Document : 1759-05-10

Références / localisation du document

SHM Brest 1 P1 / 23 pièce 7 // ADIV, 5 J 139 // # 1244 : Naomi E. S. Griffiths, L'Acadie de 1686 à 1784. Contexte d'une histoire, Moncton, Editions d'Acadie, 1997 (1992). // Naomi E. S. Griffiths, The Acadian Deportation : Causes and development, thèse de doctorat, University of London, 1969. # 1452

Date(s)

1759-05-10

Auteur ou organisme producteur

Ladvocat de la Crochais

Destinataire

Guillot

Résumé et contenu

Perception des Acadiens par Lavocat de la Crochais qui les héberge : les Acadiens sont "différents", ils viennent d'un pays d'abondance : ils boivent du lait ; ils sont sensibles aux chaleurs et ne savent pas bien manier la hache.

Lavocat loge 22 Acadiens. Si on leur supprime la solde, il faudrait les faire subsister autrement. "j'en juge par ce que je vois depuis quinze jours qu'ils sont ici si je ne les avais pas secouru je ne doute pas que ces malheureux n'eussent manqué du nécessaire". Ailleurs, plusieurs sont morts de faim, etc... devoir de charité.
Il rend compte de son opinion sur la capacité des Acadiens à gagner leur vie. Difficile de travailler aux cultures car ils viennent d'un pays où les terres étaient meilleures et travaillées différemment ; souffrent de la chaleur ; manient mal la hache ; les femmes filent mal. En conclusion : si on supprime leur subsistance, ils ne trouveront que très difficilement du travail d'autant que les pauvres du lieu en manquent la moitié de l'année.
Habitude des Acadiens à mener grande vie (2 livres de pain / personne). Détail de ce que l'avocat a acheté pour eux ; prix des denrées ; "ces gens accoutumés au laitage sont obligés de payer le pot de lait 4s et le beurre 8 à 9 s. la livre, au moyen de quoi il leur est impossible achetant [écrit acheptant] tout de vivre sans la paye du Roi. Je leur ai conseillé d'acheter du cidre pour suppléer au lait et au beurre."
A envoyé une liste des 22 personnes : 5 hommes, le reste femmes et enfants : comment pourraient-ils vivre ? Si le ministère pensait comme Guillot, il ne supprimerait pas les secours aux Acadiens qui ont prouvé qu'ils étaient bien dignes sujets. Plusieurs acadiens n'ont rien mangé pendant plusieurs jours.

[suit l'extrait de Griffiths très différent de ce texte]
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Lettre adressée à Guillot, commissaire de la marine à Saint-Malo.

La Crochais, 10 mai 1759

Monsieur,

Par la lettre que vous m'avez fait l'honneur de me répondre au sujet des Acadiens que j'ai fait loger dans deux fermes de ma porte [sic] au nombre de 22, il est certain que si le Roi leur supprime la paye de 6s par jour qu'il leur fait, qu'il faudra prendre des mesures pour les faire subsister soit à ses dépens ou par une taxe sur les peuples ; j'en juge par ce que je vois depuis quinze jours qu'ils sont ici, si je ne les avais pas secourus je ne doute pas que ces malheureux n'eussent manqué du nécessaire et demeuré comme ceux qui sont à une lieue d'ici dans cette paroisse, tous malades et dont plusieurs déjà morts ; je serais bien fâché d'avoir à me reprocher qu'un malheureux mourut faute de secours à ma porte et si la solde du Roi est supprimée, j'aurai un peu cette douleur.

Trouvez bon, Monsieur, que je vous dise l'examen que j'ai fait des talents de ces gens et de leurs facultés pour gagner leur vie. Premièrement, ces peuples sont élevés dans un pays d'abondance, de terres à discrétion, par conséquent moins difficiles à cultiver que celles de ces cantons [?] ici et dont les usages étaient différents, ils ne peuvent facilement trouver à gagner des journées ; de plus ces hommes qui paraissent des plus vigoureux ressentent déjà les chaleurs quoi que point encore sensibles pour nous. Ils manient un peu la hache pour faire longuement et assez mal quelque chose à leurs usages, ce qu'on ne peut appeler que "hacheur des bois", les femmes filent aussi assez mal, c'est à dire de [ou du] très gros fil [sic] et font un peu des bas, voilà tous les talents que je leur connais et dont, je crois, aucun ne sont capables de suppléer à leur subsistance, quand bien même ils trouveraient à les employer, ce dont il n'y a pas d'apparence de se flatter puisque moitié de l'année les pauvres du pays manquent d'ouvrage.

