Document : 1761-00-00

Références / localisation du document

abbé H. R. Casgrain, "Lettres et mémoires de l'abbé de L'Isle-Dieu (1742-1774)", Rapport des archives de la province de Québec, 16, 17, 18, (1935-38) : pp. 273-410 ; 331-459 ; 147-253. 1466 // abbé H. R. Casgrain, Collection de documents inédits sur le Canada et l'Amérique, publiés par le Canada-Français, Québec, Demers, 1888-1891. // Archives du Séminaire de Québec // CEA, Moncton, Fonds Placide Gaudet (boîte 16), 1. 16-1

Date(s)

1761-00-00

Auteur ou organisme producteur

Abbé de L'Isle-Dieu [Isle Dieu] (?)

Destinataire

SEM Choiseul

Résumé et contenu

Mémoire pour prouver que les Acadiens sont des sujets français. En fin de mémoire, les raisons pour lesquelles il serait dommageable à la France que les Acadiens soit considérés comme "Anglais" (populationnisme + repopulation de colonies américaines).

abbé de l'Isle-Dieu (?) au Ministre Choiseul 1761 (? ou plus tard). Veut prouver que les Acadiens étaient des sujets français Rencontre de Boscawen avec les députés acadiens à Halifax. Refus de ceux-ci de prendre les armes contre les Français Leur incarcération puis la déportation.

Résumé du 28 décembre 2003 :
Capitulation de Montréal : Amherst a prétendu que les Acadiens étaient sujets de la Grande Bretagne. Examen de cette question : droit de l'Angleterre sur la portion de l'Acadie (aujourd'hui Nouvelle-Écosse) cession de 1713 (les Anglais prétendent parfois que c'est une restitution, mais on peut prouver le contraire rapidement). Le sol a été cédé, mais les habitants ? Se reporter au traité d'Utrecht (il en résume rapidement le contenu : droit pour les Acadiens de quitter leurs terres pour se retirer sur les terres du Roi de France après fixation des limites). Acadiens étaient donc encore à cette époque sujets du Roi de France puisqu'ils pouvaient aller sous la domination de leur légitime souverain. Les autres droits et privilèges que le traité leur accorde (détails) prouvent encore ce point. Donc, ce n'est pas par le Traité d'Utrecht qu'ils sont devenus sujets du Roi de Grande-Bretagne.
On ne peut reprocher aux Acadiens d'être restés après le temps donnés pour rejoindre le territoire français puisque les limites n'ont jamais été fixées et que les Acadiens n'auraient pas pris le risque de quitter leurs terres pour aller s'établir dans des terres potentiellement anglaises.
La prestation de serment n'en fait pas plus des sujets anglais : serments relatifs, non absolu, et seulement pour le temps où ils restaient en attendant la fixation des limites.
Par ailleurs on ne peut accuser la France de n'avoir pas fait toutes les démarches pour la fixation des limites puisque ces démarches ne pouvaient se faire qu'à deux.
On peut tenter de reprocher aux Acadiens d'avoir enfreint les serments qu'ils avaient prêtés et la neutralité, mais on ne peut pas le prouver. On pourrait prouver au contraire toutes les vexations qu'ils ont subis de la part de l'Angleterre, même avant la déclaration de guerre.
Le début des hostilités date de la prise du fort de Beauséjour en 1755. Le récit du traitement fait aux Acadiens de Port Royal et des Mines fut envoyé à la Cour en 1756 se trouve dans les bureaux [pas retrouvé]. La lecture de ce récit est horrible selon l'abbé. Raconte la convocation de 70 chefs de Port Royal et de 30 chefs des Mines par Boscawen à Halifax immédiatement après la prise du fort de Beauséjour. L'Isle Dieu estime que Boscawen ne leur donnait pas des ordres, mais traitait avec eux (donc n'étaient pas sujets de GB).
Récit ensuite de l'arrivée de cette députation à Halifax (protection diplomatique est violée par l'amiral). Leur demande s'ils voulaient prendre les armes contre la France. (= donc il ne les considérait pas comme sujets du Roi de GB). Les Acadiens n'ont rien fait depuis pour faire mentir ni prêté de nouveaux serments. Les Acadiens ont été faits prisonniers, puis dispersés. Ceux qui ont réussi à s'échapper dans les bois ont été envoyés en France comme sujets du Roi de France [il ne dit pas que les autres ont été envoyés en Nouvelle-Angleterre comme sujets de Grande Bretagne]. Ces Acadiens se sont enfuis [au Nord du Nouveau Brunswick actuel] et ont pris les armes " pour le service de leur patrie ", " par attachement pour leur religion ".
A cause de leur misère, leurs souffrances, etc?, les Acadiens, leur missionnaire et les sauvages leurs alliés ont fini par accepter un traité en février 1760, avec les Anglais. Ils s'y sont tenus mais les Anglais y ont dérogé en faisant renvoyer le missionnaire.
Il y a eu alors un manifeste adressé à la Cour par les puissances du Canada [le manifeste de Vaudreuil fiche @ 001315 pour se plaindre des missionnaires en Acadie ?] pour se plaindre de la signature de ce traité de pacification. Ces puissances ne connaissaient pas l'état horrible des Acadiens. Heureusement, la cour a continué à être persuadée que les Acadiens n'ont pas eu le choix, et ce traité était encore un moyen pour prouver à l'Angleterre que les Acadiens n'ont jamais été sujets du Roi de GB. En effet, il n'est pas naturel qu'un souverain traite avec ses sujets ; Amherst ne devait pas le savoir lors de la signature de la capitulation de Montréal. " Voilà cependant ce qui s'est fait au mois de février 1760 et un des plus forts moyens qu'il y ait à opposer à la prétention du gouvernement d'Angleterre "

