées pour obéir et que celles qui se sont trouvées dans des positions qui nécessitèrent le refus où l'indétermination avaient été les faits qui eussent fait des représentations. J'ai trouvé à Cherbourg quelques difficultés, plusieurs Acadiens de S. Malo y avaient semé des doutes, même des craintes. Je les ai détruits, je me suis prêté aux positions qui pouvaient déterminer ou seulement trop gêner les volontés, presque toutes les familles se sont faites registrer pour l'établissement. Les familles de d'Antremont [d'Entremont] et celles de Landry qui sont liées et n'en sont pour ainsi dire qu'une sont les seules qui aient refusé constamment. Une seule des 10 têtes formant une association s'est fait registrer. Ce nombre des individus composant ces familles est de 60. Il y en a donc 50 (?) qui ont refusé. Le S. Charles d'Entremont chef de ces familles, s'est excusé sur ce que personnellement il n'avait jamais cultivé ses terres, et qu'il n'avait jamais fait que le commerce de la pêche, sur ses infirmités, sur celles de sa femme et sur leur âge. Il est estropié d'une jambe et ne peut marcher sans des béquilles. Cette infirmité est une suite des prisons et de la vie fugitive dans les bois qu'il a été contraint de mener en faisant la guerre, en fuyant les anglais ; sa femme par les mêmes causes est grabataire absolument. Ses excuses m'ont paru légitimes et mériter des égards. Elles ont été faites convenablement pour les autres. Je n'ai vu que des entêtements et son plus grand désir de passer aux Iles Saint-Pierre et Miquelon pour y faire la pêche, métier qu'il a toujours pratiqué. Ce grand désir, à ce que j'ai entrevu, est excité par l'espoir de rentrer chez eux au cas que des évènements puissent leur en fournir le prétexte, et les excuser de se remettre sous la domination anglaise. J'ai découvert et le sieur d'Entremont me l'a avoué franchement que lui et plusieurs des siens avaient caché de l'argent et leur effets les plus précieux qu'ils désiraient le recouvrir, que leurs amis en avaient faussé une partie mais qu'eux seuls connaissaient les caches où ils avait déposé le plus intéressant, l'argent.

Je pris en considération cette représentation [en marge : et je leur ai promis le passage à 3 ou 4 d'entre eux qu'ils choisiraient et auxquels ils donneraient procuration qu'ils leur fut donné par le gouvernement des Iles Saint-Pierre et Miquelon permission de passer en Acadie. Je ne leur fis espérer cette grâce qu'au cas qu'ils accepteraient de s'établir, parce qu'elle était un moyen pour eux de le faire avec plus d'aisance et plus utilement pour l'Etat, leur observant que la permission ne pouvait être générale, cette colonie ne pouvant recevoir plus d'habitants qu'il y en existe aujourd'hui.] Je leur fis ensuite écrire les observations possibles sur les maux qu'ils se préparaient et à leurs enfants, en refusant l'établissement, que le Roi leur proposait et que M. de Pérusse voulait bien étendre en leur faveur. Je leur montrai combien la bonté paternelle du Roi se démontrait en faveur des Acadiens, puisque par cet établissement il pourvoyait à leur assurer ainsi qu'à leurs descendants non seulement une existence douce mais vraisemblablement une fortune honnête ce qui devait infailliblement opérer la culture de terres qu'on leur donnait en propriété avec les moyens les plus abondants de la faire fructifier, et d'employer leur industrie facile à mettre en usage, vu la proximité de deux grandes villes. Je ne pus les ébranler, peut-être reviendront-ils, s'ils sont bien persuadés que le gouvernement les abandonnera ; ils ne peuvent l'imaginer. Je le leur ai cependant bien affirmé. Un autre motif, Mgr, qui les agite, est que plusieurs d'entre eux désireraient retourner dans leurs possessions. Les Anglais leur faisant faire tous les jours les propositions les plus avantageuses. J'ai cru devoir ne leur laisser voir que faiblement que je les devinais sur ce point. Quant à Charles d'Entremont, je puis assurer qu'il n'y pense pas, qu'il hait les Anglais plus que mort.

A Granville je n'ai trouvé que des familles de l'Ile Royale mal à propos portées sur les rôles de l'Acadie. J'ai relevé ces erreurs.

