Document : 1773-10-31b

Références / localisation du document

BM Bordeaux, MS 1480, f°507-514 ou f° 267-270 // AN Col C 11 D 10 // ANC, MG1-C11D 10 ou MG1 - 18 C11D10 (microfilm des transcriptions C 11362, volume 10, p. 174 et suivantes)

Date(s)

1773-10-31b

Auteur ou organisme producteur

Lemoyne

Résumé et contenu

Raisons des secours aux colons de l'Amérique Septentrionale [Louisbourg, Canada] : motifs, "conduite du port de Rochefort", impossibilité de retrancher. L'une des raisons des secours (donné à la fin du texte), est l'exemple que cela suscitera sur les autres colons dans les colonies actuelles. Très intéressant.

Résumé :
principe : secours aux familles proportionnellement au rang qu'elles ont tenu à l'île Royale et aux pertes qu'elles y ont fait. Les pensions à vie et les traitements jusqu'à 18 ans ont été établis sur ces principes.
En général, les hommes sont exclus (ils peuvent suffir à leur subsistance).
Les nobles ne pouvant se livrer "à des travaux mercenaires" ou n'ayant aucun talent pour subsister (nés dans l'aisance) : secours annuel. 200 # devait suffire, le plus souvent, mais pour les personnes âgées ou infirmes, 250 ou 300 #.
Enquête basée sur le prix d'entrée dans les couvents : à l'époque (moins cher qu'aujourd'hui), 200 livres = minimum.
On n'a pas pu considérer les familles comme un bloc, mais comme un ensemble d'individus (en effet, retrancher à ces familles aurait été trop dur pour elles). Comparaison avec les pensions des officiers réformés (400 ou 600 # sujet au 10e). Il peut se réduire au pain sec, mais il doit faire bonne figure à l'extérieur. Difficulté de supprimer des pensions ou de les réduire.
Pas de grâces (pensions ?) pour ceux qui gagnent leur vie. Quelques pensions "dans le bourgeois, dans le peuple", mais seulement en raison de perte de biens considérable ou services rendus. Quelques grâces pour des personnes isolées.
Traitement de 200 # arrêté dès que le port a pris connaissance "des évenements qui en décidaient la cessation". Idem pour les secours de 108 # aux familles du peuple, versé aux parents pour faire subsister leur familles et leur permettre d'élever leurs enfants ; versé aux enfants jusqu'à 18 ans (après, sont en état de gagner leur vie). Difficile de faire des retranchements, notamment parce que les pères risquent s'ils ne reposent que sur leur emploi, d'être angoissés à l'idée de mourir et de laisser derrière eux une famille à nourrir sans rien.
Les enfants de mariages contractés à l'île Royale auraient ou pension ou traitement. A partir d'un moment, le fonds a été fixé : il n'a plus été possible d'inscrire que une partie des enfants nés en remplacement de ceux dont les secours ont été supprimés. Du coup, certains ont été inscrits sur le rôle des familles acadiennes, lequel rôle était illimité.
En 1767, émigration de Miquelon, secours aux émigrés : ordre de les employer sur ces rôles, il a fallu retrancher (enfants de moins de 10 ans, passent à 3 sous).
Bref, le port de Rochefort n'a fait qu'obéir à des décisions formelles. On ne peut rien retrancher à des personnes qui ont été employées sur des bases légales.
Les familles sont dans la détresse par amour pour la nation (française). Les commandants (de Louisbourg ?) ont poussé jusqu'au bout la résistance, au point de ne pouvoir espérer de capitulation. Il faut donner l'exemple avec les Acadiens pour susciter l'émulation dans les colonies.

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A Rochefort, le 31 octobre 1773

Mémoire sur les grâces accordées aux familles de l'Amérique septentrionale
pour observation sur la lettre du ministre du 5 mars 1773

Familles de l'Amérique septentrionale

[en marge : remis copie à M. D'Aubenton. en marge, à la tête du mémoire remis au ministre le 8 mars 1774 [sic], j'ai porté ceci :
ce memoire rend compte des motifs qui ont porté le gouvernement à accorder des secours aux familles de l'Amérique Septentrionale, de la conduite du port de Rochefort dans l'execution des ordres sur cet objet et de montrer l'impossibilité de rien retrancher à raison des causes qui ont déterminé l'étendue des secours.
Vide autre page (??)]

[dans la version des archives des Col. C11D 10, une note en tête : Le mémoire rend compte des motifs qui ont porté le gouvernement à accorder des secours aux familles de l'Amérique septentrionale, de la conduite du port de Rochefort dans l'exécution des ordres sur cet objet, et démontre l'impossibilité de rien retrancher à raison des causes qui ont déterminé l'étendue des secours]

[texte principal]
Les principes à l'égard de l'établissement des pensions viagères [colonies : "et des traitements"] accordées aux familles de Louisbourg et à quelques unes du Canada sont établies dans la lettre du ministre en date du 5 mars 1773.
Cette lettre l'explique ainsi :
"L'objet qu'on s'est proposé dans le principe a été de donner des secours aux familles indigentes proportionnellement au rang qu'elles ont tenu à l'île Royale et aux pertes qu'elles y ont fait."
C'est d'après ces deux motifs qu'on a établi l'état des pensions à vie et des traitements jusqu'à 18 ans aux femmes, aux filles et aux enfants.