L'intérêt de l'Angleterre est évident : " si les Acadiens dont il s'agit sont de droit ou de fait sujets du Roi de la grande Bretagne, la France n'est pas en droit de les réclamer dans aucune des colonies anglaises, où ils se trouvent dispersés, et qui plus est, l'Angleterre peut réclamer tous ceux qu'elle a fait repasser en France, les regardant alors comme sujets du Roi. ". Conséquence néfaste pour la France : 1. elle perd un " très grand nombre de sujets " fidèles. 2. lors de la signature du traité, si jamais on récupère une colonie en Amérique : " nous manquerons de sujets pour les rétablir, et que nous trouverons des colonies sans colons pour les habiter et pour les cultiver "

C'est ce qui a motivé l'auteur a écrire ces lettres.

Suit un tableau des missionnaires de l'Acadie.


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Mémoire au duc de Choiseul. Mémoire (par forme de simple observations) à présenter à Monseigneur le duc de Choiseul, ministre secrétaire d'état de la guerre et de la marine (1761 ?)

Au sujet de la prétention où sont les anglais que les Acadiens n'appartiennent plus à la France et qu'ils sont devenus sujets de la Grande-Bretagne.


[...] Le général anglais (M. Amhers) qui de la part du Roi de la Grande-Bretagne l'a signée [la capitulation de Montréal] vis-à-vis de M. le Marquis de Vaudreuil pour le Roi, n'a laissé échapper aucun article de la dite capitulation (où il fut parlé des Acadiens) sans insinuer dans ses réponses et dire même formellement qu'ils devaient être regardés comme sujets de la Grande-Bretagne... Mais sur quoi cette prétention peut-elle être fondée ? C'est ce qu'on se propose d'examiner ici sans prévention, comme sans impartialité.