A Saint-Malo j'ai trouvé toutes les têtes renversées, un parti pris fomenté par deux d'entre eux de Saint Servan qui se sont fait des partisans dans les différents villages où les familles se sont réparties.
Prévenu par M. Guillot commissaire de la marine qu'il existait de la fermentation, je vis M. le Breton, subdélégué. Nous nous donnâmes rendez-vous au lendemain et je demandai seulement une douzaine des chefs de familles principales.
J'espérais que bien instruits des grâces qui étaient accordées, tous les nuages se dissiperaient et que la confiance renaîtrait des assurances mêmes des preuves que j'étais en état de donner du bien qu'on leur offrait.
Le mercredi ces chefs de famille assemblés chez moi, m'apercevant du parti qu'ils avaient pris à leur maintien je débutai par détailler tout ce que le gouvernement voulait faire. Je leur expliquai chaque article en présence du subdélégué, du commissaire de la marine et de l'abbé Grand Clos qui a toujours pris à c?ur ce qui pouvait intéresser les Acadiens, qui a toujours paru avoir leur confiance qui a toujours supplée leur missionnaire, l'homme du respectable abbé de L'Isle Dieu, pour ce qui les concerne et je ne passai d'un article à un autre qu'après m'être assuré que j'étais compris. Tout le détail bien rendu, je leur remis par écrit un extrait du projet, et leur donnai rendez vous pour le surlendemain vendredi, leur recommandant de bien peser tous les avantages qui leur reviendraient de leur soumission aux volontés du Roi et le mal qu'ils s'attireraient si sans des raisons bien légitimes ils se refusaient aux marques de bonté dont le gouvernement les comblait. Je leur dis formellement que ce que le gouvernement voulait faire pour eux était un dernier effort qu'ils n'avaient plus d'autres ressources, qu'ils devaient sentir combien ils avaient été à charge à l'Etat depuis 1758 que ce qui leur était présenté était le seul moyen d'assurer à eux et à leurs postérité une existence certaine, que c'était à eux de le mettre à profit.
Ils m'écoutèrent avec la plus grande attention et sans faire la moindre objection ; celui à qui j'avais remis l'extrait me dit qu'il communiquerait aux chefs des familles, qu'ils réfléchiraient ensemble sur tout ce que je leur avais dit, et qu'ils se rendraient avec tous les autres chefs de familles le vendredi, à l'heure que je leur indiquai. Le vendredi, ils se rendirent mais ayant été avertis du parti pris de refuser. Je n'en (plus ?) douter par quelques propos qui m'eussent paru indifférents, si je n'avais pas été prévenu.
Un d'eux, étonné de ce que je ne les questionnais pas, voulu porter la parole et débuta en me disant : "Vous avez, M., remis aux chefs de la nation" [souligné dans le texte]. Je l'arrêtai sur cette expression et leur dis que je ne connaissais les Acadiens que comme Français et non comme une nation étrangère, que je les regardais comme sujets du Roi, soumis à son obéissance, et à ceux que S.M. commettait pour exercer son autorité, et pour ne pas blesser cette assertion qui me paru leur déplaire, je débutai ma revue en leur disant que je les avais instruits, et qu'ils devaient être disposés à obéir. J'appelai, en l'indiquant, un qui se trouvait derrière ceux qui s'étaient mis en évidence ; le pur hasard me servit ; cet homme me dit qu'il ne savait qu'obéir, qu'il était persuadé que le gouvernement voulait leur bien et que malgré les doutes que lui donnaient les rapports de ceux qui avaient été envoyés pour examiner les terres qui les leur assuraient incapables de produire, il acceptait et me priait de le registrer, qu'il était persuadé que sans des certitudes de réussite on ne les engagerait pas à les cultiver. Il me proposa ses beaux frères. Je me trouvai cinq familles composées de 42 personnes. Je louai leur soumission et résumai en bref le bien qu'ils se procuraient à eux et à leurs enfants. J'invitai ensuite ceux de bonne volonté à se présenter. Un sixième s'avance pour être registré, mais le murmure s'étant élevé à ces acceptations me donna mauvais augure. En effet, après ce sixième, personne ne se présenta. Voyant cette conduite, je pris le ton d'indignation. Je leur reprochai leur ingratitude, leur manque de confiance dans les démarches du gouvernement qui avant de leur rien proposer et faire faire des expériences en avait pris les mesures les plus recherchées pour s'assurer de la bonté de la terre. Je pris le rôle et commençai la revue.
Le premier appelé refusa, je lui demandai s'il était bien instruit de ce qu'il refusait, il me dit que oui, je lui demandai pourquoi, il refusa et me dit que ceux qui avaient été envoyés pour examiner ces terres les assuraient mauvaises, et qu'il devait les croire. Je fis noter son refus et le renvoyai. Je continuai d'appeler en suivant le rôle : même réponse de tous.
Enfin vint le tour de Jean Jacques Le Blanc, leur homme de confiance, leur orateur, un homme fin, maître de lui, écoutant bien se taisant (? tronqué) volontiers et ne se promettant point, estimé, honnête homme (... ?). Il m'avait été dépeint, je l'attendais, il commença sa harangue à la sauvage, par chercher à me capter . Il me dit tous les Acadiens étaient pénétrés d'amour pour le Roi et de reconnaissance des bontés, qu'il avait pour eux jusqu'à ce jour, que ses bontés étaient la récompense de leur fidélité et leur attachement à sa personne et à la France, fidélité et attachement qu'ils avaient prouvés par le sacrifice que l'on n'ignorait pas qu'ils avaient fait de leurs biens et de leurs corps même, que les Acadiens étaient toujours pénétrés des mêmes sentiments qui avaient déterminé leur conduite, que d'après tout la tendresse paternelle que le Roi leur avait toujours montrée. Je ne devais pas être surpris de la résistance que je voyais à accepter les bienfaits que je leur proposai de sa part, que je le [renvoyais ?] des bienfaits, qu'il était persuadé que j'avais fait tout ce qui était en moi pour me mettre en état de le leur assurer avec confiance, qu'ils connaissaient tous le véritable intérêt que j'avais pris depuis longtemps à ce qui les regardait ; mais que j'étais trompé ; que le Roi l'était, et qu'eux ne pouvaient l'être par ceux qui, envoyés de leurs choix, laboureurs consommés, intéressés eux-mêmes à un examen exact avaient vu ces terrains et les assuraient absolument incapables de produire ; et que quoique quelques portions produisissent au moment par le travail de la superficie ils ... pu avait pas la bonté et qu'ils seraient absolument épuisés et sans ressources sous trois ou quatre ans. Que leur transport sur de pareilles terres leur faisait craindre d'être encore plus à charge à l'Etat qu'ils ne l'étaient aujourd'hui, parce que leur transport sur ces terres ne leur montrait (?) rien de certain, que l'anéantissement de moyens de suppléer à leur subsistance, qu'ils avaient et que par leur séjour à Saint-Malo et l'épuisement total du peu de facultés qu'ils avaient amassées ou conservées et qu'ils ne pouvaient croire que le gouvernement voulut les forcer à accepter des offres aussi risquables [sic] pour l'Etat que pour lui. Que toujours persuadés que le Roi les aimait, et voulait les traiter avec bonté et qu'ils se flattaient qu'il ne voulait pas les abandonner et un grand nombre qu'il voudrait bien leur procurer les moyens de (...?) la permission de se retirer à Saint-Pierre et Miquelon et d'autres sous la domination espagnole avec leurs frères au Mississippi.
Je lui répondis que la plus grande marque d'attachement et de reconnaissance qu'ils pouvaient donner, était la confiance, que ceux des leurs qui en avaient fait l'examen du terrain l'avaient fait avec les yeux acadiens, que l'on n'ignorait pas la supériorité des terres qu'ils cultivaient sur presque toutes celles de la France ; que d'ailleurs ils (prouvaient ?) par des vues particulières et que je le soupçonnais, leur avait fait un (mauvais, barré) rapport, que je leur (?...) prouvai faux en plusieurs points, mais que ceux qui en avaient fait l'examen (?...) du Roi [revoir ce passage] n'avaient aucun intérêt à les tromper, qu'au contraire ils devaient craindre de le faire, que le propriétaire lui-même, homme respectable et dont les sentiments d'humanité et de générosité étaient connus, était intéressé à ce qu'ils ne le fussent pas, et que lui-même risquait des fonds considérables capables de nuire à sa fortune ; si la terre ne répondait aux espérances du gouvernement et des siennes, qu'il ne me paraissait que de l'entêtement dans le parti qu'ils prenaient, et que mettant des suspicions de si (?) sur tout ce qu'on pouvait leur proposer, il était impossible d'imaginer quelque moyens qui n'eut pu être susceptibles, qu'au surplus le plus grand nombre d'eux s'étant déclarés cultivateurs, il avait été naturel au gouvernement de penser qu'ils demandaient de la terre en propriété qu'il avait cru remplir leur désir en leur en accordant et que je craignais avec peine et inquiétude qu'il ne ... bien (?) de la conduite. Que je leur répétais que les propositions que je leur faisais étaient le dernier effort que l'Etat voulu ou prêt (?) faire pour eux. Que je les priais de faire attention au sort qu'ils préparaient par leur refus à leurs enfants, s'il venait à leur manquer, et ensuite (?) que je conseillerais à ceux qui n'avaient point d'excuses légitimes pour appuyer leur refus d'accepter, parce qu'ils devaient craindre qu'au premier octobre, terme où tous les cultivateurs devaient être rendus à Poitiers et à Châtellerault, ne fut celui de la cessation du secours de la subsistance aux familles de l... sur lesquelles le gouvernement l'avait (?) compter.
Je continuai ma revue tout aussi infructueusement, ceux qui avaient visité les terres, sur la communication que je leur donnai des lettres de M. de Sutières et de M. de Pérusse, me dirent que ces MM. se trompaient, qu'ils se connaissaient en terre aussi bien qu'eux, et que successivement avant quatre ans, ces terres ne rapporteraient rien, et qu'ils ne pouvaient parler autrement.
Enfin, en les renvoyant, je ne pus me refuser à leur laisser entrevoir que je soupçonnais des mauvaises vues dans leur refus, mais qu'ils prissent garde à ne pas donner d'inquiétude par leur conduite, le Roi n'ayant pas pris d'engagement pour les laisser à Saint-Malo. Je fus déterminé à cette apostrophe sur ce qu'on m'avait assuré que l'on craignait à Saint-Malo que plusieurs d'eux n'enlevassent de bâtiments pour passer à Jersey, et qu'on y parût assuré qu'ils ont des intelligences avec cette île.
Le samedi je fis la revue de ceux qui habitent la paroisse de Saint-Suliac et de Pleurtuit. Je les trouvai tous refusant sur le même motif qu'on leur assurait les terres incapables de produire à l'exception d'un seul nommé Martin Percheron (n° 522) à la matricule qui s'avançât et me dit qu'il acceptait, qu'il ne savait qu'obéir, que le gouvernement ne pouvait être soupçonné de leur offrir des terres absolument mauvaises, qu'après tout lorsqu'il aurait mis toutes ses forces et son application à les cultiver, si elles étaient mauvaises le gouvernement se dispenser de lui savoir gré de son obéissance et qu'il ne l'abandonnerait pas. Il présenta aussi son gendre Charles Hébert n° 398 (? [ou 338]). Ils forment entre eux 76 (?) personnes. Je crus que ce discours très sensé ferait revenir quelques uns des refusant (?) et déterminerait ceux qui restaient (?), mais rien. Ils furent les seuls.
Le dimanche je fis la revue de la paroisse de Pleudihen, il n'y eut qu'une seule famille de 8 personnes qui accepta. (?)

