Document : 1768-08-26
Références / localisation du document
BM Bordeaux, MS 1480, f°25-28 // RAPC 1905, p. 388 // AN Col B vol. 131, folio 272 bis, 4 pages
Date(s)
1768-08-26
Auteur ou organisme producteur
Praslin
Destinataire
contrôleur général (L'Averdy)
Résumé et contenu
Praslin au C.G. : préférence nationale : les Acadiens trouvent difficilement de l'emploi. Projet de Brix (Normandie). L'établissement des Acadiens est une "affaire d'Etat".
Il faut établir les Acadiens le plus rapidement possible, la solde ne suffit pas et ils peuvent difficilement travailler : "Les intendants des généralités à qui j'avais écrit à ce sujet m'ont répondu qu'il y avait à peine dans leurs provinces durant la plus grande partie de l'année de l'occupation pour les gens du pays à qui on inclinait naturellement à donner la préférence en sorte que les Acadiens que la persévérance de leur fidélité a engagé à s'expatrier et à abandonner leurs biens pour rentrer sous la domination du Roi demeurent livrés à la plus affreuse indigence et au désespoir."
Nouveau projet d'établissement à Brix dans les forets du Roi grâce à un Irlandais qui se propose de les établir (b?uf salé). Evocation des possibilités et des détails de cet établissement. Estimation du coût en fonction de celui de BI. Avantage de cet établissement : double : d'un côté on décharge le budget de l'État, de l'autre on introduit l'art de la salaison du b?uf d'Irlande, ce qui peut être très utile en cas de guerre avec l'Angleterre (fin de la dépendance par rapport à celle-ci).
Un arrêt du conseil ordonne la replantation du bois ; Praslin céderait volontiers devant cet arrêt si le bois en question pouvait être utilisé pour la marine, mais en l'occurrence on lui a assuré que le bois était impropre pour cela à cause du vent trop fort qui l'empêche de pousser.
Cet établissement est d'autant plus important que "toutes les recherches d'un autre domaine convenable [pour les A.] ont été infructueuses".
Finalement, en P.S., une exhortation :
"Je crois, Monsieur, que cet objet mérite toute votre attention et que c'est véritablement une affaire d'Etat qui doit être traitée sous ce point de vue et non en suivant les principes ordinaires de la finance. Je vous prie de me faire part le plus tôt qu'il sera possible des résultats de vos réflexions."
[note : dans une lettre postérieure [cf. fiche 0094], Le Loutre parle à De Boynes de cette lettre et précise :
"M. le duc de Praslin, dans sa lettre à M. de l'Averdy [en note, même écriture, "cette lettre, datée de Compiègne du 26 août 1768, est au dépôt des colonies" ; cf. cette lettre], renouvelle ses instances sur la nécessité indispensable de pourvoir sans autre délai à l'établissement des familles acadiennes, au mois de novembre 1769 et envoie copie de cette même lettre à M. d'Invau [le 1768-10-28, soit deux mois plus tard] et lui marque qu'indépendamment de la justice qu'il y a d'établir les Acadiens, il y trouvera l'avantage en chargeant l'Etat des dépenses considérables qu'occasionne leur subsistance annuelle, et pour engager et presser plus fortement ces MM à terminer cette affaire M. le duc en finissant sa lettre ajoute : "je crois que cet objet mérite toute votre attention et que c'est véritablement une affaire d'Etat qui doit être traitée sur ce point de vue et non en suivant les principes ordinaires de la finance".]
Lemoyne fait aussi mention de cette lettre :
"M. le duc de Praslin, Monsieur, écrivit le 25 août 1768 à M. d'Invau lors contrôleur général et le pressa vivement sur la nécessité indispensable de pourvoir sans délai à l'établissement de 4 à 500 familles acadiennes composées d'environ 2 300 à 2 400 [en fait, la lettre originale parle de "environ 2 400] personnes entreposées dans différentes villes le long des côtes, où il leur était impossible de subsister avec le secours que le Roi leur accorda encore de 6 sol par jour aux hommes et femmes et de 3 sols par jours aux enfants de dix ans et au dessus, vu la cherté excessive du pain et des autres subsistances" (extrait de la fiche @105).