On n'imagine pas que l'Angleterre puisse faire remonter son droit sur la portion de l'Acadie (aujourd'hui Nouvelle Ecosse) plus loin qu'à la cession qui lui en a été faite par la France en 1713 dans le traité d'Utrecht... à moins que (comme ils ont essayé de le faire plusieurs fois) ils ne prétendent confondre le mot de cession avec celui de restitution et dire et soutenir que cette portion de l'Acadie leur a été non pas simplement cédée, mais restituée, ce qui surement ne leur réussirait pas mieux aujourd'hui que dans toutes les occasions où ils ont osé le hasarder. D'autant que le traité qui fait la loi des puissances contractantes est aujourd'hui entre les mains de tout le monde et qu'il est aisé d'y voir qu'il ne s'agit (dans les termes les plus formels) que de cession et nullement de restitution.
C'est donc là l'origine et la première époque du droit que l'Angleterre a depuis 1713 sur l'Acadie, à elle cédée, suivant ses anciennes limites, et qu'elle appelle aujourd'hui sa nouvelle écosse. Mais quel droit celui lui donne -t-il sur les sujets du Roi qui habitaient alors le sol qui lui a été cédé ?
C'est là précisement le point de la difficulté, mais qui cessera bientôt dès qu'on voudra sans prévention s'en rapporter au traité sus daté, qui comme on l'a déjà dit, fait la loi des deux puissances, et contient de la manière la plus claire et la plus littérale leurs conventions respectives.
On n'y en trouvera aucune qui change le sort des sujets du Roi... toutes celles au contraire qui en font mention leur réserve la liberté d'évacuer leurs terres pour passer sur celles qui se trouveraient appartenir à leur légitime souverain après la fixation des limites de la cession faite à l'Angleterre.
Ces habitants étaient donc alors et après la signature du traité encore sujets du Roi, et n'étaient aucunement devenus suejts du Roi de la Grande-Bretagne par le traité dont il s'agit ; puisqu'il leur réservait de la manière la plus précise et la moins équivoque la liberté de s'affranchir de sa domination pour passer sous celle de leur légitime souverain.

Tous les autres droits, privilèges et exceptions que le traité leur accorde (liberté de religion, exemption de port d'armes en touts faits de guerre... dispenses de corvées et de tous les travaux qui pourraient y avoir trait et le moindre rapport) tout coucours à prouver qu'ils n'avaient point changé de souverrain et que l'Angleterre même continuait à les regarder comme sujets du Roi de France.
Ce n'est dont point par le traité d'Utrecht qu'ils sont devenus sujets du Roi de la Grande Bretagne, ainsi les voilà encore Acadiens français et appartenant à leur légitime souverain.

On dira peut-être qu'ils n'ont pas profité du temps qui leur avait été prescrit poru évacuer l'Acadie cédée à l'Angleterre par la France selon ses anciennes limites, et que par là ils sont devenus sujets du Roi de la Grande Bretagne.

A cela il est facile de répondre que la fixation des limites (convenue entre les deux puissances) était non seulement nécessaire, mais indispensable pour l'évacuation dont il s'agit, attendu qu'en quittant des terres qu'ils avaient cultivé et fertilisé avec grand soin, et par de longs et pénibles travaux, ils auraient couru les risques de passer sur des terres qui se seraient trouvées encore appartenir à l'Angleterre... mais enfin, dira t'on, ces mêmes acadiens ont continué de rester sur leurs habitations et sous le gouvernement anglais jusqu'en 1755, et ont de plus plusieurs fois prêté serment au gouvernement d'Angleterre.

On a répondu à la première de ces deux objections en disant qu'ils n'avaient pas évacué les terres cédées par la France à l'Angleterre, parce qu'on ne les avait pas mis à portée de le faire par la fixation des limites.

Il n'est pas moins facile de répondre à la seconde et d'en tirer même la preuve qu'ils n'ont jamais dû être regardés comme sujets du roi de la Grande Bretagne malgré la prestation des différents serments de fidélité qu'on a exigé d'eux en différents temps, et en différentes occasions, serments non absolus et sans restrictions, mais conditionnels, et relatifs au temps qu'il leur conviendrait de rester sous le gouvernement anglais, et aux droits et privilèges qui leur avaient été accordés jusqu'à la fixation des limites qui n'ont jamais été déterminées par les deux puissances, et qui ont toujours laissé les Acadiens dans le même état où ils étaient en 1713 et par conséquent dans l'impossibilité d'évacuer ce que les Anglais appellent aujourd'hui leur Nouvelle-Ecosse.

On dira peut-être encore que c'était à la France à faire toutes les démarches nécessaires pour accélérer la fixation des limites dont il s'agissait. Les deux couronnes étaient convenues de nommer respectivement des commissaires pour cette opération. L'une ne le pouvait donc faire sans l'accession de l'autre... Ainsi, qu'il soit permis de demander ici si les Acadiens en doivent souffrir et perdre pour cela leur état primitif... Mais comme il s'agit de prévoir tout ce qu'on pourrait alléguer contre eux...

On ajoutera peut-être, mais sans raison comme sans fondements qu'ils ont enfreint les engagements qu'ils avaient contractés par leurs différents serments de fidélité et la neutralité qu'ils avaient promise.

