Document : 1778-04-25

Références / localisation du document

AN Colonies, F 2 B Commerce des Colonies // MG1 18, vol. 3, carton 6, série F2B (transcriptions, microfilm C - 3056)

Date(s)

1778-04-25

Auteur ou organisme producteur

Necker

Destinataire

Sartine

Résumé et contenu

Necker à Sartine. Echec des projets d'établissements précédents parce que les Acadiens sont restés groupés. Projet d'intégration des Acadiens dans le Royaume en les dispersant. Deux autres projets : Corse et Guyane.

Sartine n'ignore pas l'expérience du placement de 6 ou 700 familles en Poitou. Transfert de la marine aux finances en 1773. Echec à cause de l'impropreté du terrain et les Acadiens y ont mis de la mauvaise volonté. En 1775, Turgot a renvoyé les familles à Nantes. L'établissement aura coûté en tout 7 à 800 000 livres en pure perte, sans compter la solde.
La plupart des Acadiens à Nantes (quelques uns dans d'autres ports). Ils s'estiment encore créanciers de l'Etat dans la mesure où ils comptent sur leur solde (à laquelle ils croient avoir droit depuis le 1er janvier 1776) et qu'ils disent qu'on leur a promis des établissements dans les meilleurs terres du royaume.
Lorsque Necker prend les finances, on pense à les établir en Corse. 516 familles avait accepté, mais tandis que Necker cherche une autre solution moins aléatoire et moins chère, deux députés acadiens viennent lui dire que les Acadiens sont contre la Corse mais qu'ils n'ont accepté d'y aller que parce qu'on leur a dit que sinon leur solde serait supprimée. Necker a pris la décision de leur donner encore deux ultimes années de solde ; pendant ce temps, ils doivent se diviser et chacun aller dans la province du Royaume qui lui convient. 3 raisons pour cette prise de décision : 1. pas de terre assez grande qui puisse accueillir tous les Acadiens ; 2. pas de goût pour l'agriculture et les défrichements chez les Acadiens ; 3. problème tant qu'ils seront rassemblés + ils ont peur en travaillant de perdre leur solde
"On a donc pensé à les diviser et à les fondre pour ainsi dire dans la société ; afin que chacun d'eux put devenir Matelot, soldat, artisan, commerçant, laboureur, suivant ses facultés et ses dispositions, sans tenir davantage à un corps particulier de Nation dont il est impossible de laisser subsister l'idée dans le sein même de la nation française."
Cependant, ils devraient songer à s'établir en Corse qui offre de nombreux avantages ; 3 concessionnaires ont déjà offert d'établir 150 familles en 3 villages.
Propositions encore plus favorables de la part d'une "compagnie qui se dit concessionnaire d'un territoire considérable dans la Guyane". Acadiens sont divisés devant ce choix.
Necker croit qu'il est temps de se concerter avec Sartine sur cette question, puisque si les Acadiens passent "en Corse ou dans quelque autre colonie française" ils passeront sous le département de la marine (Sartine).
Necker demande finalement des renseignements sur la compagnie et la viabilité de ce projet de Guyane, qu'il est prêt à appuyer puisqu'il semble proche de leur voeux d'aller en Louisiane (pour Necker, Louisiane et Guyane sont un peu similaires, semble-t-il).


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à Versailles le 25 avril 1778

Vous connaissez, Monsieur, tous les faits à la suite desquels six ou sept cent familles acadiennes sont encore aujourd'hui à la solde du Roi, qui jusqu'en 1773 leur avait été distribuée dans votre département, et dont la finance s'est chargée alors à l'occasion d'un établissement qu'on espérait leur procurer en Poitou. Cette spéculation qui au moyen de l'avance de leur solde jusqu'au premier janvier 1776 devait les placer toutes convenablement et à leur gré, a eu le sort le plus fâcheux, le terrain ne s'est pas trouvé aussi propre qu'on l'avait cru à recevoir une colonie. Les Acadiens n'y ont pas porté l'amour du travail et le courage qui sont nécessaires pour fonder de pareils établissements ; la division s'est introduite parmi eux. M. Turgot s'est trouvé forcé en 1775 de réduire l'établissement à soixante familles ; les autres ont été renvoyées à Nantes. Le nouveau plan n'a pas été plus heureux dans son exécution ; il ne reste définitivement que vingt familles dans cet établissement à l'occasion duquel on aura dépensé 7 à 800 000 livres en pure perte, non compris la solde acquittée d'avance jusqu'au 1er janvier 1776 et ce que les Acadiens ont coûté et coûteront depuis cette époque.
Le plus grand nombre se trouve encore aujourd'hui à Nantes. Il y en a de dispersés dans plusieurs ports ; mais tous se regardent encore aujourd'hui comme créanciers de l'Etat, tant à raison de la solde à laquelle ils croient avoir droit depuis le 1er janvier 1776 et de laquelle ils déduisent quelques secours qu'ils ont reçu, qu'à raison des établissements qui suivant eux, leur ont été promis dans les meilleures provinces du Royaume.