En fait Lemoyne a commis deux erreurs : une sur la date (la lettre est du 26 août) et l'autre sur le destinataire : c'est bien le C.G. qui est le destinataire, mais le C.G. est alors L'Averdy (vérifié sur # 1480 chronologie ministérielle) et non d'Invau. Une copie cependant fut envoyée à M. d'Invau (selon la lettre de Le Loutre (fiche 0094) soit immédiatement, soit en Novembre 1769 (ce qui expliquerait peut-être la confusion de Lemoyne, d'Invau étant alors C.G.)
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Copie d'une lettre écrite à M. le contrôleur général par M. le duc de Praslin de Compiègne le 26 août 1768
Je ne saurais me dispenser, M., de vous renouveller mes instances sur la nécessité indispensable de pourvoir sans autre délai à l'établissement des 4 à 500 familles acadiennes composant environ 2 400 personnes dispersées depuis plusieurs années sur nos côtes où il leur est impossible notamment depuis la cherté du pain, de se soutenir avec la subsistance qu'il a plû au Roi de leur accorder de 6 s. par homme ou femme et de 3 s. pour chacun de leurs enfants, au dessous de 11 ans. Le travail ne leur présente qu'un très faible supplément. Les intendants des généralités à qui j'avais écrit à ce sujet, m'ont répondu qu'il y avait à peine dans leurs provinces durant la plus grande partie de l'année de l'occupation pour les gens du pays à qui on inclinait naturellement à donner la préférence en sorte que les Acadiens que la persévérance de leur fidélité a engagé à s'expatrier et à abandonner leurs biens pour rentrer sous la domination du Roi demeurent livrés à la plus affreuse indigence et au désespoir.
Après plusieurs moyens inutilement tentés pour les établir sur des domaines de S.M. ou de divers particuliers j'ai crû devoir écouter favorablement les S. Rice qui demande (ou demeurant, le mot est coupé) la forêt de Brix appartenant au Roi située sur les côtes de Normandie, près Cherbourg et offrent de se charger d'autant de familles acadiennes que ce domaine en pourra recevoir et nourrir. Il contient environ 13 000 arpents dont 4 000 ne produiront rien.
Le surplus est en bois tellement dégradé que la forêt entière ne rend pas annuellement 12 000 #. Il paraît possible d'y placer presque tous les A. en donnant ce domaine par bail emphytéotique sans exiger aucun prix principal ni redevance annuelle mais sous condition de faire les frais de l'établissement des acadiens au nombre proportionné à l'étendue et au montant de l'estimation à faire de la forêt et des terres non boisées.
Vous avez été informé que chacune des 78 familles transportées à BI a coûté malgré les moyens économiques et industrieux de M. L'abbé Le Loutre ancien et fidèle pasteur d'un peuple si affectionné à la France, une somme d'environ 800 livres pour matériaux, ustenciles, aratoires, animaux etc..., il a fallu encore assurer à ces familles la subsistance à raison de 6 sol. par tête jusqu'à la première récolte qui n'a pu avoir lieu que dans cette troisième année.
Indépendamment de la justice qu'il y a de pourvoir les Acadiens de l'avantage que vous trouverez à décharger l'Etat des dépenses de leur entretien annuel qui peut passer 200 000 # à cause du nombre des personnes, les S. Rice irlandais catholiques se soumettent [?] à introduire en France l'art des salaisons des boeufs en formant une manufacture semblable à celle qu'ils viennent de quitter à Cork, en attirant leurs meilleurs ouvriers, en faisant venir de leur pays beaucoup de bestiaux dont ils sauront (?) multiplier l'espèse, et en prenant chaque année le nombre d'apprentis[es ?] qu'on jugera nécessaire pour rendre commun dans nos provinces ce genre d'industrie qui affranchirait en temps de guerre nos armements ainsi que l'approvisionnement de nos colonies de la dépendance des anglais et qui arrêterait la sortie annuelle de plusieurs milliers de francs.