On peut bien le dire par forme de simple allégation contre eux, mais on défie de le prouver et il serait au contraire bien plus facile de constater la preuve de toutes les vexations et les mauvais traitements que ces pauvres habitants ont essuyés en différents temps de la part du gouvernement d'Angleterre, et avant même qu'il fut question d'aucune déclaration de guerre entre les deux couronnes.

La prise du fort de Beauséjour par l'Angleterre sur la France en 1755 fut le 1er signal des hostilités de la part de l'Angleterre contre la France (si on en excepte ce qui se passa en 1754 dans les pays d'en haut du Canada au sujet de M. de Jumonville, dont on n'ose ici qualifier le genre de mort, qui se trouve d'ailleurs consignée dans tous les journaux, écrits et papiers publics).

Quant au traitement qui fut fait en 1755 aux Acadiens qui se trouvaient alors au port Royal et aux mines, il ne faut que lire le journal de cette année qui fut envoyé à la cour en 1756 et qui doit se trouver dans les bureaux... ensemble un manifeste d'un des principaux habitants de Port Royal présenté à l'assemblée de la province de Pennsylvanie par Jean Baptiste Galeren en son nom et à celui d'un très grand nombre d'habitants que le gouvernement d'Angleterre avait fait enlever et y avait transféré.

Il serait difficile de lire avec quelque attention les deux pièces qu'on vient de citer sans en frémir d'horreur en y voyant à quel point la foi des engagements les plus sacrés et les plus solennels a été violée au préjudice des sujets du Roi qu'on ose aujourd'hui qualifier de sujets du Roi de la Grande-Bretagne.

En 1755 et immédiatement après la prise du fort de Beauséjour l'Amiral Bowskawen qui se trouvait alors à Halifax fit demander aux habitants de Port Royal une députation de 70 des principaux d'entre eux, et à ceux des Mines une pareille députation de 30 chefs de familles, et leur fit dire que c'était pour conférer avec eux sur des propositions qu'il avait à leur faire, et non sur des ordres qu'ils eut à leur donner.

Il traitait donc alors avec eux, comme avec des sujets qui appartenaient à la France et qui ne l'étaient aucunement du Roi de la Grande Bretagne.

La suite de ce simple récit historique et fidèle va pleinement justifier l'un et l'autre.

A peine ces 100 Acadiens furent-ils arrivés à Halifax sur la foi et la sûreté d'une députation demandée et convoquée (et qui par conséquent devait les mettre à couvert de toutes surprises et de tous mauvais traitements) que l'amiral anglais leur dit en les menaçant qu'il les envoyait chercher pour savoir, et sans aucune réplique de leur part (que par un oui, ou un non) s'ils voulaient prendre les armes pour le Roi de la Grande Bretagne contre le Roi de France son ennemi, quoiqu'il n'y eut encore aucune déclaration de guerre entre ces deux puissances.

La première réflexion qui nait de cette proposition du général anglais, c'est qu'il ne regardait donc pas encore les Acadiens de Port Royal et des Mines comme sujets du Roi de la Grande Bretagne, quoiqu'ils fussent restés sous son gouvernement, et sur la foi du traité d'Utrecht, et des droits, privilèges et exceptions qui y avaient été pour eux stipulés et accordés. Reste donc à savoir si depuis ce temps là il s'est passé quelque chose de leur part ou s'ils ont formé quelques nouveaux engagements qui les aient constitués sujets du Roi de la Grande Bretagne.

