Document : 1774-05-06

Références / localisation du document

BM Bordeaux, MS 1480, f° 591-595 // f° 309-311

Date(s)

1774-05-06

Auteur ou organisme producteur

Lemoyne

Destinataire

Pérusse

Résumé et contenu

Réponse de Lemoyne à une lettre amère de Pérusse du 1774-04-27, ce dernier reprochant à Lemoyne de l'avoir critiqué sans raison. Caractère Acadien. Acculturation. Sauvages. Supériorité des Acadiens sur les Européens.

Résumé :
Lemoyne a reçu la lettre de Pérusse. Il a lu et relu ses propres mémoires pour comprendre s'il avait commis une maladresse, mais n'a rien trouvé. Nie avoir critiqué et dénigré l'établissement du Poitou. S'il a critiqué, c'est seulement au sens d'essayer d'arriver au même bien que Pérusse désire. Lemoyne a communiqué des mémoires au C.G., à Blossac, à Bertin et à de Boynes. Rien de mal dans ces mémoires.
Pérusse lui a reproché d'avoir dit qu'il avait fait des calculs avant lui. Lemoyne pensait que son plan avait été communiqué à Pérusse, il s'excuse et retire cela si ce n'est pas vrai, il l'avait pensé en raisons des discussions que Lemoyne avait eu avec l'abbé Le Loutre avant de rencontrer Pérusse. Il est plutôt content d'avoir eu les mêmes idées que Pérusse si il y a eu rencontre de pensée.
Pérusse lui reproche aussi d'avoir insinué qu'il ne devrait pas se charger de la paye. Lemoyne se rétracte derrière l'argument suivant : il risque d'y avoir des murmures et donc vous risqueriez, si vous distribuez la paye, de vous exposer à des reproches.
Il n'est donc pas vrai selon Lemoye que "j'affecte de vouloir faire de vous un avide et mercenaire entrepreneur". Peut-être cela vient-il d'autres articles : à propos de l'achat de boeufs par exemple, Lemoyne voulait juste dire qu'on pouvait sans doute trouver moins cher ailleurs si besoin était, par exemple en Bretagne. L'abbé LL n'a payé que 180 # pour une paire de boeufs (alors que Pérusse prévoit 250 # je crois). Pareil pour le foin, etc...
L'article qui a le plus agaçé Pérusse est l'article sur le défrichement de ses propres terres. Lemoyne n'a dit son avis que parce qu'on lui demande. Ne conteste pas la justesse de ses vues d'avoir commencé par défricher ses propres terres pour s'assurer d'une récolte, etc..., mais Lemoyne ne pense pas qu'il faille continuer car il s'élève des murmures car les familles veulent avoir leurs propres terres. Il ne se rétracte pas de cette différence de vue parce que c'est ce qu'il pense.
Il pense que les Acadiens veulent être propriétaires et indépendants : grande palabre sur les Acadiens :
"Je connais très parfaitement les procédés que les Acadiens sont capables d'employer, je sais qu'ils peuvent tout différemment et infiniment plus que nos paysans européens. Elevés à la sauvage, milles commodités indispensables à des européens sont pour eux fort inutiles, je suis même certain que les deux tiers eussent été plus flatés d'avoir été mis en plein champs sur leurs propriétés avec les moyens de s'établir eux mêmes que de toutes les douceurs dont on les a fait jouir. Comment se sont établis nos Européens dans le Canada, dans le Mississippi, je ne cite point les pays chauds, ils ont fait comme ils ont vu faire aux sauvages. Jettés sur une rive déserte au milieu des bois avec des outils et des vivres ils ont fait usage de tout ce que la nature toute brute leur offrait, ils se sont d'abord mis à l'abri soit sous des feuillages, soit sous des huttes, formés de terre et de gazon et ensuite ont travaillé à le faire solidement. Sans prendre cela à la lettre, qu'on affaiblisse cette idée mais qu'on l'approche des possibilités en France qui lui sont analogues et l'on jugera du parti qu'on pourrait prendre au début et qui certainement eut procuré un succès et plus prompt et plus avantageux.
Lemoyne espère donc que Pérusse ne lui refusera pas la justice qui lui est dûe.

