Document : 1773-04-27a

Références / localisation du document

BM Bordeaux, MS 1480, Annexes, 1er Dossier : Mémoire et lettres de 1766 à 1774 // BM Bordeaux, MS 1480, f°307-312// f° 165-67 // AN, H1 1499 2

Date(s)

1773-04-27a

Auteur ou organisme producteur

abbé Grand Clos Meslé [c'est sûr, cf. notes] [au nom des Acadiens de Saint-Servan] // Lemoyne

Destinataire

ministre [de Boynes ou Bertin directeur du bureau d'agriculture (dépend du Contrôle Général)]

Résumé et contenu

Pétition des Acadiens de Saint-Servan (près de Saint-Malo) et commentaires de Lemoyne.

Les Acadiens demandent à ne pas être soumis aux formalités de justice coutumières en France, notamment ici dans le cas d'une mise en tutelle d'un mineur.
Arguments :
1. on les a pour l'instant laissés en paix ;
2. ils remplissent l'esprit de la loi et protégent les mineurs, " Le tout sans frais et avec équité, ainsi qu'ils avaient coutume de le pratiquer en Acadie".
3. "Depuis leur sortie de l'Acadie, ils ont été considérés au milieu de la France comme une nation à part, qu'on a laissé se gouverner selon ses usages, sans les astreindre aux lois lourdes sous lesquelles ils ne sont pas nés ; et cela dans tous les lieux où ils ont passé et séjourné."
4. "Ils sont dans l'attente d'une émigration prochaine et soupirent après l'établissement qu'on leur fait espérer" ; s'ils partent, il faudra qu'ils règlent les problèmes de tutelles avec le tribunal de Saint-Malo ce qui sera long et compliqué.
5. Les Acadiens ne sont pas propriétaires et n'ont pour vivre que les secours du Roi qu'ils conservent pour les enfants. Il ne faut pas craindre d'exaction de la part de parents qui sont tous charitables
6. Acadiens sont pauvres, il n'y a rien à saisir ;
7. Cas particulier de l'enfant pour qui la pétition est écrite : endetté (son père travaillait comme savetier) ;
8. Procureur fiscal précédent ne posait pas de problème, mais celui-ci veut appliquer les lois strictement. Exposé des arguments du procureur : risque d'avoir des problèmes avec ses supérieurs ; le mineur risque de l'attaquer si jamais il est spolié ; il doit s'occuper autant des "passagers" que des gens qui ont un domicile permanent ; quand il n'y a rien dans la succession, il doit faire office gratuitement ;
9. Les Acadiens réfutent ces arguments un par un ; la loi n'a pas pu prévoir leur cas particulier : les biens des "passagers" risquent d'être perdus, mais pas les leurs, puisqu'ils sont en "corps de nation" (ils répètent ce terme plusieurs fois et l'expliquent quelque peu : les Acadiens "sont tous parents et bienveillants les uns des autres ; s'ils sont sur le point de passer dans un autre climat ils sont fidèles à leurs usages, qui équivalent aux sages précautions établies par les lois et en remplissent l'esprit" ; ils prennent en charge les mineurs ;
10. Revendication : "Les lois ne sont faites que pour l'avantage des hommes et non pour les grever" ; contestation des droits de greffier etc? qu'ils auraient à payer ;
11. rhétorique : Les Acadiens n'ont pas besoin de lois parce qu'ils se sont bien comportés ; "ni accident ni abus" (ils rappellent en passant que la pension n'est pas suffisante et qu'elle est ordinairement en retard de quatre à huit mois) ; ils n'ont pas le temps de s'occuper des procédures car cela leur prend des journées de travail nécessaires pour leur subsistance [contradiction avec un passage plus haut où il est dit que les Acadiens ne travaillent pas et qu'ils n'ont comme seule ressource que les secours du Roi], et qu'ils sont déjà assez misérables comme cela. Dernier argument (non numéroté) : les Acadiens se soumettront aux lois quand on les aura établis (définitivement) quelque part (ils sont pour l'instant dans "une terre de passage"). Ils supplient donc "monseigneur le ministre" de donner des ordres pour que les lois ne leur soient pas appliquées.

