Document : 1763-06-13a // 1763-05-16
Références / localisation du document
Jean-Edmond Roy, Rapport sur les archives de France relatives à l'histoire du Canada, Ottawa, 1911. # 711 // MAE, Correspondance politique, Angleterre, volume 450, p. 404-7
Date(s)
1763-06-13a // 1763-05-16
Auteur ou organisme producteur
D'Eon
Destinataire
SEM Choiseul
Résumé et contenu
d'Eon à propos des possessions des familles de l'île Royale. Demande d'autorisation de retourner vendre leurs terres. Refus anglais d'une signature par écrit dû à la volonté, selon d'Eon, de conserver ces populations en Angleterre ou à l'Ile Royale et d'éviter leur retour en France.
D'Eon à Choiseul. Récit de ses démarches : a demandé au ministre anglais l'autorisation pour les habitants de l'île royale de retourner vendre leurs terres [cf. lettre de Choiseul du 1763-05-16]. Puisque l'accord de paix ne précise rien sur leur compte, c'est qu'ils ont le droit de jouir de leurs possessions. Réponse du ministre anglais [Egremont] : tout à été détruit sur place, donc cette demande est inutile. Insistance de d'Eon. Egremont finit par accepter par oral le retour des habitants de l'île royale ; d'Eon presse pour une trace écrite, Egremont accepte mais part deux jours après à la campagne sans avoir rien signé. d'Eon en déduit que c'est parce que Egremont cherche à pouvoir se dédire, pour retenir les familles qui veulent repasser en France. Stratégie anglaise : peupler leurs colonies avec ces familles ; échec avec les Acadiens les met dans une position délicate alors qu'ils doivent peupler leurs nouvelles conquêtes. Les Acadiens ont étonné l'Angleterre par leurs bonnes moeurs et leur fidélité au Roi et à la Religion. Comparaison très favorable pour les Acadiens avec les Français : "Plusieurs de nos prisonniers français se sont laissés éblouir par les promesses des Anglais, et ont marqué en ce point beaucoup moins de fidélité à la France et de désir de vengeance que les malheureux Acadiens qui viennent de s'embarquer pour la France, après avoir étonné toute l'Angleterre par leur probité, leurs moeurs et leur attachement inviolable à la religion et au Roi, malgré leur dispersion cruelle et la misère effrayante qu'ils ont supportée jusqu'à la fin avec un courage héroïque que tous les Français devraient avoir encore, s'ils eussent conservé leurs moeurs, et pas connu le luxe."
[à noter que cette interprétation de la volonté des Anglais de conserver les Acadiens est peut-être fausse ; c'est peut-être ce que les Anglais veulent faire croire aux Français pour les inciter à rapatrier le "problème" acadien chez eux et en entrevoyant les difficultés futures qu'ils poseront....]
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Duplicata de la lettre de M. d'Eon à M. le duc de Choiseul.
A Londres, le 13e juin 1763
Monseigneur,
Mylord Egremont après m'avoir promis et fait attendre jusqu'à présent la réponse par écrit que j'ai eu l'honneur de lui demander à diverses reprises sur votre lettre du 16 mai [1763-05-16] au sujet des habitants de l'île Royale, m'a envoyé il y a quelques jours M. Wood son secrétaire d'Etat, pour me dire qu'une réponse par écrit est d'autant plus inutile que Mylord Egremont ne voyait pas ce que ces habitants iraient chercher et vendre dans l'Ile Royale, que cette île était stérile, pleine de rochers et que le peu d'habitations, de plantations et de sécheries qui y étaient autrefois, avaient été entièrement détruites sous le ministère et par les ordres de M. Pitt. N'étant nullement satisfait de cette réponse, j'ai été plusieurs fois inutilement chez Mylord Egremont ; à la fin je l'ai trouvé chez le Roi. Il m'a répété et confirmé tout ce que M. Wood m'avait dit. J'ai représenté à ce ministre que puisque le traité de paix ne prononçait rien sur le sort des habitants de l'île Royale et de leurs propriétés, ils conservaient le droit naturel et incontestable de disposer de leurs possessions ; que si les habitations étaient détruites ou brûlées, le sol qui leur appartenait existait toujours, et qu'ils avaient la faculté d'en jouir, d'en disposer et même de le vendre, que c'était pour jouir de ce droit naturel que quelques-uns des principaux habitants, chargés de la procuration de ceux qui sont en France, désiraient passer dans cette île avec l'agrément du Roi et du ministère d'Angleterre.
Mylord Egremont a toujours persisté dans son dire et dans son opinion sur l'inutilité de ce voyage et d'une réponse par écrit ; puis il m'a ajouté que ces habitants pouvaient passer à l'Ile Royale en tel nombre qu'ils voudraient, et faire ce qu'ils jugeraient à propos, que le ministère anglais n'en prendrait point d'ombrage. Sur la prière que je lui ai réitérée de me donner cette réponse en forme, afin que ces habitants sussent précisément à quoi s'en tenir ; il m'a dit : "puisque vous le voulez absolument, je vous en donnerai une ; mais je vous réitère qu'elle est absolument inutile" et ce ministre est parti deux jours après pour la campagne sans me rien donner. D'où je conclus qu'il n'a nulle envie de donner de réponse par écrit ; et dans toute la négociation pacifique cela a été sa méthode favorite, afin de se réserver la facilité tacite de nier et de se dédire, suivant qu'il le juge à propos. J'ai vu aussi très clairement par tous ses discours qu'il voulait dégouter ces habitants du projet de retourner dans cette île pour vendre, ou que s'ils persistent à y retourner, il désirerait les y retenir : et ce désir doit être bien naturel au ministère anglais qui se trouve fort embarassé pour peupler leurs conquêtes dans les îles, et pour retenir ceux qui veulent repasser en France, les différents ressorts de séduction que les Anglais ont fait jouer tout récemment et inutilement pour conserver le reste infortuné des Acadiens, est un exemple frappant et de leur embarras et de leur attention à pourvoir autant qu'il dépend d'eux, à la population de leurs colonies. Plusieurs de nos prisonniers français se sont laissés éblouir par les promesses des Anglais, et ont marqué en ce point beaucoup moins de fidélité à la France et de désir de vengeance que les malheureux Acadiens qui viennent de s'embarquer pour la France, après avoir étonné toute l'Angleterre par leur probité, leurs moeurs et leur attachement inviolable à la religion et au Roi, malgré leur dispersion cruelle et la misère effrayante qu'ils ont supportée jusqu'à la fin avec un courage héroïque que tous les Français devraient avoir encore, s'ils eussent conservé leurs moeurs, et pas connu le luxe.
[un dernier paragraphe fait une allusion à des otages en Allemagne - je ne sais pas de quoi il s'agit].
Notes
Roy p. 615-617
Mots-clés
// patriotisme
// volonté populationniste
// populationnisme
// repartir : île Royale
// UK
// culture : patriotisme, attachement à la France, etc...
Numéro de document
000858