Document : 1763-02-17c
Références / localisation du document
MAE, Correspondance Politique, Angleterre, Vol. 449, f°336
Date(s)
1763-02-17c
Auteur ou organisme producteur
Nivernais
Destinataire
Praslin
Résumé et contenu
Mémoire touchant les prisonniers français [parmis lesquels des Acadiens] en Angleterre avec des observations sur leur traitement et un projet sur leur renvoi en France. Noter le côté très intéressant : les Canadiens demandent à aller à SPM.
Londres, février 1763. Joint au [courrier] n°97 du 17 février 1763.
Les prisonniers français en Angleterre peuvent se ranger sous trois classes
1° Les Matelots français et les matelots étrangers pris à bord des navires français
2° Les soldats de marine et tous les aventuriers et déserteurs embarqués sur les corsaires en qualité de volontaires.
3° Les passagers de tous genre, soldats, marchands, ouvriers, etc...
On évalue le nombre actuel de tous ces prisonniers à 18 000 et l'on compte qu'il y en a à peu près 3,000 en Ecosse et en Irlande, si l'on y ajoute environ 5,000 français répandus sur les vaisseaux anglais on verra que nous n'avons pas moins de 26,000 marins de toute espèce en captivité de manière ou d'autre.
Parmi ces matelots nationaux les uns sont nés en France, les autres dans nos colonies. Il y a dans les prisons anglaises plusieurs habitants du Golphe Saint-Laurent, des Canadiens, des pêcheurs de l'île Saint-Jean, de Louisbourg, tous ceux là ont déjà eu des offres de la part des Anglais pour retourner dans leur pays, mais ils y ont résisté, dans l'espérance que le Roi les placera dans l'Isle de Miquelon où ils pourront exercer la pêche qu'ils pratiquaient dans leurs mers. Quoiqu'ils soient tous français et catholiques zelés, ils seraient tous désespérés si on les contraignait de s'établir en France, où ils n'auraient point de pêche, où ils seraient chassés [ou classés], et où ils serviraient sur des vaisseaux du Roi. Au reste, tous ces gens là ne sont que des matelots très médiocres et font des pêcheurs infiniment utiles.
Dans nos matelots français, il y en a beaucoup de protestants ; on pourrait même avancer que plus d'un tiers de ceux du Poitou, de l'Aunis, de la Saintonge, de la Guyenne etc. sont de la religion réformée ; et ils ont d'autant moins de répugnance à passer chez les Anglais qu'en France ils ont été souvent vexés dans leur religion, et mal payés de leurs services. Cette dernière raison qui se fait sentir également à tous nos matelots catholiques et hugnenots, existe avec bien plus de force à l'égard des étrangers pris à bord de nos vaisseaux pendant la guerre. La course en avait attiré en France une quantité prodigieuse, et dans les prisons anglaises les Génois, les Suédois, les Hollandais etc. forment un objet considérable. Il paraitrait d'autant plus important de conserver tous ces étrangers que dans le nouveau plan de notre marine, on vient de former des régiments de matelots étrangers.
La classe des soldats et des volontaires de marine est encore plus aisée à séduire que celle des matelots. La plupart de ces gens là étant des vagabonds tout pays leur est à peu près égal. D'ailleurs, les encouragements offerts dans les colonies anglaises sont plus que suffisants pour les déterminer à y accepter des établissements, surtout lorsqu'ils croient n'en avoir aucun à espérer dans leur pays, ce qu'on a soin de leur dire ici au moins une fois par jour, c'est à dire à chaque distribution de vivres. Ajoutons qu'un grand nombre d'entre eux ayant eu le temps et l'occasion d'apprendre la langue anglaise, c'est peut-être un motif de plus pour les engager à se dépayser.
Un grand nombre de ces volontaires de marine consiste en déserteurs, en brigands échappés des prisons civiles, et en vagabonds sans asile. Tous ces gens là répandus dans le Royaume y causeront des désordres infinis. On indiquera ci-dessous un moyen d'y remédier qu'on croit être le seul.
Quant à la dernier classe, ou celle des passagers, ouvriers, soldats, etc... on en perdra peut-être moins que des deux autres. Les gens à métier ne peuvent s'établir dans aucune ville d'Angleterre sans avoir payé la maîtrise, et quant aux colonies, l'avantage est égal pour eux s'ils passent dans les notres. Il est vrai qu'il en pourra venir beaucoup à Londres où ils sont sûrs d'être bien accueillis, et où dans une moitié de la ville il n'y a point de corporation ni de maîtrise.