Le lundi, l'on m'assura que M. de Blossac était à sa terre près Rennes. Je pris le parti d'aller le consulter, le mardi on me dit qu'il était à dix lieux de Blossac. J'envoyai un exprès chez lui porter une lettre que je recommandai de faire passer comme très pressée. Je reçus le mercredi au soir la réponse de M. de Blossac qui m'assura devoir être chez lui jeudi au soir. Le vendredi j'y fus, j'entrai avec lui dans tous les détails des projets qu'il ne se rappelait que superficiellement ; je lui communiquai les instructions dont vous m'avez, Mgr, honoré, à cause des articles dont il n'est pas question au projet. Je lui fis part de tout ce que j'avais fait jusqu'au moment et lui demandai son conseil sur la position où je me trouvais, vu le refus de presque tous les Acadiens de Saint-Malo. Je lui proposai, sur le doute où j'avais jeté le peuple sur la vérité du rapport de ceux qui avaient visité les terres, ce qui faisait désirer à beaucoup une deuxième visite, de permettre à des Acadiens que je choisirais et qui seraient agréés de leurs confrères, d'aller examiner de nouveau les terrains et d'y joindre un cultivateur de Bretagne absolument désintéressé, pour, contradictoirement mais avec eux, ce qui constaterait plus sûrement ce qu'on devait penser des cultures dont le terrain pouvait être susceptible (?). Il fut de cet avis, mais n'ayant à ce qu'il me dit aucun fonds indiqués pour les dépenses, et n'ayant encore reçu aucun ordre (?) quant à la finance, qu'il ne pouvait ordonner cette dépense.
J'avais appris le jeudi au soir que M. de Bacancourt intendant de Bretagne devait être à Rennes le vendredi au soir. A mon retour de chez M. de Blossac j'appris qu'il était arrivé. Je me transportai chez lui, nous entrâmes dans beaucoup de détails, je le trouvai instruit très en gros sur le projet, sans nulle connaissance sur le fonds que pouvaient exiger les parties qu'il avait à exécuter comme la subsistance jusqu'au premier octobre pour les cultivateurs destinés et jusqu'au premier janvier pour ceux qui resteraient dans sa généralité, ainsi que la dépense qu'occasionnerait le transport des familles et les traitements particuliers à faire aux individus incapables de gagner leur vie.
Je lui fis part de ma position à cause du refus généralement fait de se transporter sur les terres du M. de Pérusse et lui proposai une nouvelle visite, ainsi que je l'avais fait à M. de Blossac, il l'approuva, mais de même que M. de Blossac il me dit qu'il n'avait aucun fonds à destiner pour cette dépense.