La suite du journal prouve le contraire. A peine les 100 députés du port Royal et des Mines eurent ils répondu à l'Amiral anglais qu'ils préféreraient la mort plutôt que de manquer à l'attachement qu'ils avaient pour leur religion, et à la fidélité qu'ils devaient à leur seul et légitime souverain, qu'il les fit investir par 500 hommes armés et conduire pendant l'espace de 6 à 7 semaines avec défense de parler à personne et de conférer avec qui que ce fut... Mais malgré toutes ces précautions, le général anglais voyant qu'il ne pouvait rien gagner sur eux et sur la représentation qu'on lui fit, que ce n'était pas ainsi qu'on traitait des députés d'une nation aussi respectable que celle de la France, il se détermina à les renvoyer et à prendre toutes les précautions nécessaires pour les faire enlever et disperser... mais ce n'est pas là où s'est terminée la persécution qu'ils ont éprouvée. Plusieurs s'étant échappés de leurs mains et réfugiés dans les bois prirent la précaution de se mettre sur la défensive... les postes voisins tels que ceux qui se trouvaient sous le fort de Beauséjour et sur les rivières de Chipoudy, Petkoudiak et Memramkouk ont été différentes fois attaqués par les Anglais qui ont brûlés leurs habitations, et fait nombre de prisonniers, qu'ils ont renvoyés et fait passer en France comme sujets du Roi... Encore une fois, et on ne peut cesser de le répéter, ils ne regardaient donc pas alors ces Acadiens comme sujets du Roi de la Grande - Bretagne.

Depuis 1755 ces mêmes acadiens, pour se mettre à couvert des continuelles hostilités qu'ils éprouvaient de la part de l'Anglais, se sont enfin réfugiés de proche en proche à plus de 50 lieues de leurs premières habitations et dans différents postes où ils sont restés jusqu'en 1760, tant à Cocagne, Jedaïk, Rechiboukton, La Baye des Ouines, Miramichi, et la Baye des Chaleurs, qu'en différents autres postes voisins, où ils otn été continuellement les armes à la main et sur la défensive pour le service de leur patrie, et pour la surêté de leur liberté et du peu de faculté qui leur restait encore, mais surtout par attachement pour leur religion et par la fidélité qu'ils croyaient devoir à leur légitime souverain dans l'espérance où ils étaient qu'il leur viendraient quelques secours de France ou de Québec, s'il pouvait être repris sur les Anglais.

Les choses en cet état, ces pauvres acadiens, qui depuis plusieurs années éprouvaient la plus affreuse disette, dont on n'ose ici faire le détail et ayant totalement épuisé les ressources qu'ils s'étaient procuré par les différentes prises qu'ils avaient fait sur les Anglais... se déterminèrent enfin, et forcément, à accepter les propositions de paix qui leur furent faites de la part du gouvernement anglais, et ils signèrent au mois de février 1760, conjointement avec leur missionnaire et les sauvages qui leur étaient alliés, un traité de neutralité et de pacification qui subsiste encore, et auquel il n'a été dérogé en rien, que de la part des Anglais, quant ce n'aurait été que par le renvoi du missionnaire des sauvages de l'Acadie, qui déservait seul les deux nations française et sauvage qui se trouvaient dans les postes dont on a ci devant parlé ; et qui se trouvent aujourd'hui sans aucune espèce de secours spirituels depuis plus d'un an.

On ne dira rien ici du manifeste qui fut alors adressé à la cour par les puissances du Canada contre le traité de neutralité et de pacification dont on vient de parler... Il est à présumer que les auteurs de ce manifeste n'avaient pas pris soin de s'informer de la dure nécessité et de la facheuse extrêmité où se trouvaient depuis plusieurs années les Acadiens comme leur missionnaire, jusqu'à manquer de toutes espèces d'aliment, et au point qu'il en est mort plus de 400, faute de subsistance et de nourriture... ou que ces mêmes puissances n'avaient pu connaître leur état par l'éloignement où ils en étaient et les obstacles qui s'y opposaient... mais ce qu'il y a de vrai, c'est que les plaintes faites à ce sujet contre les dits acadiens et leur missionnaire ont été totalement détruites aux yeux de la cour qui est resté pleinement persuadée que non seulement les dits acadiens et leur missionnaire n'avaient pu par la position où ils se trouvaient s'empêcher d'accepter le traité de neutralité et de pacification qu'ils avaient signés, mais qu'il était d'autant plus avantageux qu'ils l'eussent acceptés et signés qu'il en résultait un moyen triomphant pour prouver au gouvernement d'Angleterre que les Acadiens dont il s'agit ici ne sont et n'ont jamais été sujets du Roi de la Grande Bretagne.

En effet, comment oseraient-ils aujourd'hui le dire et le soutenir... et si le général Amhers eut eu connaissance de ce traité dans le temps de la capitulation de Montréal, aurait-il inséré dans ses réponses que les Acadiens devaient être regardés comme sujets de la Grande-Bretagne, n'aurait-il pas pensé alors, qu'il n'est pas naturel qu'un souverain traite ainsi avec ses sujets, comme de sceptre à couronne, et fasse avec eux un traité de neutralité et de pacification.