La haine que les prisonniers français ont conçu contre les anglais est la seule chose qui puisse balancer dans leur esprit les motifs de désertion. Leur traitement est si horrible que le souvenir de l'avoir essuyé est capable de leur faire détester à jamais le nom anglais. Plongés dans la gange et presque tous nus, on les nourrit avec de la pâte mal cuite faite de farine gatée à la mer, et leur portion ne suffit pas même pour les soutenir. Cette nourriture et le chagrin en ont tué un grand nombre et l'air infect des prisons a ruiné la constitution de tous ceux qui y restent. L'hôpital pour les malades est une autre boucherie ou leurs misères finissent plus vite. La ration des mourrants consiste en une pinte de petit lait, et le bouillon des convalescents est fait à raison de 17 livres et demie de viande dans six seaux d'eau par quatre vingt malades ; et cela en vertu d'une ordonnance d'un certain Maxwel grand commissaire anglais. Dans les seuls prisons de Kilgiliach et de Trenoon près de Falmouth, où il y a ordinairement 900 hommes, il en est mort 750 depuis moins de 5 ans.
Pendant tout le temps qu'ils ont été gardés par la milice leurs persécutions dans toutes les prisons ont été continuelles. Il était défendu de parler après une certaine heure, et au moindre bruit des détachements entraient armés et piquaient à coup de sabres et de bayonnettes les hamacs dans lesquels ces malheureux reposaient. Les lampes devaient être éteintes à un certain signal, et on ne pouvait pas les rallumer même pour secourir un prisonnier mourant sous peine d'une décharge de mousqueterie dans les fenetres de la prison.
Il n'y a pas de prisons où ces miliciens n'aient tué plusieurs français sans en avoir été aucunement punis. Le détail de toutes ces horreurs serait immense et ferait frémir à chaque ligne. Il faut espérer que le sentiment de rage qui en résulte actuellement dans le coeur de nos prisonniers les défendra contre tous les moyens qu'on ne cesse d'employer ici pour les débaucher. Mais quoiqu'il en soit, il est nécessaire de prendre promptement des mesures pour leur transport d'Angleterre en France et pour leur distribution dans le royaume.
1° [résumé : il faudrait que les bâtiments qui transportent les prisonniers soient français]. Il faut se mettre en branle dès maintenant pour que l'on puisse les envoyer dès que le traité définitif sera signé. Chaque jour, 50 prisonniers meurent.
2° il faudra porter vêtements, etc..., aux prisonniers. Il faudra les prendre dans les manufactures françaises.
3° "Il parait juste et avantageux d'accorder à nos prisonniers canadiens le traitement qu'ils désirent ; c'est à dire de les envoyer et de les établir dans l'île Miquelon. Ils y seront contents et utiles, et ne seraient ni l'un ni l'autre en France, par les raisons énoncées ci-dessus.
4° : en ce qui concerne les déserteurs, brigands et vagabonds : il faudra leur demander leurs noms etc... et vérifier leur situation en France : "Voici ce qu'on peut faire pour prévenir les désordres que leur retour pourrait causer dans le Royaume. Il faut d'abord les connaitre et en faire le triage tacite, ce qui ne peut se faire qu'ici, c'est à dire dans les prisons même. Pour cela il faut que quelque commissaire français forme dans chaque prison lors de l'embarquement prochain des prisonniers, un registre ou chacun fera inscrire et numéroter selon sa profession et qualité le dit commiassaire délivrera à chaque prisonnier un billet numéroté correspondant au n° du registre, et ensuite en vérifiant en France les billets, on connaitra surement les vagabonds et on les distribuera sur les vaisseaux du Roy, où ils pourront faire de bons matelots, sans les laisser se répandre dans le Royaume où ils ne seraient probablement que des contrebandiers et des voleurs".
5° Cette forme de billets numérotés à donner aux prisonniers en correspondance d'un registre où se trouverait la spécification de leurs qualités accompagnée du même numéro pourrait encore être fort utile relativement aux matelots canadiens qui devront être transportés à l'Ile Miquelon et aussi relativement aux matelots étrangers, qui n'appartiennent en France à aucun territoire, ni à aucun port, et auxquels par conséquent il n'y aura point de conduite déterminée à donner.
6° Enfin le dernier arrangement à prendre regarde les malades qui resteront dans les hôpitaux. Il est à espérer qu'ils cesseront d'être sous la direction des apoticaires anglais, et que le Roy nommera des chirurgiens français pour en avoir soin et assignera des fonds pour leur subsistance....
Il finit par recommander une nouvelle fois le sieur de la Rochette pour s'occuper du transport des prisonniers. Il est connu d'eux, il connaît déjà les lieux, et il serait selon Nivernais le seul à être en mesure d'assurer le mieux possible ces transferts.
Notes
le terme nation n'apparait pas dans le texte, seulement nationaux
Mots-clés
// Nationaux : désigne ici les Français nés en France ou dans les colonies (parmis lesquels des Acadiens)
// désignation
// repartir : SPM
// religion
// UK
Numéro de document
000906