J'ai cru, Mgr, d'après les avis de ces intendants, devoir me mettre en avant sur ces objets. L'attente de vos ordres ...(?) un retardement trop considérable pour n'être pas nuisible. Je prends sur moi et fais l'avance nécessaire. J'espère que vous m'approuverez et que vous voudrez bien pourvoir à mon remboursement. Il m'a paru trop intéressant de ne pas (?) prendre ces gens là au mot.
Je fus persuadé que j'aurais agi contre vos vues si je l'eus fait. Leur prévention sur la qualité de la terre est excusable et je crois que leur conduite ne peut pas au moment (?) être taxée de désobéissance. Si après la seconde visite des terres reconnues bonnes, ils refusent, il faudra lors les abandonner à leur entêtement, et prendre les mesures que vous jugerez convenables pour le parti qu'ils vous forceront de prendre. Prenez, M., en commisération, des hommes malheureux depuis longtemps et qui craignent d'être assurés ( ?) [de] plonger dans la misère.
Je ferai partir mardi trois Acadiens et un Breton, j'en informerai M. le Marquis de Pérusse afin qu'il soit sur les lieux. Il serait à souhaiter que M. de Sutières y fût. Il conviendrait de joindre à ceux que j'envoie un cultivateur du Poitou pour qu'il leur fasse voir le produit des terres semblables et qu'il leur présente des objets de comparaison. Il conviendra que l'opération se fasse avec une certaine authenticité, qu'il en soit dressé un verbal raisonné, signé d'eux et qu'expéditions en soit envoyées en assez (de ?) copies pour que je puisse les communiquer à tous à leur retour. Je fus persuadé que les premiers qui ont visité se sont trompés (... ?) soin il n'y a pas dans leur conduite de vues pour être méchants, mais par cette nouvelle visite est indispensable pour remonter les esprits et détruire les préventions. Je vous supplie, Mgr, de faire passer en conséquence un (ordre ?) à M. de Pérusse. (?)