Réponse de Lemoyne à ces demandes (on ne sait pas si c'est lui qui parle de lui-même à la troisième personne, ou quelqu'un qui rend compte de l'opinion de Lemoyne) : il préconise la gratuité des opérations mais de maintenir la procédure, car ce serait dangereux d'accorder une exemption de la loi.

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Acadiens. (au crayon, en dessous : vers 1770 (?). Mémoire pour les Acadiens.

On a mis les sceaux chez Marie Jeanne Hébert, Acadienne, après la mort de son mari nommé Pierre Landry aussi Acadien desquels il est resté un fils mineur âgé de trois ans : les sceaux ont été mis à la diligence de M. Champroue procureur fiscal de la seigneurie dans l'étendue de laquelle le défunt est décédé en St Servan faubourg de Saint-Malo. Le greffier a fait un bref inventaire et le procureur fiscal se propose de faire une tutelle.

Les Acadiens désireraient bien n'être point sujets aux formalités de justice toujours dispendieuses, voici les raisons qu'ils allèguent.
1°. Depuis quinze années qu'ils sont en France, la justice ne les a point inquiétés, quoi qu'il soit mort grand nombre de chefs de famille qui laissaient des mineurs.
2° Les Acadiens remplissent d'eux-mêmes l'esprit de la loi ; ils s'assemblent après la mort des chefs de famille, ils font l'estimation de son mobilier, ils chargent un ou deux des parents de la garde, nourriture, entretien et éducation des mineurs et des effets mobiliers ; et leur laissent la jouissance de la paie ou solde alimentaire accordée par sa majesté aux familles acadiennes, et à la majorité, les parents chargés des mineurs leur rendent compte de leur inventaire en présence de leurs autres parents. Le tout sans frais et avec équité, ainsi qu'ils avaient coutume de le pratiquer en Acadie.
3° Depuis leur sortie de l'Acadie, ils ont été considérés au milieu de la France comme une nation à part, qu'on a laissé se gouverner selon ses usages, sans les astreindre aux lois lourdes sous lesquelles ils ne sont pas nés ; et cela dans tous les lieux où ils ont passé et séjourné.
4° Ils sont dans l'attente d'une émigration prochaine et soupirent après l'établissement qu'on leur fait espérer. S'ils sont transplantés ailleurs (comme on doit le présumer), tout ce qui sera fait à Saint-Malo demeurera déposé au greffe, et leur deviendra inutile par l'éloignement et la distance des lieux où ils seront établis. Ce serait leur occasionner des dépenses présentes et futures, s'ils étaient obligés un jour de venir du lieu de leur établissement, lever à leurs frais des expéditions au greffe de Saint-Malo. Ce serait les détourner de la culture des terrains qu'on leur donnera à défricher, les constituer dans des dépenses de voyages, etc...
5° Aucun des Acadiens n'est propriétaire de bien fonds, aucun n'est solvable ; ils n'ont pour vivre que leur très modique solde alimentaire, qui certainement est employée au delà pour la nourriture et entretien des mineurs qui restent à leur charge après la mort de leur père, vu que les mineurs au dessous de dix ans n'ont que 3s. par jour par tête, ainsi il n'y a point à craindre d'abus préjudiciables aux mineurs qui sont tous beaucoup redevables de soins et de dépenses aux parents charitables qui veulent bien se charger de leur enfance.
6° Le mobilier des Acadiens en général et celui des mineurs ne consiste que dans leurs vêtements, un mauvais grabat et un coffre, une armoire, avec quelques pots de terre pour cuire leur manger
7° Le mineur dont il est question reste chargé de 200 # de dettes aux fournisseurs qui avaient avancé à son père les matières propres à son travail de sabots. Il doit 70 # pour son loyer et 110 (ou 40) # au chirurgien pour la maladie du défunt.