D'ailleurs, Monsieur, ces peuples paraissent de grande vie, et je doute qu'ils ne mangent pas 2 livres de pain par tête ; je leur ai acheté dix boisseaux de blé à 5 # 3 s. le boisseau, lequel fournit au plus 70 livres de pain ; ils ne peuvent à présent en avoir à moins de 5 l. 10 s. le boisseau, et le seigle est rare dans ce canton ; ces gens accoutumés aux laitages sont obligés de payer le pot de lait 4s et le beurre 8 à 9 s. la livre, au moyen de quoi il leur est impossible achetant tout de vivre sans la paye du Roi. Je leur ai conseillé d'acheter du cidre pour suppléer au lait et au beurre.

Vous verrez, M., en jetant les yeux sur la liste que je vous ai envoyée que dans le nombre de 22 personnes il n'y a que 5 hommes en état de travailler quand ils auront recouvert leurs forces, car ils paraissent épuisés ; est-il possible que ces 5 puissent gagner la vie à 17 femmes et enfants ? Je suis persuadé que si S. M. et le ministère considéraient du même oeil que vous ce qu'ont fait ces malheureux pour prouver qu'ils étaient dignes sujets d'un bon prince on ne leur ferait pas regretter le sacrifice qu'ils ont fait de tous leurs biens pour ne pas quitter le service de la France ; j'implore pour eux votre protection ; il y en a qui ont été des deux jours sans manger ne trouvant rien à acheter. Leur misère et la simplicité de leurs moeurs est [sont] respectable, ils ne connaissent que l'équité. Dieu veuille que l'indigence ne les fassent pas changer. Je le désire de tout mon coeur ainsi que de vous convaincre du respect avec lequel je suis, etc...

Lavocat de la Crochais.
A la Crochais, le 10 mai 1759

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version Griffiths :

Dans une lettre écrite en 1759 par un avocat de Dinan au commissaire naval de Saint-Malo, sollicitant une aide pour les 22 Acadiens qu'il avait établis sur sa propre ferme, on découvre les raisons de cette indifférence :

Croyez bon, Monsieur, que je vous dise l'examen que j'ai fait des talents de ces gens et de leurs facultés pour gagner leur vie. Premièrement, ces peuples sont élevés dans un pays d'abondance, de terres à discretion, par conséquent moins difficile à cultiver [...] de plus ces hommes qui paraissent des plus vigoureux ressentent déjà les chaleurs quoi que point encore sensible pour nous. Ils mannient un peu la hache pour logement et assez mal quelque chose à leurs usages, ce qu'on n'appelle que "hacheur des bois", les femmes filent aussi assez mal, c'est à dire du très gros fil et font un peu des bas, voilà les talents que je les convois [sic] et dont, je crois, aucun ne sont capables de supplier à leur subsistance, quand bien mesure [sic] ils trouveraient à les employer, ce dont il n'y a pas d'apparence de se flatter puique moitié de l'année les pauvres du pays manquent d'ouvrage."

Selon ce même témoin, les Acadiens exigeaient beaucoup de pain, réclamaient du lait et du beurre, refusaient le cidre ; ils préféraient les aliments nord-américains à la nourriture française. [ mentionné dans le # 1244 et dans la thèse]

Notes

// photo 6437. jpg ; vu l'original à Brest [voir photos numériques 2735.jpg] ; la copie de Bourde était rigoureusement correcte à part deux phrases qui avaient été omises ou raccourcies en toute fin de texte
// Griffiths p. 118 : [Avocat de la Crochais, à Guillot, Dinan, le 10 mai 1750 [sic], IF 2159, ADIV (Rennes)]. Retrouvé dans thèse Griffiths, c'est bien 1759.

// Il est possible que cette lettre soit à l'origine de la lettre que Guillot envoie à Lemoyne quelques années plus tard ; on y retrouve les mêmes expressions et les mêmes sentiments ;

// Lieu : [Dinan, selon Griffiths ; peut-être " La Cocheriais", près de Plesder, entre Dinan et Combourg] ; HBR précise : La Crochais en Ploubalay (photo 5558.jpg dans dossier 5J 140) ; il s'agit effectivement du manoir de la Crochais à Ploubalay.

// critique du texte : l'auteur n'est pas "neutre" ; il cherche peut-être à se faire bien voir et à apparaître comme un "sauveur" d'Acadiens dont il noircit peut-être la situation ; son but est de plaider en faveur de la continuation de la solde des Acadiens (peut-être parce qu'il a peur de les avoir sur les bras et à sa charge pendant très longtemps ?), donc il a intérêt à noircir leur capacité à gagner leur vie.

Mots-clés

// perception locale : pas bons travailleurs ; habitude de mener grande vie (laitages)
// secours
// signification des 6 sous
// modes de vie
// hospitalité
// culture
// SM
// chômage

Numéro de document

000818