Document : 1763-07-08a
Références / localisation du document
AM Saint-Malo, BB 49, registre manuscrit, f° 12-13 // Ernest Martin, Les Exilés Acadiens en France au XVIIIe siècle et leur établissement en Poitou, Paris, Hachette, 1936 (rééd. en fac-similé, Brissaud, Poitiers, 1979). p. 269
Date(s)
1763-07-08a
Auteur ou organisme producteur
Le Fer de Chanteloup [chantelou], maire de SM
Destinataire
Vedier [ou Verdier], subdélégué général de l'intendance de Bretagne
Résumé et contenu
Lettre de M. le Fer de Chantelou, maire de Saint-Malo à M. Vedier, subdélégué général de l'intendance de Bretagne. Le 8 juillet 1763.
Réponse à la circulaire du 1763-06-23
problèmes de chômage parmi les Acadiens (car déjà parmi les Français il n'y a pas beaucoup d'emploi ; par ailleurs, le fait que les secours du Roi leur sont versés avec 6 à 8 mois de retard les oblige à acheter à crédit, donc beaucoup plus cher que ce qu'ils devraient payer normalement ; donc la solde suffit à peine.
Etrange : le maire écrit que les Acadiens qui sont arrivés en 1759 sont secourus par le Roi, mais pas ceux qui ont débarqué d'Angleterre (est-ce parce que les secours ne leurs sont pas encore distribués ?)
Le maire en 1759 a donné 4 livres aux Acadiens à leur arrivée dans le port de l'Angleterre ; il suggère qu'on leur donne des terres à défricher ou qu'on les envoie dans les colonies si l'on ne veut pas qu'ils passent en Angleterre pour repasser au Canada.
Les Acadiens établis sur des terres renforceront l'État par leur "culture et population" ; encore faut-il qu'on les aide : semences, outils, etc? ; ce qui reste moins cher que de les envoyer dans les colonies où il faudrait faire la même chose mais en plus payer le transport ; il fait ensuite la liste de tous les ustensiles et moyens matériels qu'il faudra aux Acadiens pour subsister pendant les premières années.
Dans un P.S. il évoque l'idée de Belle-Île en Mer dont il a entendu parler.
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J'ai reçu avec la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, le 29 juin dernier, copie d'une lettre de M. le C.G. [probablement lettre du 1763-06-23], concernant 4.000 Acadiens qui ont été transportés en France et qui sont répandus dans nos ports. Après les informations les plus exactes sur le compte de ces pauvres malheureux, j'ai reconnu, M., qu'ils ne trouvent aucune occupation, soit à la culture des terres, soit dans nos ports, parce que les habitants du pays en manquent eux-mêmes fréquemment, et que nos journaliers ne trouvent que rarement du travail tant à la campagne qu'à la ville. Ces Acadiens sont errants dans mon département où ils ne subsistent qu'à la faveur de la paye du roi qui, quoique de 6s par jour pour chaque personne, leur suffit à peine pour vivre, parce que cette paye leur étant retardée de 6 et jusqu'à 8 mois, ils ne peuvent rien acheter qu'à crédit, et par conséquent beaucoup plus cher que s'ils étaient payés à la fin de chaque mois.
Les Acadiens qui sont venus d'Angleterre depuis la cessation de la guerre sont, M., plus à plaindre que ceux qui abordèrent en ce port en 1759, puisque ne recevant point les 6s. par jour comme leurs compatriotes, ils ne savent où donner de la tête, et il serait, en vérité, bien à désirer que Sa Majesté voulût bien leur accorder la paye comme aux autres, à compter du jour qu'ils sont revenus d'Angleterre, attendu qu'ils ont débarqué dans l'état le plus pitoyable et digne de commisération. Je fis, M. par ordre de M. le Bret, une avance aux Acadiens qui débarquèrent en 1759 à Saint-Malo, de 3 livres à chaque, avec vingt sols de conduite pour se retirer dans les paroisses circonvoisines, où ils prirent des domiciles, ce qui faisait 4 l. par personne et forma une somme de 3.192 l., suivant l'état que j'en remis, le 27 juillet 1759, à M. l'intendant, qui m'envoya son ordonnance de remboursement.