Les hommes furent considérés comme pouvant suffire à leur subsistance. En général ils furent exclus de cette grâce ; les pensions ne furent accordées qu'aux femmes et filles de familles nobles ou de celles ayant des emplois qui les assimilaient à la noblesse. Ce n'est pas seulement l'état des personnes [Col. "le rang que ces personnes tenaient à Louisbourg"] qui ont déterminé les grâces ; les pertes des biens fonds qu'elles ont éprouvées, ainsi que celles de leur mobilier par l'évenement du siège ont ensemble déterminé l'étendue des secours.

On a considéré que des personnes qui par leur naissance ne pouvaient se livrer à des travaux mercenaires sans blesser leur état, ou qui nées dans la plus grande aisance et n'ayant acquis aucuns talents qui put les faire subsister, avaient besoin d'un secours annuel qui pourvu au moins aux besoins les plus urgents.

Il fut calculé qu'à tout extrême 200 # pouvaient suffire à une personne seule saine et agissante, mais au regard des invidividus accablés par l'âge ou d'infirmités, vu les soins étrangers dont ils avaient besoin, les pensions furent portées à 250 et même à 300 # ce sont les plus fortes.

On considèra qu'une demoiselle parvenue à un certain âge sans moyens, sans facultés, sans connaissance pour exercer une profession, n'avait d'autre retraite qu'un couvent. L'enquête du prix des pensions fut faite ; les plus modiques dans ce temps où elles étaient à beaucoup plus bas prix qu'aujourd'hui, étaient de 120 #, sans vin, sans linge, sans lumière, sans bois sans blanchissage : il fut jugé que 200 # était indispensable. Il fut encore considéré que cette pension toute modique qu'elle était la mettait dans la possibilité de se faire admettre en religion, et pouvait même lui procurer un établissement ; ce sont ces considérations qui déterminèrent les pensions à vie, aux filles de condition ou d'une naissance au dessus de la bourgeoisie.

Le nombre des individus composant une famille porta, à la vérité, à une dénomination forte la grâce accordée à une famille, mais c'est parce que le besoin est multiplié en proportion [se montrait multiple en proportion]. Il s'agissait de l'existence de chacun ; la famille entière avait été la victime d'un évenement malheureux, elle avait tout perdu, et n'avait de ressource que dans les bontés du Roi. Le moindre retranchement eut détruit ces êtres qu'on voulait conserver puisque ce qui était accordé n'était que le nécessaire à un individu ; il n'y eut donc pas moyen de proposer les familles en masse, il fut indispensable de les présenter par le nombre et pour ainsi dire de ne pas les considérer comme familles, mais comme un assemblage d'individus qui chacun avaient des besoins propres à eux.
L'impossibilité de retrancher, d'amoindrir ces grâces est constante et prouvée, si on s'y portait à raison de l'emploi occupé par le chef [Ms 1480 : qui par la force de son traitement se trouvait strictement] [col. qui lui procurerait par la force de son traitement] les moyens de faire subsister au moment sa famille, il faudrait que le gouvernement prît des engagements pour assurer l'existence de cette famille, le chef venant à lui manquer. Quel est le bénéfice que le gouvernement ferait ?

L'officier réformé à 400 # de pension sujets au Xe (dixième) très peu en ont six [600 livres], aussi sujets au Xe ; il a obtenu cette pension pour récompense de ses services, son état exige plus de dépense personnelle, plus de décence dans le logement, dans le vêtement dans tout l'extérieur de sa famille ; il peut se réduire au pain sec ses verrous fermés, mais il faut qu'il donne au moins de la décense à l'extérieur ce qui lui consomme, et bien au dela, les 200 # qu'il a plus que ses enfants, les accidents de maladie ne doivent ils pas le tenir en réserve, une seule que lui ou quelqu'un des siens essuyera, peut le mettre dans la position la plus cruelle.

D'ailleurs, sur quels principes établir la suppression ou la diminution ? Le nombre des individus a été une base du don des secours. L'état de sa familles, l'extérieur auquelle est est assujetie en est une autre. La perte de plus ou moins de fortune en des moyens, les accidents sur la santé ont été aussi mis dans la balance.
Ces observations sont applicables à toutes les classes qui jouissent des bontés du Roi.

On a éloigné des grâces tous les individus en état de gagner leur vie. S'il a été accordé des pensions dans le bourgeois, dans le peuple, c'est la perte prouvée de biens considérables, ce sont des services rendus qui ont déterminé, il n'en n'a été accordé qu'à ces titres, et à des femmes, des enfants, et des êtres isolés par la perte de leur maris, ou leur pères dans les combats, ou par des accidents du siège où ils servaient comme soldats. Il en est encore d'accordées au grand âge, et aux infirmités. Quels de ces êtres seront supprimés ?

Le traitement de 200 # accordé aux enfants mâles de condition, ou d'officiers et autres vivant noblement jusqu'à 18 ans ou qu'ils fussent placés par le Roi au service ou autrement, a cessé exactement au moment des évenements qui en décidaient la cessation, à l'instant que le port a été instruit de la grâce qui y supléait.