Toutes ces considérations vous ont fait, M., autant d'impression qu'à moi-même, mais vous m'avez opposé un nouvel arrêt du conseil qui ordonne le replantement de la foret de Brix. Si elle pouvait promettre des voies de construction pour la marine, je céderais volontiers à ce puissant intérêt, à cause de la facilité qu'on aurait un jour à en tirer en temps de guerre pour les ports de Brest et de Lorient, mais le lieutenant général de Coutances et plusieurs autres personnes ont assurés qu'on n'avait à espérer en cette foret que des bois de chauffage et pièces de charpente de petites dimensions, attendu que les coups de vent du Nord, auxquels le local est trop exposé et le concours d'autres causes empêchait la croissance des arbres. Ces faits sont aisés à vérifier : il ne serait question que d'une visite par des gens experts et non intéressés à donner sur cela des espérances qui ne se réaliseraient jamais. On reconnaîtra tout de suite l'essence des bois pour constater si leur qualité sera propre à la marine, et à supposer que la vérification n'offre pas une ressources considérable pour la construction de vaisseaux, il vaudrait mieux sans doute dans les circonstances présentes soulager le trésor royal de la dépense annuelle de 200 000 # pour les Acadiens, que de retirer aujourd'hui de ce domaine un revenu de 12 à 14 000 # et de se préparer pour un avenir fort éloigné quelque médiocre augmentation au moyen d'une replantation peu importante en elle même qui reviendrait à 240 # par arpent.
Je dois d'autant plus insister sur la destination que je vous ai prié de faire de la forêt de Brix, que toutes les recherches d'un autre domaine convenable ont été infructueuses, que la situation de celui ci au bord de la mer et à peu de distance de l'ouvert (?) de la Manche sera très favorable au transport des fils (?), des bestiaux à tirer d'Irlande et des b?ufs salés dont les ports de Brest et Lorient et du Havre qui sont à la portée de Cherbourg débouche (?) une si grande quantité en temps de guerre.
Ce n'est pas encore le moment de discuter les moyens des S. Rice pour effectuer leurs promesses. J'ai lieu de présumer qu'ils ne leur manquent pas, mais lorsqu'il aura été décidé que la foret de Brix sera consacrée à l'établissement des familles acadiennes on exigera d'eux la consignation du capital nécessaire et on leur demandera des sûretés pour l'exécution des autres stipulations à faire, et si leurs facultés se trouvent au dessous de celles qu'exigera l'entreprise, il ne sera guère difficile de se procurer des gens capables de remplir du moins l'objet le plus pressant.
J'ai lieu de penser dans les détails où je viens d'entrer vous trouverez des motifs pour vous engager d'abord à proposer à S.M. de suspendre préalablement la replantation qui n'est pas encore commencé de la foret de Brix, et ensuite vous assurer de la convenance d'y placer les familles acadiennes que cette heureuse situation tiendra à portée de suivre l'inclination que plusieurs d'entres elles ont toujours eu pour la pêche et le course.
J'ai l'honneur d'être etc...
P.S.de la main de M. le Duc [sic, c'est écrit comme cela] :
Je crois, Monsieur, que cet objet mérite toute votre attention et que c'est véritablement une affaire d'Etat qui doit être traitée sous ce point de vue et non en suivant les principes ordinaires de la finance. Je vous prie de me faire part le plus tôt qu'il sera possible des résultats de vos réflexions.
Notes
26 août 1768 - 7 - Lettre du duc de Praslin à M. le contrôleur général. f°25
évocation de cette lettre dans Fonteneau : "Le 26 août 1768, le duc de Praslin, ministre de la Marine, demande au contrôleur général L'Averdy, successeur de Bertin, de céder à des particuliers 13 000 arpents de la forêt de Brix, près de Valognes en Cotentin, qui fait partie du domaine royal. Cette forêt, qui n'existe plus aujourd'hui, avait été dévastée par quelque ouragan et devait être reconvertie. Les postulants se chargent de l'exploitation de cette ancienne forêt et s'engagent à pourvoir aux besoins de l'installation de nombreuses familles acadiennes. Le contrôleur général répond qu'il n'est pas possible de céder une forêt royale qui d'ailleurs bénéficie d'un projet de plan de replantation." [p.247]"
Une copie de cette lettre (probablement la minute, dans la série B)
ancienne fiche @ 000372 (notes de Lemoyne tirée de la fiche @ 105) supprimée le 4 septembre 2004.
Mots-clés
// établissement de Brix (normandie) : projet
// salaison de b?ufs
// bois pour la marine
// urgence de placer les Acadiens
// établissements des Acadiens = affaire d'Etat
// préférence nationale
// perception : étrangers (préférenc
Numéro de document
000091