Permettez, Mgr, de vous représenter qu'il serait nécessaire d'assigner à M. les intendants des fonds pour les menues dépenses accidentelles qu'ils peuvent avoir à faire pour des opérations de nécessité au moment pour le transport des cultivateurs à la Rochelle ainsi qu'elles soient assurées des fonds dont ils ont besoin pour subvenir à la subsistance de juillet, août et septembre :

Le Havre exige par mois pour la subsistance à raison de 175 individus : 1575 livre
et pour les menues dépenses et transport à raison de 129 cultivateurs estimés : 4 500 livres : Total : 6275 #

[j'abrège :]
Cherbourg : 202 têtes : 1827 # / mois
transport : 4 500 # (total : 6927 #)

Saint-Malo : 1 262 individus : 11 358 #
transport à la Rochelle : 27 907 # (total : 39 265)

une page manquante ensuite. Fin de la lettre.

Total général : 51 867


Notes

Martin, p. 113, cite le passage sur la "nation", mais ne précise pas le foliotage.
le texte est parsemé de ratures, de surcharges, etc... (soit il s'agit d'un brouilon, soit d'une copie ?)
photocopie de cette lettre à Dijon.
repris transcription le 10 mars 2003

Mots-clés

// nation
// Acadiens = Français
// Acadiens # nation étrangère
// ADAN
// DAN
// repartir : Acadie (ceux de Cherbourg), SPM ou Louisiane (ceux de Saint-Malo)
// repartir : pas Acadie (Entremont), car haine des Anglais.
// revue

Numéro de document

000240