Document : 1769-08-25a
Références / localisation du document
BM Bordeaux, MS 1480, f°29
Date(s)
1769-08-25a
Auteur ou organisme producteur
Le Loutre
Destinataire
Praslin
Résumé et contenu
Le Loutre à Praslin. Remarques sur l'établissement en Corse.
Critique du plan d'établissement en Corse qui selon lui est très différent des conditions faites aux A. de BI.
Le Loutre énumère tous les points qui ne vont pas, notamment les secours aux Acadiens sont supprimés très rapidement, les redevances trop élevées et surtout on anticipe des revenus trop élevés alors que la terre de Corse est sèche et aride. De plus, on ne leur donnera pas assez de terres et leurs enfants devront quitter l'île pour aller sur le continent. Il n'est pas fait allusion au problème de regroupement / dispersion dans ce texte, mais une allusion de LL en fin de texte (lorsqu'il écrit que certains Acadiens seraient près des villes et que d'autres seraient très éloignés).
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J'ai lu et examiné le plans d'établissement pour faire passer en Corse les familles qu'on y voudrait établir, et je prends la liberté de mettre sous les yeux de votre grandeur mes réflexions.
C'est par votre ordre, Monseigneur, que 78 familles acadiennes ont été établies à BIM, vous avez bien voulu me confier l'exécution de cet établissement. J'ai eu l'honneur de vous présenter dans le temps un tableau général du dit établissement, et des copies exactes des comptes-rendus aux Etats de Bretagne, vérifiés et approuvés par MM. les commissaires des domaines et contrôles, vous m'avez paru satisfait et vous avez bien voulu me donner votre approbation. J'avais toujours pensé qu'il servirait de règle pour les familles qu'il nous restent à établir, mais je vois que le plan dressé par M. de Lille [ou de Lisle] est tout à fait contraire à celui de l'établissement de BI.
1° par le plan on ôte aux familles les 6 sols par jour que le Roi a bien voulu leur accorder et que vous avez fait distribuer [en marge : conformément à votre lettre à M. le Duc d'Aiguillon, en date du 11 février 1765, insérée dans l'arrêté des Etats tenus à Nantes article IV] à celles de BI jusqu'à la première récolte on ne leur accorde que pour neuf mois des vivres, comme si sous ce temps elles pouvaient subsister par elles mêmes. Permettez, Monseigneur, que je vous représente qu'il est impossible qu'une famille arrivant en Corse puisse défricher, semer et faire une récolte suffisante dans 9 mois.
2° Dans ce plan on ne donne même rien aux familles et vous avez accordé à celles de BI cinquante six livres et les 6 sols par jour pendant 3 ans gratis et sans en exiger le remboursement ; mais dans le projet pour l'île de Corse, on exige non seulement des familles le remboursement des avances que l'on fait monter à 1 500 livres pour chacune, mais encore les intérêts de cette somme et les intérêts des intérêts : ainsi bien loin de donner à ces pauvres familles, on gagne sur elles 500 # parce qu'au bout des années fixées pour le paiement, au lieu de 1 500 # que le gouvernement aura avancé, il en touchera 2 000 # et cela ne me paraît pas juste.
3 ° On ne propose dans ce plan de donner aux familles que 10 1/2 au plus 13 1/2 arpents, et à BI on leur en a donné 30 ou 34 arpents. Quelle différence, Monseigneur ! Celles de BI pourront établir leurs enfants et celles de Corse seront obligées de faire passer les leurs en grande terre [= sur le continent] pour y chercher à gagner leur vie. On exige des familles en Corse 5 s. (?) par arpent pour la redevance, et 50 s ? par arpent pour les charges et impositions publiques, et à BI elles ont l'arpent pour 24 s.(?). De plus on prive les familles en Corse des avantages que le Roi accorde par son édit en faveur des défrichements comme si cette île n'appartenait pas au Roi de France.
4° : L'Evêque en Corse prend le dixième de toutes les productions tant des grains que des bestiaux, les familles donnent de plus au curé les premiers qui consistent en une mesure de tous grains de pois (?) de 22 livres, et les familles de BI pour toutes dîme ne donnent que la 25e gerbe de tout grain seulement.