Voilà cependant ce qui s'est fait au mois de février 1760 et un des plus forts moyens qu'il y ait à opposer à la prétention du gouvernement d'Angleterre, qui a été l'objet et le but de ces simples observations.

Quant à l'intérêt que l'Angleterre a de la soutenir et aux vues qu'elle a pu se proposer en voulant s'approprier les Acadiens comme sujets (de droit ou de fait) du Roi de la Grande Bretagne, il est facile de les pénétrer et de les appercevoir ; si les Acadiens dont il s'agit sont de droit ou de fait sujets du Roi de la grande Bretagne, la France n'est pas en droit de les réclamer dans aucune des colonies anglaises, où ils se trouvent dispersés, et qui plus est, l'Angleterre peut réclamer tous ceux qu'elle a fait repasser en France, les regardant alors comme sujets du Roi.

De là il résulte deux conséquences auxquelles la cour ne saurait faire trop d'attention.

La première que si la prétention de l'Angleterre a lieu, la France perd un très grand nombre de sujets, qui lui ont toujours été fidèlement et très étroitement attachés.

La deuxième, que si par l'évênement du traité qui va se conclure entre les deux puissances, il nous revient quelqu'une des colonies qui ont été conquises sur nous par l'Angleterre, nous manquerons de sujets pour les rétablir, et que nous trouverons des colonies sans colons pour les habiter et pour les cultiver... aussi est-ce été ce qui a déterminé l'auteur de ces simples observations à les rédiger et à les proposer à la cour, qui d'ailleurs en fera l'usage qu'elle jugera à propos ; étant bien éloigné d'y donner plus de valeur qu'elles n'en ont, ni d'exiger ne leur faveur plus de confiance qu'elles n'en méritent.

[suit un "Tableau sommaire des missionnaires séculiers qui (avant les premières hostilités des anglais sur nos postes et contre les sujets du Roi qui les habitaient et s'y étaient établis) étaient à l'île Royale et à Louisbourg, sa capitale... à l'île Saint-Jean, et au port Lajoye, son fort... à l'acadie français et anglaise à la rivière Saint-Jean"]

Notes

lettre reproduite page 5 à 12 du document imprimé # 1100 [Casgrain, documents inédits sur l'Acadie]. Ce document est aussi reproduit dans le RAPQ # 1466 avec la note préliminaire suivante : "Ce mémoire et le tableau sommaire qui le suit ne sont pas signés, mais on voit par le contexte qu'ils sont tous deux de l'abbé de L'Isle-Dieu, vicaire général de l'évêque de Québec. Les points de suspension sont dans le manuscrit. [note de l'abbé H-R Casgrain]"
// localisation : la note du # 1100 précise que le document se trouve aux ASQ, sans plus de détails.
// auteur : l'auteur, à cause du tableau final des missionnaires et de sa connaissance des évènements est probablement effectivement l'abbé de l'Isle-Dieu. Ce n'est probablement pas Le Loutre qui se trouve normalement encore à Jersey à ce moment là.
// Date : entre février 1760 [dernière date mentionnée dans le texte, mais en comptant le temps à la nouvelle d'arriver, probablement pas avant l'été 1760] et la signature du traité en février 1763. Fourchette mi-1760 à début 1763.

// à noter (notes du doc # 1466) que : "dans des passages de ses lettres (qui sont apparus avec la recherche du mot "acadiens", l'abbé de l'Isle Dieu fait état de certaines critiques qui ont été adressées - peut-être à l'abbé Le Loutre) concernant la déportation des Acadiens. Visiblement, certaines personnes [et peut-être Pontbriand lui même] étaient d'avis que les Acadiens avaient manqué à leur serment et que c'était la France qui avait violé le traité d'Utrecht]. [il est fait allusion dans cette lettre aussi à ces critiques ; il se pourrait qu'elles émanent de Vaudreuil, cf. fiche @ 001315].

Mots-clés

// nationalité
// regnicoles
// CDG
// mémoire historique
// allégeance
// nation = désigne ici la France et les nations sauvages
// populationnisme

Numéro de document

000762