Il en a été de même pour celui de 108 # accordé aux [col. enfants] deux sexes des familles du peuple. Ce secours a paru indispensable aux pères et aux mères, qui ayant perdu le peu qu'ils possédaient (très intéressant néanmoins pour eux) et qui ayant été obligés de se livrer à des moyens plus dispendieux et moins faciles que ceux dont ils jouissaient à l'ïle royale pour faire subsister leur famille [col. "toutes grâces leur ayant été supprimées"], auraient été dans l'impossibilité de fournir aux besoins de leurs enfants et de les faire instruire dans un métier qui pût leur assurer du pain [Ms 1448 : (Col : ce passage supprimé) : "si cette grâce leur eut été refusée"]. Ce traitement a eu pour terme fixe l'âge de 18 ans, parce qu'il a été regardé comme vrai qu'à cet âge une fille est en état de travailler, de gagner sa vie et un garçon de se livrer à tous les travaux et aux moyens convenables à son sexe.

Tout a été pesé, discuté avec la plus scrupuleuse attention. Quel retranchement faire aujourd'hui ? Quelle sera l'économie si l'on en fait à raison des emplois, donné aux pères sans assurer, encore qu'ils viennent à mourir, du pain à la femme et aux enfants, il faut au moins alléger au père cette cruelle pensée ; si je meurs ma famille est sans pain, quelle est cruelle cette pensée et sujette à inconvénient. Elle est déstructive du courage, elle peut porter aux excès les plus vicieux de la cupidité, à quoi ne peut elle entraîner un homme qui a en ses mains quelques portions d'autorité ou d'administration.

Il fut décidé dans le principe que les enfants qui naitraient des mariages contracés à l'île Royale, seraient admis à la pension ou aux traitements. Cette règle subsista et eut son effet, tant que le fond fixé fut suffisant ; lorsqu'il fut rempli, il fut dit que ceux qui surviendraient remplaceraient ceux qui viendraient à décéder ou à être placés ou qui seraient dans le cas de cesser de jouir ayant atteint l'âge de 18 ans. Cette décision eut son execution, mais elle fut éludée, et il fut permis d'employer les enfants survenus sur les rôles de subsistance des familles acadiennes, dont le fond n'était point fixé. Voilà pourquoi il se trouve des enfants détachés de leurs familles sur ces rôles.

Lors de l'émigration de Miquelon en 1767, il fallu secourir les émigrés, le ministre ordonna de les employer sur ces rôles jusqu'à nouvel ordre ; la dépense que cette grâce qu'on ne pouvait refuser aux émigrés occasionna étant forte, on eut recours aux retranchements, aux enfants au dessous de 10 ans qui de 6s furent réduits à 3.
Je ne parle point des grâces particulières que le ministre a jugé à propos d'accorder sur ces fonds, mais je conclus que tout ce qui a été pratiqué par le port a été fondé et appuyé de décisions formelles ou de conséquences nécessaires d'après ces mêmes décisions, ou d'après ce que les principes indiquaient ; qu'on peut cesser d'admettre aux grâces, mais qu'on ne peut rien retrancher aux êtres qui n'ont été employés que par des suites de principes dictés pour servir de règle à l'administration.

Ces familles ne sont point dans la détresse par leur faute ni par l'inconduite de leurs chefs, elles ont tout perdu, mais tout par un évement qu'elles ne pouvaient prévoir, qu'au moment où tout est du devoir dû au prince et à la gloire de ses armes, les simples habitants, tout soldat, ont montré le même zèle, la même ardeur, le même amour pour la gloire de la nation, que l'homme de troupe, de l'état duquel ces sentiments sont du premier devoir.

Les commandants pour le Roi dans l'espérance d'ôter (?) à l'ennemi la saison des opérations est de mettre à l'abri le Canada, ont poussé la résistance à toute extrêmité, et même au point de ne pouvoir espérer de capitulation. C'est à cette conduite si louable à laquelle les habitants se sont prêtés avec ardeur, qu'il faut attribuer leur infortune. Quels effets ne doit on pas attendre dans les colonies, de la confiance que le colon aura dans les bontés du Roi, s'il sacrifie tout à sa gloire. Cette observation est bien intéressante.

A Rochefort, le 31 octobre 1773

Notes

il ne s'agit pas du document # 000025 ; le texte principal est celui du MS 1480 (brouillon), les quelques variantes avec Col. C 11 D 10 (qui doit être le texte définitif) ont été indiquées entre crochet ; j'ai collationné soigneusement le texte avec celui lu dans Col C11D 10. Dans le texte de Lemoyne, difficile à lire, il restait pas mal d'incertitudes sur des mots, incertitudes que j'ai pu corriger grâce à Col. C11 D 10.

le texte renvoie fréquement à une lettre du 5 mars 1773 [pas retrouvée].

Mots-clés

// secours
// article Loches
// pension vs traitement
// gender
// signification des six sous
// nation : France
// émulation
// Rochefort
// SPM

Numéro de document

000308