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M. Le marquis de Pérusse. Du 6 mai 1774

J'ai, M., reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 27 du mois dernier. J'ai vu avec la plus grande peine votre préoccupation sur les mémoires que j'ai donné ayant eu ordre de le faire. J'ai crû à la lecture de votre lettre, M., qu'il m'était échappé des choses louches qui pouvaient faire douter de ma façon de penser à votre égard. J'ai lu et relu les mémoires dont vous vous plaignez et en vérité je n'y ai rien trouvé et n'y trouve rien qui soit contraire à la justice qui vous est due et sur la générosité et sur les vues bienfaisantes qui vous animent en faveur des familles acadiennes.
Votre assertion, M., que je critique et dénigre [ces deux mots soulignés] l'établissement qui se fait en Poitou sous votre inspection m'a fait aussi la plus grande peine. J'ai beau me scruter, je ne puis imaginer ce qui y a pu donner lieu. Je n'ai jamais parlé de ces établissements qu'avec éloge et du bienfait du ministère et du zèle que vous metiez à l'exécuter, ainsi le mot "dénigré" [souligné] ne peut absolument être placé. Quant à celui de "critiqué" [id.] si on l'intérprète par la différence d'appercevoir les moyens les plus efficaces à la réussite je puis l'admettre, mais dans ce seul sens parce que je crois que le mieux pour le bien des familles acadiennes est le bien que vous, M., et moi avons cherché à atteindre.
Je n'ai jamais, M., qu'affirmé votre franchise, votre désintéressement, votre générosité, qualités toutes naturelles dans un homme de votre maison que je connais pour être des plus anciennes du Royaume.
Voilà, M., ma profession de foi. Voila comme je pense et comme j'ai toujours pensé, je ne vois rien dans les mémoires que j'ai remis à M. le C.G. dont j'ai envoyé copie à M. de Blossac et que j'ai communiqué à M. Bertin et à M. de Boynes, je ne vois dis-je dans ces mémoires rien qui y soit opposé et même qui puisse y faire soupçonner quelque alteration (?).
Permettez que je reprenne les articles qui me paraissent vous préoccuper si je suis mal interprété ce n'est pas ma faute ; je vais m'expliquer avec toute la franchise dont je me fais un premier devoir.
Je puis avoir eu tort de mettre dans [un] mémoire que vous aviez eu connaissance par M. Bertin et M. de Boynes de mon travail, de mon plan et de mes calculs économiques. Je rétracte volontiers parce que vous assurez le contraire, mais j'ai été induit à le penser parce que j'ai eu l'honneur de vous les communiquer d'ordre de ces ministres, et que ceux que vous avez eu la bonté de me montrer m'ont paru le résultat des conversations discutées que j'ai eu avec M. l'abbé Le Loutre avant que j'aie eu l'noneur de vous voir. La forme du projet présenté par vous M. à M. le C.G. et accepté par ce ministre m'a encore induit en erreur. Je me rétracte, dis-je, très franchement mais qu'en résulte-t-il que j'aie eu l'avantage de penser comme vous sur le principal de l'objet, je m'en fais gloire.
Je passe aux observations que j'ai joint à ce mémoire sur l'article 6 du projet.

Je dis que vous feriez mal de vous charger ainsi que vous le projettez de l'administration de la solde de 6s accordés par la subsistance.
J'ai pensé et je le pense encore que ces détails vis à vis de gens qui pourraient se livrer aux murmures sur le moindre retard de paiement sur les arrangements économiques dont cette administration peut être susceptible, ne pourraient convenir à un homme de votre naissance et de votre état, dansle mien quoique administrateur, je n'ai voulu m'ingérer dans des détails semblables, j'ai ordonné mais jamais je n'ai exécuté.
Ce ne peut donc point être sur cet article que peut tomber le reproche que j'affecte de vouloir faire de vous un avide et mercenaire entrepreneur [ce passage souligné]. Je relis et discute tous les autres articles. Ce reproche tomberait-il sur l'évaluation des bestiaux et des autres objets dont l'achat [est nécessaire ? Je ne puis le penser, parce que la différence de nos talents peut venir de l'endroit d'où on peut tirer les articles, des moments d'en faire l'achat, des moyens pour la fabrique de ceux qui exigent de la main d'oeuvre. Je crois, M., vos calculs très justes d'après vos points de départ, mais les miens le sont d'après ceux qui les ont dirigés (?). Les boeufs peuvent valoir 300 # et même 350 à un marché et ne valoir que 200 # à un autre en employant d'autres moyens que de les acheter aux marchés foires. Par exemple en donnant l'entreprise de la fourniture au rabais en ne l'attachant pas à la taille etc. (?) mais seulement à des bêtes bien saine (?), d'un bon travail, provenant de pacages semblables à ceux dans lesquels on doit les nourir. J'ai vu les boeufs dans les landes de Bretagne forts quoique moins haut que ceux du Poitou, mais bien collé qu'on m'a assuré ne valoir que 200 # la paire. L'abbé le Loutre à BIM n'a payé la paire de boeufs que 180 # et m'a assuré que les bêtes étaient très bonnes. Portant les boeufs seuls à 250 # comme je le fais, je crois pouvoir assurer mon calcul bon et qu'en les tirant de Bretagne on les aurait à moins. Dans une opération économique il est utile de ne pas s'attacher à un seul point, il faut porter l'oeil partout et appeler à soi ce qui avec les mêmes avantages peut couter beaucoup moins. Je crois, M. que vous pouvez vérifier l'article (?) de 180 # 17 s. pour une paire de boeufs, une vache, un cheval, ensemble au premier mémoire que j'ai eu l'honneur de vous remettre, il est copie de l'état des dépenses que l'abbé Le Loutre a remis aux Etats de la province de Bretagne.
Quant à la nourriture du bétail, je persiste encore dans mon calcul, à Rochefort j'ai acheté le foind dans les années ordinaires rendu chez moi en ville de 30 à 35 # la chartée, qui est de 2 500 [un signe indéchifrable] ; à 40 # on la trouve très cher ; je l'ai cependant payé 50 # mais aussi je ne l'ai payée dans les années abondantes que 24 # et (?) certainement j'ai pu le calculer à 15 # le [?], le faisant faucher, (?) et charger par les Acadiens.
Il y a tout à parier que cette année il ne vaudra pas ce prix et que rarement il peut le valoir en achetant les prix de vente (?). Quant aux matériaux en pierre, le calcul vous avait certainement été mal donné. Le toisé est aisé à faire sur quoi donc M. aie-je pu me faire soupçonner d'une façon de penser si éloignée de moi.