Tous ces infortunés Canadiens [Martin remplace par : Acadiens] n'ont pris jusqu'à présent, M. aucun parti, et sont hors d'état d'en prendre pour les raisons que je viens d'avoir l'honneur de vous expliquer. Quelques exemptions d'imposition que Sa Majesté se portât à leur accorder, cette grâce serait bien insuffisante pour les faire subsister ; ils ont besoin de faveurs plus particulières et il leur faut un état qui décide du sort de leurs familles. Tous ceux avec lesquels j'ai conféré, M., sur un objet aussi important, sont d'accord que si le Roi n'envoie pas ces Acadiens dans quelque nouvelle colonie, il ne lui reste d'autres moyens pour se décharger dans la suite de leur paye, que de les contraindre au défrichement des terres vaines et vagues qu'il a sous ses domaines, ou celles sous les fiefs de particuliers si elles sont de meilleure qualité, lesquels les leur concéderont à titre d'afféagement. Il n'en manque pas dans notre province, notamment du côté de Combourg, qu'on dit très bonnes. On peut encore les envoyer dans les landes de Menezhomme et du Menez. Par ce moyen, M., on les fixera et on les empêchera même, peut-être, de reprendre la route d'Angleterre pour repasser au Canada, n'envisageant dans leur situation actuelle, tant pour eux que pour leurs familles, qu'une fin misérable.
Cette crainte tombera d'elle-même dès qu'ils seront placés sur de bons terrains, et l'Etat acquerra une nouvelle force par leur culture et population ; mais pour leur donner la faculté du défrichement, il faut que Sa Majesté leur fournisse les ustensiles, semences et animaux nécessaires, ce qui ne sera pas aussi considérable qu'on le peut penser, si on a l'attention de placer plusieurs familles à portée de se secourir de leurs b?ufs pour le labour des terres. Au surplus, quelque considérable que puisse être ce débours, il n'égalera jamais celui que le Roi ferait en les envoyant dans ses colonies puisqu'il faudrait les y faire subsister plusieurs années, et leur y fournir, comme ici, la faculté de cultiver la terre, ce qui coûterait beaucoup plus cher en considérant les frais du transport.
Je pense, M., qu'il serait à propos, pour l'économie, de placer 4 familles à portée de se secourir, auxquelles il faudrait que le Roi donne deux b?ufs de tirage, 2 vaches, une charrue complète, 2 houes, et 2 râteaux, 2 fourches de fer, 2 bêches, 2 faucillons ; 4 faucilles à scier les blés, une faux, une hache, et 2 hachots pour émonder les bois, par chaque ménage, tous ces ustensiles étant indispensables et absolument nécessaires pour commencer, elles ne sont pas suffisantes, mais on peut commencer avec ceci, quand on est à portée de se secourir. Il serait nécessaire d'y joindre une charrette pour 2 ménages, et fournir à tous des fourrages pour la subsistance des animaux jusqu'à ce qu'ils en puissent recueillir de leurs labours, et qu'ils aient les facultés de se bâtir, et de mettre les animaux à couvert ; il serait encore à désirer qu'on leur donnât quelque argent pour avoir un principe de ménage, avec le grain pour les premières semences, et en outre la paye du roi de 6 s. par jour jusqu'à ce qu'ils aient des récoltes en état de les faire subsister.
Je suis, etc....
Le Fer de Chantelou
P.S. : Il me semble avoir entendu dire que les Etats de cette province avaient délibéré, dans leur dernière assemblée, d'afféager BIM, après que les Anglais l'auraient rendue. Je pense, M., que plusieurs de ces familles pourraient s'établir sur cette île qui est fertile, où ils auraient la faculté de faire la pêche de la sardine. Enfin, M., tous ces pauvres misérables périront indubitablement si le Roi ne leur accorde pas de secours et des grâces qui les mettent en état de gagner leur vie.
Notes
vu de visu ; photo # 9942.jpg ; cette lettre est une réponse à la circulaire du C.G. du 1763-06-23
Martin p. 269. [donne comme référence AM SM BB 49 ; sa transcription comprend une erreur : transformation de "Canadiens" (texte original) en "Acadiens" ; Martin note : Les lettres de Chantelou sont extraites du "livre de copie de lettres écrites par M. le Fer de Chantelou, maire de la ville et communauté de Saint-Malo, commencé le 10 juin 1763 et fini le 11 janvier 1765"]
Mots-clés
// compatriotes
// repartir
// BIM
// secours : 6 à 8 mois de retard ; Acadiens d'Angleterre n'ont pas encore de secours ; dettes contractées
// SM
// chômage
// travail
Numéro de document
000358