C'est dans cet état que je les ai trouvés lorsque j'ai été chargé du département des finances : on pensait alors à leur former des établissements en Corse ; et cette spéculation avait déjà pris quelque consistance, puisque 516 familles avaient accepté les conditions que M. Taboureau [C.G. alors] leur avait fait proposer ; mais dans le temps même que touchés de l'excès de la dépense et de l'incertitude du succès je m'occupais d'un moyen plus simple et moins cher, deux Acadiens qui se sont dits députés de tous les autres sont venus m'apprendre ce que je soupçonnais déjà, que les Acadiens qui avaient autrefois montré de fortes préventions contre la Corse, n'avaient accepté de s'y établir que dans la crainte d'être privés de la continuation de leur solde en le refusant.
Dans ces circonstances, on s'est arrêté au parti de les faire prévenir qu'à compter du 1er janvier dernier, ils recevraient une solde de 3 sous par jour et par tête pendant deux années, pendant lesquelles ils seraient obligés de se diviser pour se rendre chacun dans la province du Royaume dans laquelle il pourra le mieux former un établissement. Je leur ai fait annoncer que, quand ils auraient fait leur choix, leurs familles seraient conduites à leur destination aux frais du gouvernement ; que pour leur faciliter on leur avancerait ce qui resterait dû des deux années de solde, sans terminer là invariablement les secours qu'ils pourraient mériter ; et on s'est déterminé à ce parti par trois considérations que sans doute l'expérience seule pouvait découvrir :
1. la première, c'est que dans aucune province du Royaume, il n'y a aucun territoire disponible qui puisse les tenir réunis et les faire vivre de leur travail ;
2. la seconde, c'est que dans le fait, le plus grand nombre d'entre eux ne paraît avoir goût ni disposition pour l'agriculture et les défrichements tels qu'ils sont pratiqués dans le Royaume ;
3. la troisième, c'est que tant qu'ils demeureraient rassemblés, ils ne feraient rien ni pour eux ni pour le gouvernement, soit faute de trouver de l'occupation suffisante, soit dans la crainte, en s'y livrant, de compromettre une solde qu'ils se sont accoutumés à regarder comme un droit.

On a donc pensé à les diviser et à les fondre pour ainsi dire dans la société ; afin que chacun d'eux pût devenir matelot, soldat, artisan, commerçant, laboureurs, suivant ses facultés et ses dispositions, sans tenir davantage à un corps particulier de Nation dont il est impossible de laisser subsister l'idée dans le sein même de la nation française.
Cependant, dans le nombre des provinces entre lesquelles ils peuvent choisir, la Corse, bien loin de leur être interdite, leur offre plus de secours et de moyens qu'ils ne peuvent en rencontrer dans aucune autre, et ils sont prévenus qu'on a déjà trouvé trois concessionnaires de domaines qui se chargent d'établir, en 3 villages, 150 familles aux conditions qui leur avaient été offertes l'année dernière et qui les avaient acceptées.
En cherchant à suivre l'effet que feraient sur eux ces propositions, j'ai appris qu'il leur en était encore fait de plus favorables de la part d'une compagnie qui se dit concessionnaire d'un territoire considérable dans la Guyane, et qui en rétrocéderait aux Acadiens de fortes parties avec des secours en esclaves, en argent et denrées proportionnées à l'étendue de cette entreprise.

Cette proposition ne pouvant pas manquer de partager les suffrages des Acadiens dans un moment où ils délibéreraient sur le choix de leur état, j'ai demandé d'en connaître les conditions principales ; on vient seulement de m'en envoyer la copie ; mais on ajoute que la Compagnie de Guyane n'ayant donné aucune de ses nouvelles aux Acadiens, depuis le mois de janvier, ils commencent à douter de la réalité des offres qu'elle leur a fait faire.
Je crois, Monsieur, que c'est le moment de me concerter avec vous sur les suites de cette affaire. Si les Acadiens peuvent passer dans la Guyane ou dans quelque autres colonies françaises, ils se trouveront rendus à votre département, et s'il est possible de réaliser cette idée, elle me paraîtrait bien plus analogue à leur caractère et à leurs m?urs anciennes, que tout ce qu'on imagine pour eux, soit dans les provinces du Royaume, soit même en Corse.
Je vous prie, donc, Monsieur, de vouloir bien me marquer quelle confiance les Acadiens doivent prendre dans les conditions proposées par la compagnie de Guyane, suivant l'état dont j'ai l'honneur de vous adresser copie.
Si cette compagnie est véritablement dans la disposition et la possibilité de remplir une convention de cette nature et de l'exécuter sans délai, j'emploierai tous les moyens de persuasion qui peuvent dépendre de moi pour faire tourner par préférence de ce côté là les vues des Acadiens ; et je croirais le succès d'autant plus certain que plusieurs d'entre eux m'ont fait pressentir sur la disposition où ils seraient de passer à la Louisiane ou d'aller former des établissements près des Colonies Unies, démarches qui me paraissent prouver que leurs v?ux les portent de préférence vers ce genre d'établissement. [pour Necker, la Guyane et la Louisiane semblent assez similaires]. Si au contraire le projet de la compagnie de Guyane était ou déjà abandonné, ou d'une exécution périlleuse, lente, les intérêts du Roi et des Acadiens exigeraient qu'on s'empressât à les détromper des espérances qu'ils pourraient en concevoir.
J'ai l'honneur d'être avec un très sincère et inviolable attachement, Monsieur, etc... Necker (signature autographe).

Notes

(reproduite par Rouet p. 413. Extrait de C.E.A. Moncton, F.1472) - copie consultée aux ANC le 25 octobre ; quelques petits détails varient par rapport à la version de Rouet, j'ai vérifié attentivement ;
note : copiée par M. Lahaise, 11 février 1931 et collationné par M. Dugas (?) 27 mars 1731 ; c'est la seule pièce de ce carton 6 qui a été jugé intéressante et concernant le Canada par les copistes.

Mots-clés

// fondre les Acadiens dans le Royaume
// intégration
// dispersion
// regroupement
// corps de nation
// RED
// repartir : Corse et Guyane
// Nantes
// secours
// députés
// CDN
// DAN

Numéro de document

000079