8° On a exposé ces motifs au S. Procureur fiscal qui a répondu que les lois l'obligeaient à remplir ces formalités, qu'il n'occupe que depuis peu sa place, qu'il ne répond pas de ce que ses prédécesseurs ont fait ou omis, qu'il a prêté serment de remplir ses obligations, qu'elles sont expresses sur ces formalités ; que s'il ne les remplissait pas ses supérieurs et en particulier le procureur général du parlement général de Bretagne chargé de veiller à l'exécution des lois l'en rendrait responsable, et que le mineur en faveur de qui ces lois sont faites pourrait lui-même un jour élever des prétentions contre la tutelle, et rendre responsable de tout ce qui lui plairait supposer de préjudices résultant de cette omission. Finalement, que ces lois ne l'obligent pas moins à l'égard des passagers qui décèdent sous le fief de la seigneurie, qu'à l'égard de ceux qui y ont un domicile permanent ; et que quand il n'y a rien dans la succession, il est obligé de faire d'office et gratuitement ses fonctions.
9° Les Acadiens répondent que, quelque légitimes que soient les motifs de M. le Procureur fiscal, quelque sages que soient les lois, on n'a pu prévoir tous les cas. Les passagers qui décèdent ne sont pas en corps de nation ; leurs effets seraient à l'abandon si la justice n'en prenait pas charge pour en rendre compte aux héritiers ou ayant cause ; la position des Acadiens est toute différente, ils sont ici en corps de nation, ils sont tous parents et bienveillants les uns des autres ; s'ils sont sur le point de passer dans un autre climat ils sont fidèles à leurs usages, qui équivalent aux sages précautions établies par les lois et en remplissent l'esprit. Ils se chargent des mineurs, ils les nourrissent, ils les entretiennent, ils les transporte[eront] et leur petit mobilier au lieu qui leur sera assigné par le gouverneur qu'ils attendent.
10° Les lois ne sont faites que pour l'avantage des hommes et non pour les grever . Quelque désintéressé que soit M. le Procureur fiscal en faisant gratuitement ses fonctions, lorsqu'il n'y aura rien dans la succession ne sera-t-il pas bien dur pour des pauvres exilés qui ont tout sacrifié à la fidélité qu'ils avaient pour la France, de voir vendre des habits de leur père pour payer les greffier, les expéditions et autres frais de justice qui vont toujours de préférence et qui réunis font une somme.
11° Les lois ont été portées à proportion des besoins des hommes ; les besoins sont relatifs aux accidents ou aux abus ; il n'est arrivé parmi les Acadiens ni accidents ni abus. A l'égard des mineurs, les lois de la nature ont été jusqu'à présent leur guide ; ils s'entraident charitablement ; il n'y a pas matière d'abus parmi eux ; la pension alimentaire de 3s par jour n'est pas suffisante aux mineurs vu la cherté des denrées ; elle est ordinairement en retard de quatre, six ou huit mois. Les Acadiens contractent donc nécessairement des dettes premières pour la vie, qu'il est indispensable d'acquitter, autrement les fournisseurs cesseraient de leur faire des avances. Ce sont les parents charitables qui se chargent des mineurs, qui acquittent [leurs] dettes, et qui suppléent par leur travail au déficit de la pension alimentaire de 3s. Leur sort est déjà assez misérable, sans augmenter leur misère par des frais grevant sans nécessité, et par des formalités inusitées parmi ces bonnes gens. Formalités qui jettent toute la nation dans le trouble, et qui détourneront tous les parents de plusieurs journées de travail nécessaire à leur subsistance et à celle du mineur déjà pourvu par ses proches et mis sous la garde de sa mère et de son aïeule maternelle.
Quand les Acadiens seront fixés dans un établissement, ils se soumettront aux lois du lieu ; alors elles leur seront aussi utiles qu'aux autres citoyens ; mais ils supplient, monseigneur le ministre, d'interposer son autorité pour leur épargner dans une terre de passage, des peines inutiles et qui leur deviendront à charge pour le présent et l'avenir.
Fondés sur tous les motifs qu'ils viennent d'alléguer, ils espèrent et ils supplient Monseigneur le ministre, d'écrire à M. le procureur général du parlement de Bretagne, afin qu'il recommande à M. Champroue (?) procureur fiscal de la juridiction du chapitre de Saint-Malo et autres procureurs fiscaux sous le ressort desquels les Acadiens séjournent en Bretagne pour peu de temps, de ne pas mettre en exécution contre eux des lois faites pour les sujets de la province et qui n'ont pas été destinées à une nation qui ne fait qu'y traverser le pays, sans aucun dessein de s'y fixer, et qui n'y séjourne que pour attendre les ordres du gouverneur sur le lieu de son émigration.