L'article cependant qui parait le plus vous préoccuper est celui des observations sur l'article 4 du projet qui porte que vous deviez faire défricher jusqu'en 1774 le 1/3 des 7110 arpents ou je dis que vous avez changé cette disposition mettant comme problème et en question si vous avez réellement bien vu à cet égard et que je renvoie à examiner à l'article 6. Vous avez vu d'une façon que je vois d'une autre et je discute votre façon de voir. Je le fais ce me semble d'une manière à ne pouvoir vous blesser, M., je dis que vous avez cru plus utile à l'établissement de défricher sur vos terrains et que vos vues ont été bonnes mais qu'au moment il ne conviendrait pas de continuer ces défrichements. Je dis simplement mon avis parce qu'on me le demande. Vos vues, M., étaient bonnes. Comment aviez vous fait avec utilité pour la chose des défriches (?) étendus éloigné des points d'appui absolument indispensables, les faisant près de vos établissements. Déjà en valeur vous avez gagné du temps, vous avez travaillé avec certitude de succès, vous avez assuré des récoltes qui devaient être utiles, voilà ce que vous avez vu de bon M., dans ce procédé et qui l'est en effet, ce que je n' (?) pas certainement, mais conviendrait-il de les poursuivre, je dis que je ne le pense pas parce qu'en effet il en doit résulter des murmures de la part des familles qui ne soupirent qu'après une mise en possession qui assure leur propriété et après un travail sur leur propriété qui leur en assure les fruits tout retard les allarme, toute opération qui ne leur parait pas être directe pour eux peut exciter leurs murmures, je ne puis me rétracter je pense ainsi. L'intérêt que je prends à votre gloire, la façon de penser que je vous connais (... ?) à vous même en y (ou n'y ?) (?...) quel est donc mon tort à cet égard.
Différence d'opinion ! il ne peut y avoir du faute (?) qu'à la coucher quand on traite la même matière avec les vues qui nous animent l'un et l'autre.
Je ne connais le local choisi pour former l'établissement que par spéculation sur les idées qu'on m'en a donné, mais je connais très parfaitement les procédés que les Acadiens sont capables d'employer, je sais qu'ils peuvent tout différemment et infiniment plus que nos paysans européens. Elevés à la sauvage, milles commodités indispensables à des européens sont pour eux fort inutiles, je suis même certain que les deux tiers eussent été plus flatés d'avoir été mis en plein champs sur leurs propriétés avec les moyens de s'établir eux mêmes que de toutes les douceurs dont on les a fait jouir. Comment se sont établis nos Européens dans le Canada, dans le Mississippi, je ne cite point les pays chauds, ils ont fait comme ils ont vu faire aux sauvages. Jettés sur une rive déserte au milieu des bois avec des outils et des vivres ils ont fait usage de tout ce que la nature toute brute leur offrait, ils se sont d'abord mis à l'abri soit sous des feuillages, soit sous des huttes, formés de terre et de gazon et ensuite ont travaillé à le faire solidement. Sans prendre cela à la lettre, qu'on affaiblisse cette idée mais qu'on l'approche des possibilités en France qui lui sont analogues et l'on jugera du parti qu'on pourrait prendre au début et qui certainement eut procuré un succès et plus prompt et plus avantageux. Se conformer aux facultés des hommes que l'on a à employer est toujours le mieux. Je conclus les possibles d'après ce que j'ai exécuté moi même.
D'après ces explications, j'espère, M., que vous ne me refuserez (?) pas la justice qui m'est due et que vous serez persuadé du très sincère et respecteux attachement, etc...

Lemoyne

Notes

Le brouillon de la lettre de Pérusse écrite à Lemoyne se trouve dans ADV 2 J 22 124-2 photo 3001.jpg.


Mots-clés

// acculturation
// demi-sauvages
// perception
// Poitou
// culture

Numéro de document

000343