Document : 1768-10-08
Références / localisation du document
Jean-Marie Fonteneau, Les Acadiens citoyens de l?Atlantique, Rennes, Éditions Ouest France, 2001 (1996). // AD Morbihan, E 1460/2 // Joseph-Marie Lanco, "Les Acadiens à Belle-Île en-Mer. Correspondance de M. l'abbé le Loutre, Missionnaire apostolique, avec M. le baron de Warren, Maréchal des camps et armées du Roy, commandant pour le Roy à Belle-Isle", Supplément au "Lys", Bulletin mensuel de la paroisse et du pèlerinage de Notre-Dame du Roncier, Josselin, diocèse de Vannes, Morbihan, (mars 1924) .
Date(s)
1768-10-08
Auteur ou organisme producteur
Le Loutre
Destinataire
Warren
Résumé et contenu
Le Loutre à Warren : Conflits entre Babin et Kermarquer et le recteur de Bangor ; conflit entre des Acadiens et Pressigny. Les Acadiens doivent s'excuser, il ne faut pas manquer aux personnes en place.
Il a été instruit par Laurent Babin que le Sieur de Kermarquer et la commission ont interdit aux Acadiens d'affermer leurs terres (c'est à dire de les louer à des tierces personnes pour qu'elles soient cultivées), sous peine d'être chassé de sa concession et de la perdre. Tracasseries contre Babin (et les autres Acadiens) continuent. Le Loutre demande des informations plus sûres à Warren, en qui il fait confiance puisqu'il a toujours défendu les Acadiens.
Le Loutre revient sur les dispositions des Etats : il sait qu'il est interdit de vendre les afféagements, mais il ne comprend pas pourquoi on voudrait les obliger à cultiver eux-mêmes. Il n'est pas possible qu'on oblige par exemple de Kermarquer à labourer lui-même sa terre.
Autre problème : dispute entre des Acadiens et Mr de Pressigny. Un Acadien a été emprisonné et les autres risquent d'être privés de leur solde. Si cela est vrai, Le Loutre désapprouve les Acadiens : "il est permis de faire de très humbles représentations, mais jamais de manquer à des personnes en place." Mais, cependant, intercession en leur faveur : il faut que les Acadiens qui ont insulté le commissaire s'excusent pour ne pas être privés de leur solde, qui leur est nécessaire pour vivre et qui d'ailleurs leur est bien souvent payée en retard.
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Paris le 8 octobre 1768.
Monsieur,
Je prends la liberté de m'adresser à vous pour vous supplier de vouloir bien me donner quelques éclaircissements. Laurent Babin me marque que le sieur de Kermarquer a communiqué aux Acadiens une lettre de la commission par laquelle il leur est défendu expressement d'affermer les concessions qu'on leur a données dans Belle-Ile, qu'il faut que chaque concessionnaire demeure sur son habitation, et qu'il fasse valoir ses terres par lui-même sous peine de perdre sa concession et d'être chassé et expulsé de l'île. Babin m'ajoute que M. le Recteur de Bangor continue toujours ses tracasseries, et qu'il lui a bien promis de le faire évacuer ou chasser de sa paroisse. Avant de faire aucune démarche et mes représentations à MM. les commissaires, je voudrais être instruit, et avoir une copie, s'il est possible, de la lettre en question. Je ne puis ni ne dois me fier à Babin qui écrit très mal. C'est à vous, Monsieur le Baron, que je prends la liberté de m'adresser, et je le fais avec d'autant plus de confiance que dans toutes les lettres dont vous m'avez honoré, vous vous louez de mes Acadiens, vous m'assurez en être content, et dans tous les temps vous leur avez servi de père, les avez honoré de votre protection et défendu contre tous ceux qui auraient voulu leur nuire.
Je sais que les Etats ont absolument défendu d'aliéner, de vendre le tout ou partie des afféagements, faits à Belle-Ile, avant 1776 ; mais je ne vois pas pourquoi on voudrait les obliger de demeurer sur leur habitation, s'il y en avait quelqu'un qui fut marié en ville et y fit un petit commerce, comme Babin, ce qui est à la connaissance de MM. les commissaires, qui lui ont fait donner cent écus de dédommagement pour avoir cette concession. Je ne vois pas non plus qu'on soit obligé, sous peine d'expulsion, de faire valoir par soi-même ses terres. Obligera-t-on MM. Detaille, Kermarquer et tant d'autres à labourer la terre ? Cependant la loi doit être générale, et d'ailleurs la femme d'Alain Le Blanc se trouve dans l'impossibilté. Voilà, Monsieur le Général, mes réflexions. Mais je voudrais avoir les votres : vous êtes sur les lieux, vous savez tout ce qui s'y passe et personne ne peut mieux m'instruire que vous. Je connais votre bon coeur, vous aimez à faire du bien, c'est ce qui me rassure et me fait espérer que vous voudrez bien me pardonner la liberté que je prends.
Ce n'est pas encore le tout. Babin me marque qu'il y a eu une dispute entre M. de Pressigny et les Acadiens, qu'Honoré Duon a été emprisonné et qu'il y en a encore six autres qui doivent l'être, que le commissaire aux classes doit écrire à M. l'intendant pour être autorisé à les effacer du rôle et les priver de la solde en punition de leurs sottises. Si cela est vrai, je blâme beaucoup les Acadiens : il est permis de faire de très humbles représentations, mais jamais de manquer à des personnes en place. Permettez donc, Monsieur, que j'implore votre protection, et que je vous supplie d'ordonner aux Acadiens de faire leurs excuses à M. le commissaire. C'est l'unique moyen de rétablir la paix dans votre Empire. Il serait très fâcheux de voir ces pauvres gens privés de leur solde, surtout dans une année aussi mauvaise que celle-ci ; il est vrai qu'ils sont très mal payés ; il est dû même encore plusieurs mois, mais ce n'est pas la faute du commissaire qui ne peut payer qu'à mesure qu'on lui envoie des fonds. J'espère que vous voudrez m'honorer d'une réponse [réponse faite le 8 novembre, mais la copie n'en a pas été retrouvée] et me permettre de vous offrir l'hommage du plus profond respect avec lequel je suis et serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Notes
contexte : emprisonnement de plusieurs Acadiens ; la révolte gronde avec l'approche de la première redevance à payer (en 1769). des Acadiens insultent le commissaire qui ne leur donne pas leur solde. L'abbé Le Loutre écrit à Warren pour lui suggérer d'ordonner aux Acadiens de s'excuser.
Mots-clés
// conseille au Acadiens de s'excuser
// risque de suspension de leur solde
// conflits
// BIM
Numéro de document
000065