Observation. M. Lemoyne, en rendant compte de ce mémoire, a observé qu'il croit impossible ou au moins trop dangereux non pas seulement de détruire quant à des individus particuliers, une loi générale, mais même de l'attaquer, et a proposé de donner un arrêt du Conseil qui ordonnerait le gratis tant de la part des juges que des greffiers, non seulement pour présence et vacations, mais même pour les expéditions ; et quant au contrôle des actes, ou le gratis, ou une taxe très faible. Cet arrêt sans toucher à la loi, remplissait tout ce que les Acadiens demandent et désirent et conservait aux pauvres enfants de ces malheureux les guenilles laissées par leurs parents pour leur usage. M. Lemoyne proposait de fixer un terme à cette grâce, lequel eut été pour tous (?) six ou dix ans au plus après l'établissement, soit après domicile pris dans les villes qu'ils choisiraient pour leur résidence, l'opération et leur établissement terminé.

Notes

DSCN0198.JPG f° 14.
// document en double, supprimé fiche du registre principal (ancienne fiche @ 207) ;
// photos DSCN2259.jpg et suivantes : copie collationnée de ce texte dans AN, H1 1499 2 [mais le texte n'est toujours pas signé]
// quelques notes au crayon sous le titre précisent (document de la liasse principale, pas celle des annexes) : "Au sujet des scellés, inventaires, nominations de tutelles, etc. opérations de justice.
de l'abbé Grand Clos Mêlé, chanoine de Saint-Malo." [sous entendrait que c'est lui l'auteur]
La date est déduite de la date des autres documents. C'est bien lui l'auteur comme le prouve un mémoire de Lemoyne du 1773-08-06 [Revient aussi sur le mémoire de GrandClos Mêlé à propos des scellés : "On n'a pas fait droit à ce mémoire, à cause des arrangements actuels, mais ces gens là établis, les objets sur lesquels ils tombent renaîtront."], qui affirme d'ailleurs que la pétition n'a pas été fructueuse (les revendications n'ont pas été accordées ; Lemoyne quant à lui avait demandé à ce que les Acadiens aient la gratuité mais ne soient pas exemptés de la procédure).

// Date du texte : "depuis quinze ans que nous sommes en France" (soit 1758 + 15 = 1773 ou 1763 + 15= 1778) ; une mention au crayon : vers 1770 (avec un ?) ; à mon avis, ce mémoire serait sans doute postérieur à 1770, puisqu'en 1770 Lemoyne n'est pas encore chargé des Acadiens : il le deviendra en 1771. En fait, la meilleure façon de dater le texte est avec la lettre d'accompagnement de Lemoyne datée du 27 avril 1773. (cf. @ 000209)

// Ce texte a d'abord été adressé à Guillot qui l'a transmis à Lemoyne lequel le transmet au ministre.
// Destinataire de la lettre : "monseigneur le ministre"

à noter également qu'on retrouve d'autres demandes de tutelles pour des Acadiens (cf. ADIV série B ; 1763-10-15)

Mots-clés

// SM
// culture
// signification des 6 sous
// transmission des secours (6s. par jour)
// dettes
// travail (savetier)
// ADAN (auto-désignation des Acadiens comme nation) et même comme "corps de nation"
// Acadiens : pétitions

Numéro de document

000006