5° dans le plan proposé on donne aux familles beaucoup de production et l'on fait monter l'estimation de ces produits à des sommes qui ne se réaliseront jamais. Vous voudrez bien, Monseigneur, me permettre de vous en citer ici quelques exemples : on prétend que le colon, après le labour de ses terres, pourra occuper ses b?ufs à travailler pour d'autres, et l'on estime le produit à 40 s. [# ?] par an. Mais comment cela pourra-t-il se faire ? On n'a jamais roulé en charrette dans l'île de Corse, cela ne se peut surtout dans le pays des montagnes, où il n'y à pas de chemins par où les b?ufs puissent passer, aussi tous les transports se font à dos de cheval et de Mulets.
Le produit de la volaille et des oeufs que l'on estime 40 s. [# ?] par an, n'est pas plus [solide ?] ; comment veut-on que le colon qui sera à 10 ou 12 lieues de la ville fasse un pareil commerce, celui qui serait établi à portée des villes pourrait le faire et en tirer peut-être cette somme, mais il devient impossible pour celui qui en serait éloigné. Ainsi le produit ne doit pas être mis en ligne de compte.
Le produit des deux vaches, en lait beurre ou fromage, la consommation du ménage prélevée, est estimé 91 # 5 s. [ou sol / deniers]. Comment veut-on que le colon qui sera éloigné de la ville y porte du lait ? On en sent l'impossibilité. D'où l'on conclut que ces estimations n'ont de réalité que dans les calculs et la spéculation.
On ne répondra pas ici à tous les articles proposés dans le plan d'établissement de l'île de Corse, on se contentera de dire ici qu'on a forcé les produits, en voici la preuve.
On prétend que le colon fera 144 quintaux de foin, qui lui produiront tous les ans 259 # 4 s. à 36 sous le quintal, parce que, dit-on, les pailles doivent suffire pour nourrir les bestiaux, mais l'on doit savoir que pour faire des prairies artificielles il faudrait un terrain humide ou arrosé de temps en temps par l'eau de quelque ruisseau, ce qui est très rare en Corse ; le terrain au contraire est pour la plupart montueux (?), fort sec et exposé à de grandes chaleurs, l'on voit même quelquefois l'herbe brûlée jusqu'à la racine par l'ardeur du soleil ; et le colon serait très heureux s'il en avait suffisamment pour se dire que les pailles suffisent pour nourrir les bestiaux du colon, et si elles venaient à manquer ne serait-ce pas courir le risque de les faire mourir de faim ; mais c'est un défaut que l'on remarque dans le plan de l'établissement projeté : on veut que la terre rende exactement tant par an ; on prétend que les bestiaux donneront toujours les mêmes produits comme si l'on commandait à la nature, et l'on passerait sous silence les accidents auxquels est exposé le colon, comme la stérilité, les mauvaises récoltes, les maladies, et les mortalités. Les Acadiens de BI nous fournissent un exemple, ils ont eu une mauvaise récolte, et la mort sur les bestiaux leur a causé une perte de 4 à 5 000 livres.
On ajoute enfin que, suivant le plan, on trouverait peu de familles qui voulussent passer en Corse, et que celles qui y passeraient ne seraient que de pauvres habitants, bien misérables, et peut-être hors d'état de payer la redevance, les charges et les impositions publiques, au lieu qu'en suivant le plan de l'établissement de BI, on procurerait au gouverneur des sujets fidèles et des cultivateurs aisé et utiles à l'Etat.
Notes
8 - Lettre de l'abbé Le Loutre à M. le duc de Praslin (f° 29)
la date n'est pas certaine du tout - ce document suit un autre document du Ms 1480 daté du 26 août 1768 [donc a priori est postérieur]. La première allusion à un projet d'établissement en Corse remonte à 1769-08-25, j'ai donc daté le document approximativement.
Mots-clés
// critique de l'établissement en Corse
// projet d'établissement (Corse)
Numéro de document
000092